L’or, les armes et l’islam : comprendre le conflit au Soudan

31 mai 2023

Temps de lecture : 11 minutes

Photo : Le général soudanais Abdel-Fattah Burhan, chef du conseil militaire.Hussein Malla/AP/SIPA

Abonnement Conflits

L’or, les armes et l’islam : comprendre le conflit au Soudan

par

Le Soudan est entré dans une guerre civile qui voit les deux anciens dirigeants s’affronter directement. Un conflit qui a des causes internes mais qui doit aussi se comprendre dans sa dimension régionale par les imbrications des trafics et des idéologies. 

Andrew McGregor est Directeur d’Aberfoyle International Security, une entreprise de Toronto spécialisée dans la sécurité dans le monde musulman.

Article original paru sur le site The Jamestown foundation. Traduction de Conflits.

Le Soudan a mis fin à plus d’un quart de siècle de régime islamo-militaire en renversant en 2019 le président Omar al-Bashir, dont le pouvoir était fondé sur l’islamisme, la suprématie arabe et l’application impitoyable de la puissance militaire. Un gouvernement mixte civil-militaire a été formé pour mener la transition vers une démocratie dirigée par des civils. Cependant, le coup d’État d’octobre 2021 mené par les forces militaires et de sécurité soudanaises a mis fin à tous les progrès réalisés vers un régime civil, rompant par la même occasion la plupart des liens économiques et financiers du Soudan avec l’Occident.

Les Nations unies et les diplomates internationaux ont tenté d’orienter les négociations en vue d’une transition démocratique entre les militaires et la coalition civile des Forces pour la liberté et le changement (FFC). La version finale de l’accord-cadre sur la transition devait être signée le 6 avril. Cependant, la date limite a été dépassée lorsque les forces de sécurité ont indiqué qu’elles n’étaient pas prêtes à signer en raison de l’incapacité de deux éléments concurrents de l’armée à se mettre d’accord sur les dispositions relatives à l’intégration et à la réforme de l’armée.

Echec de l’accord-cadre 

L’accord-cadre prévoyait l’intégration des forces armées soudanaises (SAF, ou al-Quwwat al-Musallaha al-Sudaniya) et des forces de soutien rapide du Soudan (RSF, ou al-Quwat al-Da’m al-Sari). Les SAF sont dirigées par le lieutenant-général Abd al-Fatah al-Burhan, qui est le dirigeant de facto du Soudan en tant que président du Conseil transitoire de souveraineté (TSC), tandis que les RSF sont une force paramilitaire de 30 000 hommes dirigée par le numéro deux du Soudan, le vice-président du TSC, Muhammad Hamdan Daglo « Hemeti ». L’accord-cadre devait conduire le Soudan à un régime civil. Cependant, les Forces armées soudanaises sont fortement politisées et nombre de leurs officiers supérieurs adhèrent à une idéologie islamiste qui rejette l’idée d’un gouvernement laïque. Plutôt que d’unifier les forces de sécurité, l’accord-cadre a finalement mis en évidence leurs divergences. Les partisans de l’ancien président au sein des FAS semblent utiliser ce conflit pour créer un état d’insécurité politique favorable au retour d’un régime islamo-militaire. Des combats à l’échelle nationale ont finalement éclaté le 15 avril entre les deux factions.

Le FSR, qui était fidèle à M. el-Béchir jusqu’à son renversement, a cherché à obtenir un soutien international en accusant l’armée d’organiser un « coup d’État » et de chercher à « répéter les expériences ratées du règne du Mouvement islamique qui a conquis notre pays et détruit les rêves de notre peuple pendant trente ans » (Facebook/RSFCommand, 16 avril). Les paramilitaires qualifient désormais leurs anciens partenaires militaires de « chefs militaires fascistes » soutenus par « une foule d’islamistes corrompus assoiffés du sang du peuple soudanais » (Facebook/RSFCommand, 17 avril). Dans un discours télévisé du 19 février, M. Hemeti a qualifié le coup d’État militaire de 2019 d' »erreur » qui est devenue « une porte d’entrée pour le retour de l’ancien régime » et a mis en garde contre les efforts déployés par les islamistes pour restaurer le régime de M. Bashir (Radio Dabanga, 21 février ; BBC, 20 février).

À lire également

Soudan : les militaires à l’assaut du pouvoir. Entretien avec Marc Goutalier

La RSF, très redoutée au Soudan, est une opération très soudée – le commandant en second est le frère de Hemeti, ‘Abd al-Rahim Hamdan Daqlo, tandis que les commandants de Hemeti sont tous issus de son propre clan Mahariya des Arabes Rizayqat. Les forces paramilitaires ont participé à des opérations financées par les Émirats arabes unis au Yémen et à des opérations anti-insurrectionnelles au Darfour, dans le Kordofan méridional et dans l’État du Nil Bleu. Elle est particulièrement active le long des frontières avec la Libye et la République centrafricaine, et sa réponse brutale aux manifestations anti-régime à Khartoum et ailleurs l’a rendue largement impopulaire. [1]

Dimensions ethniques du conflit

De nombreux Arabes du Darfour, qui constituent la base du FSR, n’aiment pas la classe dirigeante de Khartoum, qui se compose principalement de membres des puissantes tribus arabes du nord du Soudan, basées sur le Nil, qui contrôlent le pays depuis l’indépendance en 1956 : les Ja’alin, les Danagla et les Sha’iqiya (al-Bashir est Ja’alin, al-Burhan est Sha’iqiya). 

Les Arabes des rivières, quant à eux, considèrent les Arabes du Darfour comme arriérés et « africanisés ». Comme beaucoup d’Arabes du Darfour, Hemeti, qui n’a reçu qu’une éducation coranique, pense probablement qu’il ne sera jamais accepté par l’élite militaire et politique des populations riveraines. Al-Burhan, quant à lui, est considéré au Darfour comme le principal architecte d’un génocide des musulmans non arabes et on se souvient de ses menaces d’extermination des Four, qui étaient les anciens maîtres du Darfour.

Lors d’un « atelier sur la sécurité et la réforme militaire » organisé en mars à Khartoum, le FSR a fait allusion à la rivalité de longue date entre les tribus arabes de l’ouest du Soudan et celles de la région du Nil (New Arab, 17 avril). Qualifiant les SAF d' »armée composée d’une milice spécifique appartenant à certaines tribus« , le FSR a rappelé à l’assistance une lutte qui remonte à l’époque du régime mahdiste (1885-1899). À cette époque, les Arabes occidentaux, en particulier les Ta’aisha, ont pris le pouvoir après la mort prématurée du Mahdi en 1885 et la mise à l’écart de ses parents riverains par le successeur Ta’aishi du Mahdi, Khalifa ‘Abd Allahi.

La violence est revenue au Darfour à l’époque moderne avec l’influence croissante du Rassemblement arabe (Tajamu al-Arabi), un groupe suprématiste arabe suivant une idéologie développée par Mouammar Kadhafi et diffusée par les dirigeants de la Légion islamique de Libye (Failaq al-Islamiya) dans les années 1980. 

Des conflits fonciers ont éclaté entre les tribus arabes et les tribus musulmanes non arabes du Darfour, en particulier les Fur, les Zaghawa et les Masalit. Ces derniers groupes se sont unis dans une rébellion pure et simple en 2003, tandis que le gouvernement de Bashir a réagi en lâchant des Janjaweed (une milice arabe soudanaise), des hommes armés et des bandits, sur la population civile non arabe, sous la direction de l’armée. Le chef des Janjawids était Shaykh Musa Hilal ‘Abd Allah, le nazir (chef) du clan Um Jalul des Arabes Mahamid, une branche des Rizayqat du nord du Darfour. L’un de ses adjoints pendant la période 2003-2005 où les Janjawids ont commis les pires exactions (meurtres, viols, tortures, incendies) était Hemeti, un cousin du clan Awlad Mansur de la branche Mahariya des Rizayqat du Nord[2]. [2]

Crimes des Janjawids

Lorsque les crimes des Janjawids ont commencé à attirer l’attention internationale en 2005, le gouvernement a intégré les tireurs dans les gardes-frontières (Haras al-Hudud), une petite unité montée sur des chameaux. L’intégration dans les structures de sécurité officielles a protégé les Janjawids des poursuites judiciaires et les a placés sous un contrôle plus étroit du gouvernement. En 2013, cette formation s’est transformée en FSR, conçue comme une force anti-insurrectionnelle composée principalement d’anciens Janjawids. Les FAR ont été placées sous l’autorité directe du Service national de sécurité et de renseignement (NISS, ou Jihaz al-Amn al-Watani wa’l-Mukhabarat) plutôt que de l’armée et sont devenues notoires pour leurs violations des droits de l’homme et leur manque de discipline. Même à ce stade précoce, le FSR s’est fait connaître pour ses affrontements avec les Forces armées soudanaises.

Les factions ne parviennent pas à s’intégrer

Depuis qu’il est devenu le dirigeant de facto du Soudan en 2019, M. al-Burhan s’est montré incapable de maîtriser les FAR. Il l’a laissé devenir, comme certains le suggèrent, un « État dans l’État ». Le FSR, avec ses jeunes dirigeants, offre depuis un certain temps une meilleure formation et de meilleures possibilités de gagner de l’argent que l’enrôlement dans les Forces armées soudanaises.

La SAF souhaite que la RSF soit intégrée à l’armée dans un délai d’un an ou deux au maximum. Le FSR, quant à lui, préfère un délai de dix ans (en d’autres termes, pas d’intégration réelle du tout). Les médiateurs de l’ONU ont proposé un compromis de cinq ans, qui a été rapidement rejeté par les deux parties (New Arab, 17 avril).

Le pouvoir et l’influence de Hemeti disparaîtront si les FAR passent sous le commandement de l’état-major interarmées des FAS. Le chef du FSR a donc exigé que son organisation paramilitaire relève directement d’un gouvernement civil. Cela a essentiellement préservé l’autonomie du FSR tout en permettant à Hemeti de conserver un rôle politique majeur.

À lire également

Le Soudan peut-il se relever ?

Al-Burhan a dissous le FSR le 17 avril et l’a qualifié de mouvement « rebelle« , ajoutant qu’il s’agissait d’une affaire interne qui ne nécessitait pas d’ingérence de la part de la communauté internationale. Des questions se posent toutefois quant à l’autorité légale d’al-Burhan pour dissoudre le FSR (Radio Dabanga, 18 avril). Pour Jebril El-Abidi, c’était une erreur d’essayer d’intégrer les FAR dans l’armée nationale en tant qu’unité complète, encourageant ainsi la loyauté envers les dirigeants des FAR plutôt qu’envers le commandement général (Asharq al-Awsat, 20 avril).

Quand l’or aggrave les choses

Le Soudan est aujourd’hui le troisième producteur d’or en Afrique. Cependant, jusqu’à 80 % de la production est exportée en contrebande hors du pays, en grande partie vers la Russie. Cela ne contribue en rien aux recettes de l’État, déjà fortement diminuées par la séparation du Sud-Soudan, riche en pétrole.

En plus des sanctions américaines existantes, des sanctions européennes ont été imposées en mars à M-Invest et à sa filiale Sudan Meroe Gold, des sociétés minières liées au groupe russe Wagner, pour commerce illégal d’or « pillé par la force aux négociants locaux » (Sudan Tribune, 2 mars). En mars 2022, un cadre d’une mine d’or soudanaise a informé le Telegraph que la Russie faisait passer en contrebande 30 tonnes d’or du Soudan chaque année afin de constituer ses réserves et d’affaiblir les effets des sanctions imposées à la Russie pour son invasion en cours de l’Ukraine. L’or est transporté dans de petits avions à partir d’aéroports militaires non soumis à des inspections douanières (The Telegraph, 3 mars 2022). Le ministre soudanais des Minéraux, allié de RSF, a qualifié ces allégations de « sans fondement » (Sudan Tribune, 11 mars 2022).

Les mines éloignées exploitées par Meroe Gold étaient gardées par le personnel du groupe Wagner, qui était également impliqué dans la formation du FSR (Sudan Tribune, 21 mars 2022). On ne sait pas si Wagner continue à jouer ces rôles ; le propriétaire du groupe Wagner, Yevgeny Prigozhin, insiste sur le fait que Wagner n’est plus présent au Soudan depuis deux ans. Les autorités américaines ont affirmé que le groupe Wagner fournissait désormais des armes au FSR par l’intermédiaire de bases en Libye et en République centrafricaine (The New Arab, 22 avril).

Des documents obtenus par une ONG de lutte contre la corruption ont révélé que le FSR possède son propre compte bancaire à Abou Dhabi, qu’il utilise pour obtenir des véhicules susceptibles d’être transformés en « véhicules techniques » équipés de mitrailleuses. Le financement provient de la société al-Junaid Gold Company, qui appartient officiellement à Abd al-Rahim Hamdan Daglo et à ses deux fils (Global Witness, 5 avril 2020). Al-Junaid s’est depuis diversifiée dans de nombreuses autres activités économiques, dont les revenus assurent l’indépendance du FSR.

Au Darfour, de l’or a été découvert en 2012 à Jabal Amer (au nord-ouest de Kabkabiya). En juillet 2015, Musa Hilal et ses partisans mahamides ont pris le contrôle de Jabal Amer après avoir massacré des centaines d’Arabes Bani Hussayn qui travaillaient dans les mines artisanales. Ils en ont tiré d’énormes profits jusqu’à l’arrestation de Musa en novembre 2017, date à laquelle le contrôle des mines a été transféré à Hemeti et aux FAR. Les Forces armées soudanaises ont à leur tour pris le contrôle de Jabal Amer en octobre 2020.

L’or de contrebande est généralement exporté via la RCA occupée par le groupe Wagner ou par voie aérienne vers la base russe de Lattaquié, en Syrie. Des éléments du groupe Wagner ont été accusés d’avoir attaqué des mineurs d’or artisanaux près de la frontière avec la RCA (Radio Dabanga, 1er août 2022). Moscou n’a que peu d’intérêt pour un retour à un régime civil au Soudan, car l’une des premières tâches d’un nouveau gouvernement serait de prendre le contrôle des exportations d’or afin de s’assurer que les recettes aboutissent dans le trésor public plutôt que dans des mains privées.

Au-delà de l’or, un accord a été conclu en février entre la Russie et les dirigeants militaires soudanais pour l’établissement d’une base navale russe sur la côte de la mer Rouge en échange d’armes et d’équipements militaires, bien qu’il attende d’être ratifié par un nouveau gouvernement civil (al-Arabiya, 11 février ; Sudan Tribune, 11 février). L’accord, d’une durée de 25 ans, avec des prolongations automatiques de 10 ans si aucune des parties ne s’y oppose, prévoit une base de 300 militaires russes capable d’accueillir quatre navires russes à la fois, y compris des navires à propulsion nucléaire [3]. L’Égypte et l’Arabie saoudite sont toutes deux mécontentes de cet accord, qui prévoit une présence navale russe à long terme dans la zone stratégique de la mer Rouge. Les diplomates français, américains, britanniques et norvégiens ont tous exprimé leur inquiétude quant à l’implication croissante des entreprises et du personnel du groupe Wagner au Soudan, facilitée en grande partie par la FSR [4].

L’islamisme dans l’armée régulière

Le RSF a accusé les « chefs militaires fascistes » de l’armée de « manie religieuse » (Facebook, 17 avril ; Facebook, 18 avril). De nombreux loyalistes islamistes d’Al-Bachir, connus sous le nom de keizan, occupent une place importante dans les hauts rangs de l’armée. Les loyalistes d’el-Béchir et le parti islamiste interdit du Congrès national (NCP, qui opère désormais sous le nom de « Mouvement islamiste ») ont intensifié leurs activités ces dernières semaines, appelant à l’assassinat de l’envoyé de l’ONU Volker Perthes et attaquant des manifestants pro-démocratie à Khartoum-Nord (Reuters, 11 avril). Les islamistes décrivent les militants pro-démocratie comme des laïcs désireux d’attaquer la foi islamique traditionnelle du Soudan (Middle East Monitor, 9 avril 2019).

À lire également

Le Soudan : un retour en Afrique ?

Avant que les combats actuels n’éclatent, le FFC et ses partenaires ont mis en garde contre les efforts du PCN visant à provoquer une confrontation entre l’armée et les FRS qui créerait des conditions favorables à un retour au pouvoir islamiste. Des islamistes de premier plan et des membres du PCN (y compris ceux détenus pour violation des droits de l’homme) ont commencé à quitter les centres de détention et à réintégrer des postes gouvernementaux (en particulier au sein des services de renseignement militaire et du ministère des affaires étrangères) après le coup d’État militaire de 2021, tandis qu’al-Burhan a dissous un comité chargé d’enquêter sur les accords de corruption entre le gouvernement du PCN et l’armée. Le général Ahmad Ibrahim Mufaddal, un fidèle du PCN, a été nommé en novembre dernier à la tête du Service de renseignement général (GIS, ou Jihaz al-Mukhabarat al-‘Amma), successeur du puissant NISS qui exerçait une main de fer sur la dissidence politique sous le régime de Bashir. Les FAR, considérées comme des traîtres pour avoir échoué à empêcher le renversement d’Al-Bachir, sont particulièrement détestées par les islamistes.

Ces derniers jours, les prisons du pays ont été vidées de milliers de détenus criminels et politiques, qu’ils aient été libérés ou qu’ils se soient évadés. Parmi ceux qui sont sortis de la tristement célèbre prison de Kober figurent Ahmad Haroun, qui est recherché par la Cour pénale internationale, et les principaux islamistes du régime d’Al-Bashir, dont l’ancien vice-président Ali ‘Uthman Muhammad Taha, Awad al-Jaz et Nafi al-Nafi. Le FFC et le RSF affirment que l’armée a l’intention de rétablir les principaux islamistes au pouvoir. Al-Bashir lui-même se trouverait toujours dans un hôpital militaire (Darfur 24, 25 avril ; Darfur 24, 26 avril ; Al Jazeera, 26 avril ; Radio Dabanga, 26 avril).

Conclusion

Les combats sont en cours dans la plupart des régions du Soudan, mais ils sont particulièrement intenses au Darfour, où se trouve la base du pouvoir d’Hemeti, mais aussi la source d’une grande partie de la base des Forces armées soudanaises. Les affrontements tribaux de longue date dans l’ouest du Darfour se sont intensifiés avec l’effondrement de la sécurité. Khartoum a subi des pillages, des combats de rue et des bombardements aériens.

Une victoire des Forces armées soudanaises permettrait probablement d’ancrer le régime militaire islamiste, tandis qu’une victoire des Forces de sécurité soudanaises pourrait laisser la place à un gouvernement civil, mais uniquement sous l’influence des Forces de sécurité soudanaises. Les forces paramilitaires continueraient d’absorber les armes et les installations des SAF et deviendraient la seule organisation de sécurité au Soudan. L’ambitieux Hemeti cherchera probablement à jouer un rôle de premier plan dans tout nouveau gouvernement, éventuellement en tant que chef d’État.

Toute guerre au Soudan a de fortes chances de s’étendre à ses voisins instables, tels que le Tchad, la République centrafricaine, la Libye et le Sud-Soudan. Le groupe Wagner est déjà impliqué dans ces trois derniers pays.

Hemeti a du mal à vendre sa nouvelle image de champion de la démocratie, car il tente de présenter al-Burhan comme la figure de proue d’un mouvement islamiste radical et utilise des slogans tels que « le pouvoir appartient au peuple » et « ce qui se passe aujourd’hui est le prix de la démocratie ». Hemeti a même tenté d’affirmer que les RSF combattent al-Burhan « et son gang islamiste » (les keizan) au sein des SAF, et non l’armée elle-même (Radio Dabanga, 17 avril). De même, Al-Burhan a laissé entendre qu’il n’était prêt à négocier qu’avec les « parties au sein du FSR » cherchant le dialogue, et non avec les dirigeants actuels du FSR (Sudan Tribune, 20 avril).

Si l’accord-cadre est signé et que des élections libres s’ensuivent, la faction islamiste perdra toute chance de reprendre le contrôle du Soudan, à moins d’organiser un nouveau coup d’État qui, dans le contexte actuel, se heurterait à une résistance massive dans les rues et sur la scène internationale. Malgré leur rhétorique, Hemeti et son armée privée n’ouvriront pas la voie à une transition démocratique et à un régime civil. Pour les islamistes, il s’agit donc peut-être de leur dernière chance de s’emparer du pouvoir.

Notes 

[1] Voir « Armée à vendre : Sudan’s Rapid Support Forces and the Battle for Libya », rapport spécial de l’AIS, 4 août 2019.

[2] Les Rizayqat Abbala (Arabes éleveurs de chameaux) du nord comprennent les groupes Mahamid, Mahariya et Irayqat. Le noyau des Janjawids était constitué des branches Mahamid et Mahariya des Rizayqat du nord. Les Baqqara Rizayqat du sud (Arabes éleveurs de bétail) n’avaient pas grand-chose à voir avec les Janjawids. La signification du terme Janjaweed est controversée, mais elle est communément donnée comme « diables à cheval ». Ce terme n’a pas été utilisé par les milices arabes elles-mêmes ni par le gouvernement[3].

[3] Pour les mercenaires russes au Soudan et la recherche par Moscou d’une base navale sur la côte soudanaise de la mer Rouge, voir :  » Russian Mercenaries and the Survival of the Sudanese Regime « , Eurasia Daily Monitor, 6 février 2019.

[4] Pour plus de détails, voir « Putin’s New Russian Empire is Suddenly on the Rocks : How the War in Ukraine Threatens Russian Interests in Sudan, » AIS Special Report on Ukraine No.3, 24 mars 2022.

Mots-clefs : ,

Vous venez de lire un article en accès libre

La Revue Conflits ne vit que par ses lecteurs. Pour nous soutenir, achetez la Revue Conflits en kiosque ou abonnez-vous !

À propos de l’auteur
Revue Conflits

Revue Conflits

Fondée en 2014, Conflits est devenue la principale revue francophone de géopolitique. Elle publie sur tous les supports (magazine, web, podcast, vidéos) et regroupe les auteurs de l'école de géopolitique réaliste et pragmatique.

Voir aussi