L’œuvre institutionnelle de Napoléon s’est diffusée dans le monde entier. Entretien avec Daniel Polverelli

15 septembre 2023

Temps de lecture : 5 minutes

Photo : Napoléon Ier couronné par le Temps, écrit le Code Civil par Jean-Baptiste Mauzaisse, 1833. (c) wikipedia

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L’œuvre institutionnelle de Napoléon s’est diffusée dans le monde entier. Entretien avec Daniel Polverelli

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Homme de guerre, Napoléon est aussi un homme de droit. Le code civil établi sous son règne a structuré les institutions françaises mais aussi de nombreuses institutions à travers le monde. C’est ce rayonnement international du droit napoléonien qu’étudie Daniel Polverelli dans un ouvrage récemment paru.

Entretien avec Daniel Polverelli, docteur en droit, chargé de cours à l’Université de Corse. Auteur de Le rayonnement des institutions napoléoniennes à travers le monde. Propos recueillis par Antoine-Baptiste Filippi.

Pourquoi ce choix de consacrer un ouvrage au rayonnement des institutions napoléoniennes à travers le monde ?

Au cours de mes travaux de recherche juridique sur la transmission du patrimoine, j’ai été amené à travailler sur les systèmes juridiques consacrés par d’autres pays, et ai pu constater que l’héritage institutionnel de l’Empereur des Français bénéficiait d’une aura planétaire. Lors d’un voyage au Japon, j’ai été surpris de découvrir qu’un archipel aussi éloigné géographiquement et culturellement de la France s’est inspiré, avec pragmatisme, d’institutions issues des modèles administratif et juridique consacrés en France, par Napoléon Bonaparte. Paradoxalement, en dépit d’une littérature foisonnante sur l’Empereur des Français, le sujet du rayonnement des institutions napoléoniennes à travers le monde n’avait jamais été abordé dans sa globalité. Le sujet est inédit. C’est pourquoi il m’a semblé opportun d’entreprendre un passionnant travail de recherche qui a donné lieu à la production de cet ouvrage adressé au grand public.

Quelle explication pour une telle longévité des institutions napoléoniennes, plus de deux siècles après la disparition de leur initiateur ?

À l’image des génies de l’art ou de la littérature, Bonaparte a légué au monde une contribution immatérielle intemporelle, et universelle. Son œuvre « politique » (refondation des institutions, aménagement du territoire, encadrement de la pratique religieuse, développement de l’enseignement, structuration du droit et du monde économique, rétablissement des distinctions civiles et militaires, etc.) est parvenue, en traversant les siècles, à s’ancrer durablement dans le fonctionnement de notre société. Le recul de l’Histoire permet à présent d’en apprécier l’étendue. L’œuvre administrative et juridique de Napoléon Bonaparte constitue aujourd’hui encore la colonne vertébrale institutionnelle de la République française. Cet héritage spirituel se caractérise par une remarquable adaptabilité à son objet. Ces institutions se sont parfaitement intégrées aux différents régimes politiques qui ont jalonné leur histoire. Du consulat, à l’Empire, de la monarchie à la République dont elles constituent l’intangible socle organisationnel. Pétries de valeurs humanistes universelles, ces institutions ont traversé avec une extraordinaire vitalité les régimes successifs de la France durant deux siècles jusqu’à nos jours.

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Comment expliquez-vous l’universalité du rayonnement de ces institutions au-delà des frontières de l’Empire napoléonien ?

Bonaparte a donné naissance à un nouvel impérialisme culturel, favorisant l’émergence d’une modernisation politique au bénéfice de nombreuses nations à travers le monde. Le perfectionnement du macro-système institutionnel conçu par Napoléon Bonaparte lui attribue une aura internationale. Le système s’est, au fil du temps, érigé en modèle pour de nombreux États qui en ont, plus ou moins fidèlement, adapté différentes composantes. De fait, il apparait que les succès militaires menés sous l’égide de Bonaparte lui ont, à l’évidence, permis en premier lieu d’imposer sa vision organisationnelle aux pays annexés. La Puissance du « Grand Empire », selon la formule empruntée à Jean Tulard, contribue de manière significative à expliquer le rayonnement des institutions napoléoniennes en Europe. Dupliqué dans de nombreux États africains, asservis par la conquête coloniale, ce modèle va également se projeter vers d’autres continents, rencontrant un écho éminemment favorable auprès de plusieurs souverains désireux d’en adapter les réussites avérées aux besoins de leurs pays respectifs. Le modèle institutionnel napoléonien va ainsi rayonner au-delà des frontières de l’Europe pour conquérir une grande partie du monde, irriguant abondamment la construction institutionnelle de nombreux pays au travers des cinq continents.

Parmi le considérable héritage institutionnel de Napoléon Bonaparte, quelles sont les institutions les plus exportées ?

L’héritage institutionnel de Napoléon Bonaparte est effectivement colossal. Au regard de la richesse de l’œuvre spirituelle de Napoléon Bonaparte, le recensement des institutions napoléoniennes peut difficilement prétendre à l’exhaustivité. Si nous retenons notamment, la création des lycées modernes, de grandes Écoles, ou du baccalauréat, en matière d’éducation, l’instauration du corps préfectoral, de la Banque de France, des Chambres de commerce, de la Légion d’honneur, la création de la Cour des comptes, des cours d’appel, de la Cour de cassation, ou du Conseil des Prud’hommes, son œuvre la plus exportée dans le monde demeure sans conteste le code civil. À la fois, point de départ et clé de voûte du système juridique napoléonien, cet ouvrage uniformise pour la première fois dans l’Histoire de France les règles de vie commune des Français en regroupant l’ensemble des normes qui déterminent le statut des personnes et des biens. Conscient du poids de cette contribution inestimable rendue au monde juridique, Napoléon y attache une symbolique particulière. Ainsi à Sainte-Hélène, il affirmait encore : « Ma vraie gloire, ce n’est pas d’avoir gagné quarante batailles : Waterloo effacera le souvenir de tant de victoires. Ce que rien n’effacera, ce qui vivra éternellement, c’est mon Code civil ». Le Code civil demeure aujourd’hui l’ambassadeur le plus prestigieux de la culture juridique française.

Votre ouvrage transporte le lecteur dans de très nombreux pays issus des cinq continents. Dans quelles régions du monde l’œuvre de l’Empereur est-elle la plus présente ?

L’œuvre institutionnelle de l’Empereur des Français est plus de deux siècles après la disparition de son auteur, toujours bien présente sur les cinq continents. Naturellement, cet héritage s’avère plus prégnant au cœur des pays conquis par Bonaparte. Si je devais retenir un pays où cet héritage est le plus vivant, j’évoquerais volontiers la Belgique. Ce choix pourrait sembler quelque peu paradoxal dans le site de Waterloo a précipité la chute de l’Empire de Napoléon 1er. L’architecture institutionnelle belge demeure largement inspirée du modèle consacré par Napoléon Bonaparte. En témoignage d’une indéfectible fidélité de ce pays à l’héritage spirituel de l’Empereur des Français, certaines institutions disparues en France, telles que le Code d’instruction criminelle ou les juges de paix, subsistent aujourd’hui encore en Belgique, alors même qu’elles ont disparu en France depuis plusieurs décennies. Observateur averti de ce phénomène d’acculturation, Hervé Hasquin n’hésite pas à affirmer que « de tous les pays conquis, totalement ou partiellement par la France, la Belgique est certainement celui où l’empreinte laissée par la cohabitation est restée la plus inaltérable ».

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Pensez-vous que ces institutions ont encore de l’avenir au sein d’un mode en perpétuelle mutation et en perte de repères ?

L’œuvre institutionnelle de Napoléon Bonaparte demeure, aujourd’hui encore, un référentiel testé avec succès, en vertu d’une adaptabilité optimale mise à l’épreuve d’une diversité géographique et historique sans équivalent. La cohérence d’un tel dispositif réside aussi bien dans la prodigalité des fondements philosophiques qui sous-tendent son existence que dans la parfaite coordination de ses déclinaisons opérationnelles. À l’heure où les repères de notre société sont mis à mal par l’émergence de nouveaux concepts tels que l’obsolescence programmée, je suis convaincu que les aspects fondamentaux issus de l’héritage institutionnel de l’Empereur continueront à structurer l’organisation de nos sociétés. Le développement des nouvelles technologies permettra sans doute de moderniser l’accès à ses institutions (numérisation du cadastre, codification du droit en ligne, etc.) sans pour autant menacer l’existence des concepts napoléoniens.

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