L’OTAN : 75 ans et toujours active

12 avril 2024

Temps de lecture : 8 minutes

Photo : Exercice Steadfast Defender, OTAN, 05/03/2024 - Dominika Zarzycka / SOPA Images//SOPAIMAGES_SOPA010496/Credit:SOPA Images/SIPA/2403060851

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L’OTAN : 75 ans et toujours active

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L’Organisation du traité de l’Atlantique Nord vient de commémorer son 75e anniversaire. Une Organisation qui n’a cessé d’évoluer au cours des décennies, en jouant un rôle majeur dans les relations de défense entre les Européens et les États-Unis. 

Entretien avec Walter Bruyères-Ostels, professeur d’histoire contemporaine à l’IEP d’Aix-en-Provence. Propos recueillis par Côme du Cluzel. 

Quel bilan pouvons-nous dresser de l’action de l’OTAN tout au long de ces 75 dernières années ?

D’abord, pendant la guerre froide, c’est que l’OTAN a rempli la mission qui était la sienne, c’est-à-dire de protéger les pays occidentaux.

Donc, sur cette partie-là, le bilan est forcément très positif. Le bilan est à mon sens plus mitigé, mais parce que plus compliqué dans le monde post-guerre froide : l’OTAN avait été construite pendant la guerre froide et pour celle-ci.

L’Alliance a beaucoup évolué depuis les années 1990, elle s’est continuellement adaptée, mais sans complètement répondre aux nouveaux objectifs qui sont les siens. Elle joue néanmoins un rôle majeur dans la sécurité globale. Au fil du temps, les éléments de tensions se sont accrus parce qu’elle est perçue comme la force qui incarne le monde occidental, ce qui est aujourd’hui de plus en plus mal perçu dans les transformations récentes du monde : pensons au discours du “sud global”.

Son bilan est également plus mitigé dans sa capacité à dialoguer avec ses partenaires, et notamment sur le flanc sud. La question du dialogue méditerranéen ne peut pas être complètement considérée comme un succès, notamment car la « guerre contre le terrorisme » après le 11 septembre 2001 lui a fait perdre de vue d’autres enjeux de moyen terme.

Enfin, le dernier élément mitigé du bilan est constitué par la cohésion au sein de l’Alliance, qui est très aléatoire selon les moments qu’on observe (rapports avec la Turquie au paroxysme de la crise syrienne). Le président français lui-même parlait en 2019 de mort cérébrale. On sait qu’il y a aujourd’hui des tensions en arrière-plan de l’appui à l’Ukraine.

Donc, de ce point de vue, le bilan reste fragile.

Quelles sont les implications de l’OTAN sur les armées européennes, et surtout en termes de procédures et de méthodes opératives notamment ?

Les armées européennes sont aujourd’hui toutes formatées, organisées selon les procédures OTAN, que ce soit dans le travail des exercices interalliés (Steadfast Defender en début d’année) ou bien en termes de doctrines d’emploi. On voit bien dans le vocabulaire, y compris des doctrines nationales françaises par exemple, qu’il y a toute une série d’éléments de réadaptation de doctrines “otaniennes”, elles-mêmes assez largement inspirées par les États-Unis.

La question de l’interopérabilité, donc toutes les dimensions techniques, sont sous-jacentes à cela, avec les convergences que cela signifie pour les industriels. Donc l’impact est extrêmement fort sur les armées européennes.

Quelles en sont les implications sur l’organisation de la sécurité et la défense en Europe ?

Comme son nom l’indique, c’est une alliance, donc il y a une discussion entre les alliés sur la question de l’organisation en Europe. Il y a une tension, ou un élément central, historique par rapport à la question européenne : quelle place à l’européanisation de l’OTAN ? Est-ce qu’il faut un pilier européen de l’OTAN ? 

Pour l’instant on n’y est pas. Est-ce que l’OTAN, et c’était plutôt l’esprit du tournant des années 1990 et 2000, est un appui ou un outil mis à disposition de l’Union européenne dans sa politique de sécurité et de défense (déclaration OTAN-UE sur la PESD) ?

L’esprit demeure aujourd’hui, mais ça l’est sans doute de façon moins évidente qu’il y a une dizaine d’années en arrière. Il y a une tension accrue depuis la présidence Trump entre ce qu’est le rôle de l’OTAN et ce que peut être une politique de défense de l’UE en tant que telle.

Et là on voit bien, y compris au sein de l’Alliance, que tous les alliés (entre France et Allemagne par exemple) n’ont pas la même lecture du rôle de l’OTAN. Avec tout ce que ça implique derrière en termes d’achat de matériel, de montée en puissance d’une industrie européenne de défense, etc.

Quels sont les mécanismes de régulation de la relation Union européenne et OTAN exactement ?

Il y a plusieurs mécanismes de régulation. 

Le principal, c’est la cellule de l’UE. Au SHAPA. Ce mécanisme est politico-militaire. Et après, il y a des cadres normatifs qui ont été installés dans les années 1990 avec les missions de Petersberg puis les accords dits Berlin Plus.

Des cadres normatifs et des lieux de discussion constituent donc des modalités de régulation entre les deux. Des déclarations conjointes se sont développées depuis 2016 ; la dernière en 2023 recherche un peu plus encore la complémentarité entre les deux. La vraie difficulté à mon avis, ce n’est pas forcément le dialogue direct ou la régulation directe UE-OTAN. Ce sont les relations de chacun des membres de l’UE dans leur positionnement au sein de l’OTAN.

Je pense que l’enjeu, en réalité, il est plutôt là.

Est-ce que l’on peut dire que l’OTAN n’est-elle pas devenue au fil du temps la “chambre de commerce” de l’armement américain ?

Ça serait exagéré de le dire comme ça. Les partenaires de l’OTAN sont évidemment un marché privilégié pour l’industrie de défense américaine. Pour autant, on a toute une série de membres de l’OTAN qui ont leur propre industrie de défense, à commencer par nous, les Français.

Mais avec des points forts pour d’autres pays de l’OTAN. On peut penser aux questions navales ou aux questions satellitaires pour les Italiens, par exemple ; à l’industrie allemande (chars), …. On voit bien la montée en puissance des Allemands, ce qui est d’ailleurs en train de se retourner contre eux dans l’actualité récente.

Donc faire de l’Alliance un marché complètement captif pour les Américains me paraît excessif. 

 

La vraie question est celle de systèmes de représentations, surtout pour des nations qui historiquement ont vécu sous la menace directe des Soviétiques – ou même de façon plus ancienne des Russes – comme les Polonais. Chez eux, le réflexe d’aller acheter américain renvoie à la perception des acteurs majeurs de la Seconde Guerre mondiale, là où les Européens de l’Ouest n’ont pas su les protéger. Ensuite, les Etats-Unis étaient les acteurs majeurs de la Guerre froide. Cela pèse dans les achats d’aujourd’hui. 

Et c’est la même chose pour l’Allemagne. Cette question du rapport aux États-Unis, et notamment à la question de la structuration d’une industrie de défense européenne sans recours ultime aux Américains fait partie évidemment des divergences aujourd’hui dans le couple franco-allemand. 

L’OTAN a-t-elle une chance de survie sans le soutien américain ? Et que pourrait changer pour l’Alliance un éventuel retour de la présidence de Donald Trump ?

La survie de l’Alliance hors alliés américains, financièrement, serait évidemment compliquée. La vraie difficulté serait avant tout financière. 

Et c’est d’ailleurs bien là tout le discours de Donald Trump. En toile de fond de ces dernières décennies, il y a un déséquilibre dans les investissements militaires entre alliés (sous-investissement de nombreux Européens dénoncé par Donald Trump). Ceci dit, je pense que le discours de Trump, et l’imminence, ou en tout cas le spectre de la menace d’un retour de Trump quittant l’OTAN, a fait bouger les lignes en Europe.

On voit aujourd’hui que Trump – pour des raisons qui sont pour partie de politique intérieure – mais également de politique internationale, a mis de l’eau dans son vin ces dernières semaines. Donc, même s’il est élu à la fin de l’année, une sortie des États-Unis dirigés par Trump paraît un peu moins probable qu’il y a quelques mois. Sur toute une série d’enjeux pour les États-Unis (face à la Chine ou à la Russie), Washington a besoin aujourd’hui que les Européens les accompagnent.

Alors qu’elle était qualifiée il y a à peine quelques années par Emmanuel Macron en “état de mort cérébrale”, l’OTAN semble avoir trouvé un second souffle depuis le début du conflit russo-ukrainien. Comment expliquer cette renaissance de l’OTAN?

À mon sens, il y a deux clés d’explication principales. La première, c’est la question de la Turquie, qui était un allié un peu singulier au sein de l’Alliance et qui pouvait même apparaître comme un allié un peu plus équivoque : rappelons-nous de l’affaire, par exemple, de la frégate française « illuminée » par les Turcs au large de la Libye.

La guerre en Ukraine a modifié la position de la Turquie, qui aujourd’hui est un allié qui se comporte un peu plus comme les autres membres de l’Alliance. Je pense que c’est le premier point qui a changé avec la guerre en Ukraine.

Le deuxième, c’est évidemment le choc, à la fois pour les opinions européennes, mais aussi pour les décideurs d’un « retour de la guerre en Europe ». Parce qu’en fait, même si dans les années 1990 on avait déjà eu des guerres en Europe, ce n’était pas pas selon le même schéma, pas dans une guerre interétatique conventionnelle. Ce qui apparaît comme un « conflit majeur », où l’un des co-belligérants dispose de l’arme nucléaire.

Cette prise de conscience des opinions et de décideurs de certains pays a amené à réviser les politiques construites sur les « dividendes de la paix » des années 1990. S’amorce la réflexion sur un réarmement, sur une remontée capacitaire et une inflexion dans la volonté politique de membres de l’Alliance qui, jusque-là, étaient jugés comme trop peu actifs.

Cela renvoie à tout ce que reprochait Trump aux Européens. 

L’exemple allemand est le plus emblématique, qui, tout à coup, annoncent un plan de modernisation de la Bundeswehr sur un fond de dotation de 100 milliards d’euros. Or, ce pays était jusque-là extrêmement frileux sur des OPEX. Il réenclenche une ambition militaire assez forte ; cela simplement en raison de la crainte pour sa sécurité ou celle de l’Europe.

Pourquoi la France a-t-elle rejoint – un peu à contre-courant – le commandement intégré en 2009 ?

Je ne dirais pas à contre-courant, en fait elle l’a rejoint graduellement, d’abord de façon discrète. En en réalité, lors du sommet de Madrid en 1997, alors que la France avait réintégré toute une série de structures otaniennes, Jacques Chirac refuse franchir le pas très symbolique, a fortiori pour un président gaulliste, du commandement intégré.

Donc, dès les années 1990, on voit bien que cette tentation est forte. François Mitterrand, au lendemain même de la fin de la Guerre froide, s’était posé la question dans le contexte de l’ « hyperpuissance américaine » (pour reprendre l’expression d’Hubert Védrine).

En fait, il y a un questionnement et une tendance ancienne au rapprochement de la France des structures de l’OTAN, dès les années 1990. Ensuite, dans le cadre des opérations en Afghanistan, la France a beaucoup coopéré au sein de la coalition menée par les États-Unis et a donc mesuré toutes les contraintes matérielles sur l’interopérabilité, sur la question de leur place dans les chaînes de commandement.

C’est finalement le pragmatisme du terrain qui a amené à faire sauter le pas – mais pour moi c’était déjà une sorte de verrou d’abord symbolique – de la réintégration dans le commandement en 2009. On a négocié évidemment notre retour, par exemple l’attribution du commandement Transformation de l’OTAN.

Et pour le futur, quels sont les enjeux de la nouvelle présidence de l’OTAN ?

Ils sont multiples. Ils restent financiers évidemment, avec en arrière-plan la question de la bonne coordination des forces au sein de l’Alliance dans une logique d’efforts capacitaires.

Autre enjeu, que ce soit à court (très peu probable), moyen ou long terme, il y aura la question du dialogue aujourd’hui complètement rompu avec la Russie, qui se rouvrira nécessairement à un moment. Quand je dis dialogue, ce ne signifie pas coopération, mais bien de retrouver des formes officielles de dialogue entre l’OTAN et la Russie. Pour cela il faudra vraisemblablement attendre la fin du conflit russo-ukrainien.

Et puis le dernier enjeu, c’est évidemment l’adaptation de l’Alliance en termes organisationnels, en termes de doctrine, face aux mutations d’aujourd’hui. Il y a justement tous les enjeux du flanc sud, donc une nouvelle posture à tenir face à ce qui peut être davantage perçu comme une menace, c’est-à-dire le « sud global ». Il est nécessaire de trouver (et c’est valable en fait sur le flanc est aussi), des formes de dialogue avec les voisins immédiats des membres de l’OTAN, nouer des partenariats stratégiques, et puis trouver des modalités de coopération avec certains de ces voisins pour développer tout le champ de la sécurité, notamment pour tout ce qui ne relève pas directement du militaire.

Les processus de sortie de conflit sont des enjeux par exemple. Il y a les questions de reconstruction post-conflit, de sécurisation des routes maritimes. Autant d’enjeux pour la nouvelle présidence ! La question de la relation transatlantique entre les États-Unis et les Européens reste centrale. On l’a déjà évoquée, mais elle va évidemment rester posée.

On a évoqué Trump mais sur le fond, cette question se pose au moins depuis le pivot stratégique d’Obama vers le Pacifique. Bien entendu, on voit bien qu’il y a des sensibilités différentes entre démocrates et républicains, mais cette question de fond reste un enjeu pour l’Alliance dans la définition de son centre de gravité, de ses objectifs et donc de son périmètre géographique.

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À propos de l’auteur
Walter Bruyère-Ostels

Walter Bruyère-Ostels

Professeur d’histoire contemporaine à l’IEP d’Aix-en-Provence.
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