Le modèle américain. Une banlieue pavillonnaire construite par William Levitt à Long Island en 1947. D’autres « Levittown » seront construites ensuite à l’identique. Le principe sera importé en France dès 1968 à Le Mesnil-Saint-Denis, puis à Mennecy.
Depuis les années 1960, la périurbanisation répond à une forte demande de logements en proposant un mode d’habitat jusqu’alors inédit en ville, mais devenu majoritaire dans ses périphéries : les lotissements pavillonnaires. Contre-pied architectural des immeubles collectifs qui symbolisent la densité des centres, ils constituent désormais une préférence française, selon un modèle qui rappelle l’utopie des cités-jardins et qui copie implicitement l’American way of life caractérisé par la maison individuelle proche de la nature.
Concrètement, les lotissements de maisons individuelles marient surtout plusieurs utilités : l’accession à la propriété privée « avec jardin » pour les classes moyennes, la manne financière des promoteurs immobiliers aux dépens des zones agricoles utiles, l’exclusivité de l’automobile, individuelle elle aussi, comme palliatif à la proximité réelle. S’ils confortent certes un style de vie néorural à la mode, ils écorchent également la définition historique des villes en tant qu’unités socio-spatiales. Les choix résidentiels offerts par ce que l’on appelle désormais des « aires urbaines » modifient la logique des « contacts » sociaux. Ils multiplient les îlots dans des enclaves sans échange avec leur voisinage, et cette séparation s’inscrit jusque dans leur plan d’urbanisme : les rues dessinées en forme de « raquettes » impliquent que les lotissements pavillonnaires ne soient plus fréquentés que par ceux qui les habitent.
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Ainsi, si l’étalement urbain a permis de jouir de la ville à la campagne, il a également mis en place de nouvelles frontières sociales. La ville étalée juxtapose des espaces aux modes de vie propres. Aux États-Unis, les gated communities extrapolent ce phénomène et en dessinent la prospective française : leur accès est réservé aux résidents et concrétisent une ségrégation socio-spatiale fondée sur une adhésion volontaire. Elles réifient une fragmentation urbaine basée sur le syndrome NIMBY (Not in my backyard), qui pousse les riverains à refuser l’intrusion de ce qui ne correspond pas à leur choix dans leur voisinage. Les lotissements préfigurent l’individualisme et l’égoïsme spatial de populations qui ont construit leur cadre de vie selon leur idéal du confort, qu’elles souhaitent désormais conserver en repoussant ailleurs, donc chez les autres, des « nuisances » engendrées par le fonctionnement de la ville. Comme les grands ensembles, ils contribuent à l’érosion de l’identité urbaine, c’est-à-dire à la fin d’une ville conçue comme le regroupement proximal d’un groupe défini par une logique localiste. Mais ils manifestent aussi une réaction face aux grands ensembles et à la montée des prix de l’immobilier en centre ville : après tout, les habitants des zones pavillonnaires votent avec leurs pieds, et leurs portefeuilles.
Dans ce contexte, entre les choix individuels et les besoins collectifs, l’arbitrage constitue une géopolitique manœuvrée par un jeu d’acteurs complexe : une population qui souhaite isoler son espace de résidence pour faire sécession, des acteurs économiques qui tirent leurs avantages de la « périphérisation » immobilière, et des édiles qui légifèrent au mieux avec la communication et l’urbanisme réglementaire pour maintenir un ensemble cohérent.
Le résultat pose aujourd’hui une série de questions. Socialement, certains lotissements apparaissent extrêmement ségrégatifs : même type de logements, de structures familiales, de revenus, de modes de vie. Esthétiquement, ils ne se démarquent pas véritablement des cités ouvrières : maisons banales répétées avec monotonie dans une médiocrité urbanistique qui contraste avec la symbolique vernaculaire du centre et la richesse mélangée des banlieues. Dans le contexte d’une transition énergétique devenue urgente, ils regroupent in fine les défis à relever : la dépendance à l’automobile, l’absence de services de proximité, l’impossibilité de financements collectifs dans des espaces trop peu denses, l’exclusion d’une population vieillissante dans une structure résidentielle trop peu réversible. Autant de problèmes qui, outre leur dépréciation récente sur le marché immobilier, révèlent les limites de l’engouement pour le « pavillon ».