<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> L’Union européenne, futur État centralisé ? 

16 avril 2024

Temps de lecture : 6 minutes

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L’Union européenne, futur État centralisé ? 

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La révision des traités européens et la signature d’un nouveau traité, qui doivent en résulter, enlèveront aux États membres actuels leurs derniers pans de souveraineté. Ainsi, au-delà même de la vision d’une « fédération européenne » voulue par Jean Monnet, c’est un véritable État centralisé européen qui se profile désormais. Si ce projet voyait le jour, les conséquences pour les États membres, et en particulier pour la France, seraient assurément inédites. 

Article paru dans le numéro 50 de mars 2024 – Sahel. Le temps des transitions.

L’avènement d’une souveraineté européenne et la création d’une nouvelle armée de l’UE entraîneraient la perte du siège français de membre permanent au Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) au profit d’un siège permanent européen et la fin de la force de dissuasion nucléaire française sous commandement national, dont le général de Gaulle avait doté le pays.

La métamorphose de l’Union européenne 

L’effondrement de l’Union soviétique en décembre 1991 a été immédiatement suivi, dès février 1992, par la signature du traité de Maastricht. Celui-ci a notamment permis la création de l’UE, d’une monnaie unique européenne et de la Banque centrale européenne. Le traité a institué une citoyenneté européenne, établi une politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et développé la coopération en matière de justice et d’affaires intérieures, transformant ainsi de manière radicale la Communauté économique européenne (CEE), fondée en 1957. 

Dans l’immédiat après-guerre froide, l’Europe est ainsi passée d’une phase d’intégration économique à celle d’une intégration politique. Dans le domaine législatif, depuis les années 1960 déjà, une jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes avait déclaré la primauté du droit supranational européen sur les droits nationaux des États. L’UE s’est en outre vu transférer des compétences exclusives au détriment des États telles que le commerce extracommunautaire, ce qui a rendu possible la signature par l’UE de nombreux accords de libre-échange souvent contestés sur le plan national. D’autres compétences sont des compétences dites « partagées » entre l’UE et les États membres, comme la politique migratoire, qui échappe donc en partie au contrôle des États. 

Ces évolutions ont eu pour effet de provoquer la récalcitrance des peuples concernés. En France, en septembre 1992, lors du référendum visant à ratifier le traité de Maastricht, le oui l’a certes emporté de justesse. En revanche, en 2005, les peuples français et néerlandais, consultés par référendum, ont rejeté le traité établissant une Constitution pour l’Europe (TCE) signé à Rome en 2004. En dépit de cette opposition populaire, une conférence intergouvernementale a fait approuver en 2008 par voie parlementaire le traité de Lisbonne, qui a repris la majorité des changements contenus dans le traité constitutionnel de 2004.  

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L’élargissement de l’UE vers l’est

Composée de 12 États membres lors de la signature du traité de Maastricht en 1992, l’UE est aujourd’hui composée de 27 pays, au terme des élargissements intervenus en 1995, 2004, 2007, 2013. En 2020, le Royaume-Uni s’en est retiré (Brexit). Neuf pays ont officiellement été reconnus candidats à l’adhésion à l’UE. Parmi eux, la Turquie (1999), la Macédoine du Nord (2005), le Monténégro (2010), la Serbie (2012), l’Albanie (2014), auxquels sont venues s’ajouter en 2022 la Bosnie-Herzégovine ainsi que les trois ex-Républiques soviétiques que sont la Moldavie, l’Ukraine et la Géorgie. Le Kosovo, territoire au statut contesté, toujours considéré comme une province autonome par la Serbie, a déposé sa candidature.

Cet élargissement de l’UE vers l’est a été, dans de nombreux cas, concomitant avec celui de l’Alliance atlantique vers les pays d’Europe centrale et orientale, en parfait accord avec les objectifs de politique étrangère définis par les États-Unis dans l’après-guerre froide. Le stratège américain, Zbigniew Brzeziński (1928-2017), ancien conseiller présidentiel à la sécurité nationale, soulignait à cet égard, dans son livre-phare Le Grand échiquier – L’Amérique et le reste du monde, en 1997 : « L’élargissement de l’Europe et de l’OTAN serviront les objectifs aussi bien à court terme qu’à plus long terme de la politique américaine. Une Europe plus vaste permettrait d’accroître la portée de l’influence américaine », ajoutant que « l’admission de nouveaux membres venus d’Europe centrale multiplierait le nombre d’États pro-américains au sein des conseils européens. [1]» C’est ainsi que l’idée des « États-Unis d’Europe » développée par Jean Monnet [2], le père de la construction européenne, pourrait paradoxalement aboutir à celle diamétralement opposée d’« Europe des États-Unis ».

Une révision des traités annoncée

Lancée en 2021, à l’initiative d’Emmanuel Macron qui assurait alors la fonction de président du Conseil européen pour six mois (présidence tournante), la conférence sur l’avenir de l’Europe a abouti, le 9 mai 2022, à la remise d’un rapport contenant 325 propositions, dont celle de la prise de décision à la majorité qualifiée au sein du Conseil européen, ce qui marquerait la fin du droit de veto des États.

Certaines mesures préconisées par la conférence sur l’avenir de l’Europe nécessitaient une révision des traités européens [3], révision soutenue par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, par Emmanuel Macron et par le Parlement européen. Les députés européens ont voté une résolution en ce sens le 4 mai 2022. 

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La question sur l’abandon du vote à l’unanimité, qui serait définitivement remplacé par le vote à la majorité qualifiée, au prétexte de rendre l’Europe plus efficace, s’avère particulièrement épineuse. Ce mode de scrutin permettrait à l’UE de s’affranchir de l’accord de tous les États membres. Dans les années 1960, le général de Gaulle tenait absolument à la règle de l’unanimité : « Historiquement, les décisions se prenaient à l’unanimité au sein de la Communauté européenne, ce qui donnait de fait un droit de veto à chaque pays membre […] mais au fil des traités européens, la prise de décision à la majorité qualifiée a finalement été introduite, puis élargie à de nombreux domaines. » Selon Thierry Chopin, professeur de sciences politiques, « le revers de la médaille, c’est qu’un État pourrait se voir imposer des mesures qui touchent à son autorité la plus fondamentale [4]». En réaction à ce nouvel abandon de souveraineté des États, 13 États membres de l’UE ont signé un texte commun en mai 2022, dans lequel ils déclaraient : « Nous avons déjà une Europe qui fonctionne » et « Nous n’avons pas besoin de nous précipiter pour faire des réformes institutionnelles. [5]» 

L’accélération

Toute opposition à une révision des traités est cependant restée lettre morte. Fin 2023, arguant que « depuis le traité de Lisbonne, le monde a radicalement changé [6]», l’eurodéputé belge Guy Verhofstadt ainsi que quatre eurodéputés allemands ont publié ensemble un rapport inédit contenant des propositions de réforme radicale, intitulé : « Rapport sur les propositions du Parlement européen visant à modifier les traités [7]». Des propositions majeures y figurent, telles que la mise en place « d’une union de la défense comprenant des unités militaires et une capacité permanente de déploiement rapide, sous le commandement opérationnel de l’Union », ainsi que l’obligation pour tous les États membres d’adopter l’euro. Nombre de ces propositions rejoignent celles d’un rapport franco-allemand publié en septembre 2023 par un groupe d’experts franco-allemands sur la meilleure façon de réformer l’UE pour la préparer à l’adhésion d’une dizaine de futurs États à l’horizon 2030 [8]. 

Parmi les propositions du rapport Verhofstadt, on note l’augmentation considérable du nombre de domaines où les décisions seraient prises à la majorité qualifiée. 65 domaines, dont la fiscalité et les sanctions internationales, seraient ainsi concernés. En outre, le document exhorte à une augmentation des compétences de l’UE. Le domaine régalien est particulièrement visé : affaires étrangères, sécurité extérieure, défense, politique des frontières extérieures. 

Ce rapport a été adopté le 22 novembre 2023 par le Parlement européen par 305 voix contre 276 [9]. Ce faisant, les eurodéputés espéraient un vote du Conseil européen avant la fin du mandat législatif en juin 2024. Une convention pourrait ainsi être mise en place peu de temps après les élections européennes de juin 2024 pour se pencher sur la révision des traités.

Par ailleurs, on note que la veille, le 21 novembre 2023, une résolution stipulant la supériorité du droit supranational européen sur le droit national avait été votée au Parlement européen.

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Un État européen centralisé en gestation

Dans le cadre d’un futur traité européen visant à transformer l’UE en un État souverain, un renforcement et une centralisation des pouvoirs à Bruxelles iraient de pair avec une réorganisation du pouvoir exécutif au sein du nouvel État.

La Commission européenne serait ainsi rebaptisée « exécutif européen ». Le président de l’UE serait nommé par le Parlement et approuvé par le Conseil européen (qui réunit les chefs d’État ou de gouvernement des États membres). Innovation majeure : il est prévu que « les membres de l’exécutif seraient, quant à eux, choisis par la personne le présidant en fonction de ses préférences politiques », dans un but avoué de « politiser l’organe exécutif de l’UE [10]». 

Cette transformation de la Commission européenne pourrait avoir pour résultat l’absence de la France au sein du nouvel Exécutif européen. En effet, si le choix des membres de cet Exécutif se faisait désormais uniquement sur la base d’affinités politiques, le principe de la nomination d’un commissaire par État membre (actuellement 27 commissaires) serait abandonné. Il pourrait ainsi un jour n‘y avoir aucun représentant français au sein de cet Exécutif.

En France, une résolution soutenant le projet de nouveau traité européen et les propositions susmentionnées a été adoptée à l’Assemblée nationale par seulement 123 députés présents sur 454 (72 pour, 46 contre, 5 abstentions) [11]. Celle-ci appelle à mettre fin au système actuel fondé sur l’unanimité et à y substituer la majorité qualifiée dans tous les domaines (à l’exception des décisions concernant l’admission de nouveaux États membres) et elle appelle à la mise en place d’une convention pour la révision des traités. 

Ainsi, force est de constater qu’en l’absence de débat public approfondi sur ces questions cruciales, la transformation accélérée de l’UE en un véritable État se poursuit sans entraves. Le déficit démocratique qui en découlera aura inévitablement pour conséquence la remise en cause par les peuples européens de la légitimité de ce nouvel État européen qui est sur le point de voir le jour. 

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À propos de l’auteur
Ana Pouvreau

Ana Pouvreau

Spécialiste des mondes russe et turc, docteure ès lettres de l’université de Paris IV-Sorbonne et diplômée de Boston University en relations internationales et études stratégiques. Éditorialiste à l’Institut FMES (Toulon). Auteure de plusieurs ouvrages de géostratégie. Auditrice de l’IHEDN.
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