Miraculé de la politique, Luiz Inácio Lula da Silva a réussi son retour au pouvoir en tirant profit des excentricités de son adversaire Jair Bolsonaro. Avec lui, le Brésil renoue avec la diplomatie d’éclat du début des années 2000, mais derrière le paravent néo-tiers-mondiste de sa politique étrangère, l’administration Biden trace ses lignes rouges. Le nouveau Lula scellera-t-il l’abandon de la souveraineté de son pays face à l’hégémon nord-américain ?
Déjà actif entre 2007 et 2010 comme médiateur pour les accords nucléaires entre l’Iran et les États-Unis, le chef d’État brésilien (77 ans) s’est offert au printemps une séquence diplomatique forte en défendant à Pékin l’idée de transformer le G20 en « Club de la paix ». Naguère chantre des BRICS, Lula y a dénoncé la politique occidentale qui « alimente la guerre » en Ukraine et a terminé sa tournée diplomatique par une escale aux Émirats arabes unis où il a promu son agenda pour la paix, tout en signant d’autres contrats en préparant la COP 30 qui se déroulera en Amazonie.
C’est le côté face de la médaille : l’ancien syndicaliste hérault des BRICS et d’un tiers-mondisme bon teint appelle à l’abandon du dollar comme unique monnaie internationale d’échange. Le gouvernement brésilien maintient une position de neutralité dans le conflit en Ukraine, tout en ayant condamné l’invasion russe à l’ONU. Il faut dire que Brasilia est fortement dépendante des importations d’engrais russe pour son agro-industrie. Rien d’étonnant donc si Lula refuse depuis le début de la guerre l’adoption d’un train de sanctions contre la Russie et se montre indulgent avec Poutine. C’est toujours au nom de cette neutralité qu’il a refusé de fournir des munitions de chars demandées par l’Allemagne pour être transmises à l’Ukraine. Dernière séquence en date, le revers subit au sommet du G7 de Hiroshima, Lula s’étant dit « contrarié » de ne pas avoir pu rencontrer son homologue ukrainien.
L’avenir des BRICS ?
On pourrait croire que le champion d’un nouvel ordre international tenant compte des intérêts du sud face à l’hégémonie états-unienne emboîte le pas de feu Hugo Chavez. Pourtant, rien n’est moins sûr comme l’attestent en filigrane la fragilité de son assise politique et les multiples compromis qui lui entravent ses marges de manœuvre. C’est là le côté pile de la médaille. Le retour du Brésil sur la scène internationale en espérant jouer les médiateurs dans le conflit en Ukraine s’avère être un écran de fumée. En apparence en position d’équilibre avec la Chine et les États-Unis, Brasilia maintient et renforce des liens étroits avec Washington. Et pour cause ! Évaluée dans le contexte plus large d’une simple quête d’équilibre entre les deux puissances mondiales, la rhétorique de paix de Lula est facilement influencée par la pression américaine puisqu’elle ne joue aucun rôle dans son multi-alignement envisagé entre ces deux pays. C’est pourquoi Lula la considère comme extensible au cas où revenir en arrière sur ses propos pourrait soulager une partie de la pression publique des États-Unis.
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Signe fort, en avril, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov s’est rendu au Brésil, officiellement pour « saluer » la position de Lula. La plupart des médias se sont contentés de relayer cette information sans décortiquer les détails de ce déplacement peu ordinaire, préférant hâtivement conclure à un alignement de Brasilia sur Moscou et Pékin. Ils n’ont par exemple pas fait écho à la teneur des échanges entre Lula et son homologue roumain Iohannis, en visite à Brasilia dans la foulée de la visite du chef de la diplomatie russe. Au cours de l’entretien, le président brésilien avait fustigé la Russie pour la violation de l’intégrité territoriale de l’Ukraine avec laquelle la Roumanie partage plus de 600 km de frontières. Des propos qui ne sont pas entrés dans l’oreille d’un sourd au département d’État et que d’aucuns peinent à interpréter tant ils paraissent en contradiction complète avec ceux tenus quelques jours plus tôt en présence de Lavrov.
La rhétorique de paix promue par l’ancien syndicaliste ne compte pas tant que si nous observions de plus près le comportement de la diplomatie brésilienne sur le dossier ukrainien. Contrairement à son prédécesseur, Dilma Rousseff, bien plus souverainiste que son mentor, qui s’était abstenu de condamner l’annexion de la Crimée en 2014 par la Russie, Lula ne s’y est pas trompé. Extrêmement sensible à la pression de Washington, il s’est empressé de dénigrer la Russie une fois que l’avion Lavrov avait pris son envol, afin de prouver sa fiabilité.
« Fédérer un réseau international antipopuliste »
Il convient donc de s’intéresser de plus près à la proposition émise en février à Washington par le président brésilien. À en croire le très sérieux Politico, Lula aurait, au cours de ce premier déplacement aux États-Unis, récité son credo en la foi « libérale et mondialiste », tordant le cou à sa prétendue intention de dédollariser les échanges financiers internationaux. Gage de sa bonne volonté, sa proposition de mettre en place un réseau d’influence transnationale en partenariat avec l’establishment démocrate américain. Objectif : lutter contre les tenants du climato-scepticisme, les populistes d’extrême droite des deux hémisphères de l’Amérique et de l’Europe. Bolsonaro, Trump, Le Pen et Orban, ennemis déclarés de la gauche progressiste. Un projet qui a peu fuité et qui pourrait éventuellement expliquer la relative mansuétude de Washington en réaction aux rodomontades tiers-mondistes de Lula en Asie et au Moyen-Orient. La représentante Pramila Jayapal, chef de file du Congressional Progressive Caucus, aurait déclaré que Lula l’avait sollicité afin de mobiliser les forces de gauche contre « un réseau international de personnes et de mouvements de droite » qui cherche à « prendre le contrôle des pays démocratiques ». Une première étape pourrait intervenir plus tard cette année, avec un éventuel voyage au Brésil de progressistes du Congrès. Le représentant Ro Khanna de Californie, un leader libéral de la Chambre qui a également rencontré Lula, a déclaré que le président brésilien avait exhorté les législateurs à trois reprises à se rendre au Brésil. Si la rhétorique de paix de Lula, chantre d’un rapprochement sino-américain et d’une neutralité bienveillante vis-à-vis de Moscou, servait à faire de ce dernier un cheval de Troie ?
L’establishment brésilien infiltré par les néocons
C’est un fait, ce troisième mandat de Lula ne fait pas vibrer les tenants d’un nouvel ordre mondial, tant les soubresauts de la politique brésilienne et sa cuisine interne fragilisent l’autorité d’un Lula mal élu. Contraint par ses nombreux obligés, en particulier la masse des partis du centrão connus pour leur vénalité, l’ancien leader syndicaliste a nommé à la vice-présidence de la République l’ancien gouverneur de l’État de São Paulo, Geraldo Alckmin. Atout droitier de Lula, figure du parti en théorie de centre gauche, le PSDB, l’homme est bien plus qu’une simple caution libérale. L’ancien colistier de Lula est l’artisan du virage néocon du Brésil, à la manœuvre pour faire rentrer le géant sud-américain dans le bercail états-unien. Réputé proche des milieux industrialo-financiers, conservateur religieux membre de l’Opus Dei et opposé à l’avortement, G. Alckmin est un libéral convaincu, partisan d’un nouveau train de privatisations. Lui qui veut transformer l’Amazonie en « chantier de construction » avait notamment participé à la fronde contre le Parti des travailleurs qu’il qualifiait « d’organisation criminelle ». En cas de disgrâce pour Lula, Alckmin pourrait très probablement accéder à la magistrature suprême.
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La stratégie des États-Unis dans leur arrière-cour sud-américaine innove et fait montre d’une véritable modernisation de logiciel. Exit l’époque bénie des coups d’État militaires fomentés par des officiers virulemment anticommunistes à la gâchette facile. Le mode opératoire consiste à fédérer de nouveaux réseaux acquis à la démocratie libérale contre les méchants souverainistes populistes de droite. Autrement dit, se contenter de « diriger par-derrière » (leading from behind) sans coup férir.
Les prochains mois, nous éclairerons davantage sur l’attitude de l’État profond au Brésil, lequel avait été largement à la manœuvre depuis la destitution de Dilma Rousseff en 2016, laquelle avait dénoncé avec fracas le scandale des écoutes de la NSA avant d’être remplacée par le très américanophile vice-président Michel Temer. Ce dernier avait du reste accéléré l’ultra-sensible dossier de la fusion Embraer-Boeing bloquée par la justice brésilienne en juillet 2022 sous l’impulsion de Jair Bolsonaro.
L’autre grande inconnue demeure le rôle de l’armée. La direction militaire au Brésil est à multiples facettes. Si l’armée de l’air est connue pour sa proximité avec les États-Unis, ce n’est pas forcément le cas pour la marine et encore moins pour l’armée de terre qui domine largement les deux autres par la taille de ses effectifs et son poids politique. La tension demeure vive entre l’armée et le gouvernement Lula depuis la mise à pied de son chef à la suite de la mise à sac des centres de pouvoir à Brasilia. Mais à ce jour, aucun mouvement séditieux n’a fait parler de lui.
Avec ses richesses naturelles et son complexe industriel, le Brésil est appelé à devenir une cible de premier choix pour assouvir les appétits de l’establishment états-unien qui, sous couvert de lutte pour la protection du climat, s’intéresse à l’internationalisation et au dépeçage de l’Amazonie.
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