Chrétiens d’Orient et diaspora, Méditerranée, littérature espagnole, expédition française au Mexique. Aperçu des livres de la semaine.
Antoine Fleyfel, Charbel Maalouf (dir.), Les chrétiens d’Orient en diaspora, dispersion, dilution, structuration ? L’Harmattan, 21€.
À l’exception des Coptes orthodoxes égyptiens, principal réservoir démographique de la chrétienté dans le Machreq, pratiquement toutes les Églises d’Orient ont plus de fidèles en Occident que dans les pays d’origine (Syrie, Liban, Irak, Palestine, Jordanie). Ce phénomène méritait que des chercheurs s’attardent sur les modifications en cours. L’Institut chrétiens d’Orient créé en 2020 par le philosophe et théologien franco-libanais Antoine Fleyfel, avait organisé en mai 2023 un colloque exceptionnel consacré aux visages des diasporas chrétiennes orientales en Amérique du Nord et en Europe. L’occasion de faire le point sur une situation extrêmement mouvante en confrontant les difficultés du présent et de proposer des jalons pour l’avenir.
Ainsi, Joseph Maïla rédige un article d’introduction générale quand Serge Dewel revient sur les diasporas arménienne et grecque en Éthiopie. De son côté le théologien franco-syrien Samir Arbache s’intéresse au sort des chrétiens en Europe, quand le théologien franco-libanais Antoine Fleyfel pose les jalons d’une réflexion théologique contextuelle à partir du cas des maronites établis à Lyon.
De son côté le théologien Michel Younès aborde le cas des maronites à Lyon, tandis que Tigrane Yégavian réfléchit sur les réseaux arméniens transnationaux d’Europe et d’Orient dans une approche comparative et critique.
Privilégiant l’approche interdisciplinaire, ses différentes communications réunies en un ouvrage ne font pas l’impasse du passé ni du présent, tout au plus elles réfléchissent pour la première fois sur ce qu’être chrétiens d’Orient en situation diasporique peut signifier. Il faut pour cela relire les pères de l’Église venus d’Orient qui considéraient que le chrétien n’étant pas de ce monde est déjà « en diaspora », comme l’évoque l’historien et patrologue Charbel Maalouf dans son article.
Tigrane Yégavian
Confluences Méditerranée n°130 Automne 2024, Crises de l’environnement, crises du politique, 20€.
La Méditerranée et le Moyen-Orient constituent un arc de crises multiples, irrésolues et prolongées, qui ressurgissent souvent avec une intensité dramatique. Crises de l’environnement et crises du politique sont fortement liées et leurs conséquences pèsent plus lourdement sur les populations les plus précaires ou les plus marginalisées. Elles révèlent les fragilités structurelles d’un espace sous contraintes.
La dernière livraison de la revue Confluences Méditerranée propose un dossier dirigé par Matthieu Brun et Précila Rambhunjun qui met en lumière ces thématiques passées à l’écart des feux de la rampe.
Les contributions invitent à penser les crises environnementales comme des révélateurs de crises politiques qui nécessitent de réviser les structures sociales, économiques et de gouvernance actuelle. On lira avec intérêt l’article de Pierre Blanc consacré à la problématique de la terre, de l’eau et des régimes politiques en Méditerranée et au Proche-Orient et celui de Jérémy Denieulle sur les défis de l’Égypte dans sa quête d’autosuffisance alimentaire face à l’explosion démographique et la guerre en Ukraine.
Tigrane Yégavian
Rosario Acosta Nieva et Eric Taladoire, L’expédition. Quand la France envahissait le Mexique (1861-1867) Cerf, Paris, janvier 2025, 24€.
Deux spécialistes de l’histoire du Mexique contemporain s’unissent dans cet ouvrage de synthèse pour offrir aux lecteurs un panorama extrêmement varié de l’expédition française au Mexique, véritable crépuscule du Second Empire. Ce regard croisé, tantôt vu du côté de Benito Juarez, tantôt du côté de l’empereur Maximilien de Habsbourg ou du maréchal Bazaine, est précieux tant l’historiographie de ce conflit a été soit traitée par les vaincus, soit par les vainqueurs. L’autre mérite de cet ouvrage est d’aborder l’ingérence de Washington, qui, au nom de la doctrine Monroe et de la propagation missionnaire de la démocratie en Amérique, s’est arrogé l’exclusivité des interventions militaires au sud du Rio Grande.
La guerre civile aux États-Unis permit à Napoléon III de lancer son vieux rêve d’endiguement de la puissance anglo-saxonne et protestante. C’était sans compter sur la détermination du Secrétaire d’État William Seward, qui, malgré les premières défaites nordistes, ne relâcha jamais la pression diplomatique sur les puissances européennes. À ce titre Bazaine négligea le nord du pays et Maximilien jugea prudent de ne pas incorporer les vétérans confédérés dans son armée. Benito Juarez et son influente épouse Margarita purent aussi bénéficier, tout le long du règne de Maximilien et Charlotte d’une aide politique et matérielle constante de la part de Washington. C’est très symboliquement sous escorte nord-américaine que les derniers soldats du Second Empire quittèrent Veracruz en 1867 et laissèrent Maximilien face à son destin.
Mais Washington ne pardonna pas. En 1871, le président Grant donna son appui et son soutien politique à l’empereur Guillaume Ier d’Allemagne contre la jeune République française. Preuve que la démocratie et la géopolitique ne font jamais bon ménage.
Michel Chevillé.
Javier Marias, Tomas Nevinson, Folio Gallimard, 2024, 11€
Madrid 1997, après s’être retiré des services secrets britanniques, Tomás Nevinson anglo-espagnol employé à l’ambassade du Royaume-Uni en Espagne, accepte une nouvelle mission et redevient un agent des services secrets du pays de son père. Il doit se rendre dans une ville du nord-ouest de l’Espagne pour identifier et neutraliser une femme originaire d’Irlande du Nord qui s’y cacherait sous les traits de trois personnes différentes. On sait qu’elle est rusée et dangereuse ; on sait que son nom est associé à des attentats sanglants de l’IRA et de l’ETA, et qu’elle pourrait, elle aussi, reprendre du service à tout moment si l’une des organisations terroristes le lui demandait. Tomás Nevinson va devoir la confondre, mais la tâche ne sera pas aisée, car s’immiscer dans la vie d’autrui n’est pas sans risque, surtout quand on ignore jusqu’où cela peut nous entraîner.
Dernier roman de Javier Marias, publié avant sa mort prématurée en 2022, Tomas Nevinson s’inscrit dans la suite du précédent roman Berta Isla. On y retrouve les thèmes chers à Marias et sa lancinante interrogation sur le mal. Derrière ce jeu de masque et de séduction l’auteur, un des plus grands écrivains européens de sa génération, hélas non nobélisé, développe une réflexion passionnante sur ce qui peut être fait au nom du bien commun et sur la difficulté à déterminer ce qu’est le mal et comment l’on peut ou l’on doit le combattre. « Tu ne tueras point sauf si… » : voilà l’impératif moral qui hante les jours et les nuits de notre protagoniste, un héros aux mille visages, comme les grands comédiens, qui croyait avoir déjà tout vécu et à qui, apparemment, plus rien ne pouvait arriver.
Tigrane Yégavian