Lu à l’étranger : Thilo Sarrazin, Les vœux pieux en politique

3 septembre 2022

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Lu à l’étranger : Thilo Sarrazin, Les vœux pieux en politique

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Figure majeure du SPD, exclu après avoir publié un livre critique sur l’immigration, Thilo Sarrazin continu d’analyser la vie politique allemande avec des livres qui sont toujours des bestsellers. Son dernier ouvrage analyse la prise de contrôle du sentimentalisme sur la vie politique. La rationalité et le temps long sont effacés pour être remplacés par l’émotivité et la réponse au court terme. Un livre non encore traduit en français mais qui permet de comprendre les débats intellectuels en Allemagne.

Thilo Sarrazin, «  Wir schaffen das ». Erläuterungen zum politischen Wunschdenken, Langen Müller Verlag, Munich, 2021, non traduit (« Nous réussirons ». Commentaires sur les vœux pieux en politique)

L’ancien fonctionnaire, économiste et auteur de bestsellers politiques Thilo Sarrazin a été exclu en 2020 du SPD dont il était membre depuis sa jeunesse. Ses ouvrages traitent des sujets brûlants de l’actualité récente (euro, aide sociale, immigration, islam). Ils dérangent, irritent ou scandalisent les élites politiques et médiatiques allemandes (même s’il est un pourfendeur du président russe Vladimir Poutine). Sa mise en question des tabous et valeurs établies est abondamment critiquée sur le fond, et pour les risques d’influence néfaste sur l’opinion. Mais ce sont des bestsellers qui trouvent un large écho dans le public allemand.

« Nous réussirons » ?

Le titre accrocheur du livre fait allusion à la phrase devenue mondialement célèbre prononcée en 2015 par l’ex-chancelière Angela Merkel lorsqu’elle décida d’ouvrir les frontières à la masse des migrants affluant d’Orient et d’Afrique : « Nous réussirons » (à les intégrer), pour justifier une décision prise dans l’urgence et sous l’effet des sentiments. Utopie et vœu pieux, selon l’auteur. Il part de cet exemple pour questionner le politique. Le ton du livre est plus froid et le sujet paraît moins clivant que ceux des précédents, mais le diagnostic une fois de plus est sévère. Le bilan du politique en démocratie occidentale (et en particulier en Allemagne) est loin d’être positif.

L’auteur part du cas emblématique du mandat de la chancelière Angela Merkel (2005-2021). Il lui reproche d’avoir fait le contraire du programme annoncé par sa famille politique (CDU-CSU), en adoptant des mesures non nécessaires (communautarisation des dettes des États de l’Union européenne en 2009, sortie précipitée du nucléaire sous le coup de l’émotion de la catastrophe naturelle qui a touché la centrale de Fukushima en 2011, ouverture inconditionnelle des frontières aux immigrants illégaux en 2015, défaillance de la politique vaccinale lors de la crise du Covid en 2020). À ces décisions politiquement et moralement critiquables s’ajoute un bilan négatif (stagnation de la productivité, baisse électorale de la CDU-CSU, percée de l’AfD, succession chaotique pour la candidature à la chancellerie).

Ce compte réglé, Sarrazin se fait le vulgarisateur talentueux d’une théorie du politique aujourd’hui. Les positions politiques de nos jours sont moins déterminées (que ne le croit le public) par la logique et la rationalité que par les sentiments, les émotions, les passions, voire les pulsions (donc des facteurs prérationnels). Ce sont les vraies motivations de l’engagement du politicien (et aussi de son fanatisme et de ses frustrations), qui les érige face à l’opinion en valeurs morales. Cette contradiction fait que les qualités d’un politicien professionnel sont plutôt l’intelligence pratique (trop d’intelligence ou de réflexion nuisent à l’action politique), et le conformisme ou l’opportunisme.

Les journalistes aident-ils l’opinion par la réflexion et le débat ? De fait, ils ne sont pas des chercheurs de vérité, mais des faiseurs d’opinions : « ce sont des hommes politiques qui écrivent ».  Quant aux partis, aux médias, aux Églises, aux ONG, qui, eux, parlent, ils ne reflètent pas nécessairement non plus de manière adéquate l’opinion de la société. Ils portent des « valeurs » particulières présentées comme un « devoir civique » imposable à tous. Ceux qui sont en dehors de ce « consensus » sont moralement exclus. Le champ des libertés s’est donc rétréci, en Allemagne encore plus qu’ailleurs. Sarrazin appelle cela la « terreur de la vertu », règne de l’intolérance, sans distance, ni réflexion critique, ni débat, qui a produit en réaction le type du « citoyen en colère » (mécontent de l’état de fait, il remet en question la rationalité des règles qui l’ont produit). Pour y remédier, l’auteur défend « les initiatives populaires sur toutes les questions essentielles ». C’est douter un peu de la représentativité des élites politiques.

L’ancien social-démocrate estime aussi que la démocratie n’est qu’une forme de pouvoir politique, et historiquement la plus récente, qu’il n’y a pas de tendance historique séculaire à son extension planétaire, qu’elle n’est pas nécessairement supérieure dans toutes les situations, et même qu’elle n’est pas obligatoirement le gouvernement des meilleurs (pas obligatoirement celui des pires non plus d’ailleurs). Oiseau de malheur ? Théoricien du populisme ? Critique lucide ? Il reste que Sarrazin montre encore une fois son don pour lancer sur la place publique des analyses qui donnent à réfléchir à un large public en abordant des questions que beaucoup se posent : ici sur l’évolution de la démocratie sous sa forme occidentale promue en Europe après 1945.

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À propos de l’auteur
Thierry Buron

Thierry Buron

Ancien élève à l’ENS-Ulm (1968-1972), agrégé d’histoire (1971), il a enseigné à l’Université de Nantes (1976-2013) et à IPesup-Prepasup. Pensionnaire à l’Institut für Europaeische Geschichte (Mayence) en 1972-1973. Il a effectué des recherches d’archives en RFA et RDA sur la république de Weimar. Il est spécialisé dans l’histoire et la géopolitique de l’Allemagne et de l’Europe centre-orientale au XXe siècle.
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