<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Londres : « la meilleure ville du monde » ?

10 septembre 2022

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Photo : Crédits: Unsplash

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Londres : « la meilleure ville du monde » ?

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Sadiq Khan a qualifié Londres de « meilleure ville du monde » tant il est vrai que sa ville est propre, bien tenue et qu’elle attire de nombreux Européens. La comparaison avec Paris est en très nette faveur de la capitale anglaise ; le Brexit n’a pas conduit les entreprises à traverser le Channel pour changer la localisation de leurs activités. Pourtant, comme les autres villes européennes, elle est confrontée aux défis du multiculturalisme. 

 Londres est l’une des plus grandes villes d’Europe et pourtant les 9 millions de Londoniens y vivent souvent comme dans un village. Hors de la City, de Westminster, de Piccadilly et de quelques autres exceptions, l’habitat ne s’est pas développé en hauteur. Il est constitué de maisons, dont certaines restent individuelles et familiales, tandis que d’autres ont été divisées en appartements. Chaque pâté de maisons entoure des jardins arborés qui agrémentent, à l’étage le plus bas, les garden flats. On trouve toujours dans ces « villages » de Chelsea, South Kensington, Mayfair, Fulham, Islington, Chiswick, Notting Hill, Primrose Hill, Hampstead et bien d’autres encore, un parc pour faire courir son chien, des marchés bio et des églises de toutes obédiences, une artère principale dotée de boutiques en tous genres, librairies, pâtisseries qui se prétendent françaises – et c’est peut-être vrai –, toilettage pour animaux domestiques, restaurants exotiques, un ou deux pubs à l’ancienne, sans oublier les petits magasins tenus par des Pakistanais vendant tôt le matin et jusque tard le soir barres de chocolat, chips au vinaigre, Marmite, vin, bière, journaux, cigarettes et billets de loterie. Les églises organisent des concerts, de prestigieuses universités des conférences. Des gentlemen prennent des cours de boxe et des députés se déplacent à vélo. Dans les rues, qu’il fasse beau ou qu’il pleuve, l’air est frais, presque maritime, et l’atmosphère paisible. Les regards qui se croisent suscitent un sourire ou un amical salut. La réserve et la courtoisie s’imposent avec naturel. La tolérance aussi, à l’égard des excentriques, des travestis, des punks et des étrangers qui sont les bienvenus dans cette ville multiculturelle et heureuse de l’être. Même les flics sont aimables et, cerise sur le gâteau, les rues sont propres, nettoyées tous les jours par des balayeurs scrupuleux que chaque piéton salue avec reconnaissance. Pourquoi vivre ailleurs ?

Sixième ville de France ?

C’est une question que se posent de nombreux Européens – un million d’entre eux vivent à Londres, dont quelque 300 000 Français – après le référendum du 23 juin 2016 favorable au Brexit. Tous s’interrogent alors sur leur avenir personnel et professionnel. Comme la plupart des Londoniens, ils ont jugé ce référendum déraisonnable. Ces derniers ont été l’exception dans le pays en votant massivement – 59,9 % – en faveur de Remain, pour rester dans l’Union, alors que 51,89 % des autres Britanniques ont voté Leave pour la quitter. Face au choc de ce divorce non consenti, le maire de Londres, Sadiq Khan, musulman et travailliste, a chanté les louanges de sa ville qu’il a qualifiée de « mondialisée et européenne », dans laquelle règnent « l’idée de progrès, les valeurs libérales, l’honnêteté et la diversité ». S’adressant aux Européens de Londres, Khan leur a dit : « Vous êtes des Londoniens, vous n’enrichissez pas seulement l’économie de notre ville, vous enrichissez aussi notre société et notre vie culturelle, vous êtes le pivot de nos succès et l’une des principales raisons qui expliquent pourquoi Londres reste la meilleure ville du monde. » Pour Khan, qui a milité en faveur de Remain, Londres est en phase avec l’idée d’une Europe unie et sa vision d’un avenir de paix et de prospérité commune : « Nous allons continuer, ajoute-t-il, à accueillir des gens venus du monde entier, quelle que soit la couleur de leur peau, celle de leur passeport ou de leur drapeau. »

Le 30 janvier 2020, à minuit (heure de Paris), le Royaume-Uni quittait définitivement l’Union européenne, et deux ans plus tard, les promesses de Boris Johnson ne sont toujours pas honorées – aucun flot d’argent qui n’est plus versé à l’UE n’est venu se déverser dans les caisses de la NHS, le système de santé britannique, et toujours pas de Global Britain à l’horizon, ce carrefour mondialisé des échanges commerciaux et financiers dont rêvaient les ardents « brexiteurs ». Londres n’est pas encore la Singapour de l’Europe, un pétulant paradis fiscal face aux enfers fiscaux du continent. Mais les catastrophes annoncées ne se sont pas non plus matérialisées.

Comme prévu, le Brexit a eu un impact négatif sur le Royaume-Uni qui a enregistré une baisse notable de ses échanges avec les pays de l’Union, mais son économie n’a pas décroché de celles de ses voisins européens. Les chiffres, qu’il faut lire sans oublier qu’ils ont aussi été affectés par la pandémie du Covid, montrent une chute du PIB britannique de 9,08 % en 2020. C’est beaucoup, mais relativisons en rappelant que le PIB français était à -8 % la même année, et celui des pays de l’Union s’établissait en moyenne à -6,3 %[1]. Bref, tout le monde a souffert.

Depuis, la situation s’est améliorée, et la City reste, au grand dam de certains, le principal centre financier européen et le deuxième du monde après New York. Les amateurs de Shadenfreude sont donc déçus. Ni Paris ni Francfort n’ont remplacé Londres, mais Amsterdam s’établit désormais comme la première place financière de l’Union européenne pour avoir su récupérer le marché des transactions des actions des sociétés de l’Union qui était, avant le Brexit, un quasi-monopole de la City.

La vague de banquiers fuyant Londres – tant redoutée par la City et espérée par Bruno Lemaire, ministre français de l’Économie qui annonçait que « Paris allait devenir la première place financière dEurope » –, ne s’est pas concrétisée non plus. Des transferts d’emplois vers l’UE ont bien eu lieu dans le secteur bancaire, mais ces employés envoyés dans l’Union, le plus souvent à Dublin, Paris, Francfort ou Amsterdam, avaient pour seule mission de répondre à une clientèle européenne dans l’impossibilité de traiter avec Londres à cause du Brexit. Ces transferts n’ont concerné que 7 600 emplois, selon le cabinet EY. C’est très peu en regard du million de personnes qui travaillent dans la finance au Royaume-Uni, dont environ 200 000 à Londres.

Dans un chapitre de son livre Une autre histoire de Londres[2], Boris Johnson, alors maire de la ville, évoque le xviiie siècle, celui de John Wilkes, né en 1725 ou 1726, et que Johnson qualifie de « père du libéralisme ». Londres, alors, est déjà une ville extraordinaire : « Quand Wilkes voit le jour, écrit Johnson, la Banque d’Angleterre et la Bourse ont déjà trente ans. »  Les colonies de la Grande-Bretagne enrichissent les marchands, les banquiers financent la construction des navires et la création de plantations, les assureurs les assurent et « tous ces gens, continue Johnson, apportent de l’argent à Londres et les besoins d’une bourgeoisie en pleine expansion font tourner les rouages des industries de toutes sortes ».

La City reste encore aujourd’hui le moteur de la prospérité londonienne. La capitale britannique est la seule ville en Europe qui rassemble un tel réseau de financiers, d’avocats et d’assureurs. C’est grâce à la City que Londres résiste aux aléas du Brexit, alors que celui-ci constitue, selon une éditorialiste du Financial Times, « une blessure qui saigne lentement[3] ».

Pour l’instant, rien ne change, à part la hausse des prix des vins français et des citrons espagnols. Les banquiers ont toujours leurs tailleurs à Savile Row, les juges et les avocats leurs perruquiers à Chancery Lane, et les assureurs assurent avec plaisir tout et n’importe quoi, comme chez la Lloyds d’autrefois, la chute d’astéroïdes, l’attaque de Martiens ou les jambes de Marlène Dietrich.

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[1] Source : FMI.

[2] Page 163, Robert Laffont, 2013.

[3] « Brexit is a slow bleed for the City of London », The Financial Times, 23 novembre 2021.

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À propos de l’auteur
Michel Faure

Michel Faure

Michel Faure. Journaliste, ancien grand reporter à L’Express, où il a couvert l’Amérique latine. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages consacrés à cette zone, notamment Une Histoire du Brésil (Perrin, 2016) et Augusto Pinochet (Perrin, 2020).

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