Iran, tactique, renseignement, Mussolini, guerres et histoire romaine, quelques-uns des livres de la semaine.
Grand Satan
Yann Richard, Le Grand Satan, le Shah et l’imam, les relations Iran/États-Unis jusqu’à la révolution de 1979, CNRS éditions, 2022, 453 p.
Cette impressionnante somme traite de la progressive transformation de l’image et du rôle des États-Unis en Iran tout au long du XXe siècle et en particulier dans la décennie qui précéda la révolution islamique de 1979. L’auteur a compilé un volume impressionnant d’archives diplomatiques américaines et iraniennes ce qui donne un suivi presque quotidien de l’évolution de ces relations lorsque sont abordées les nombreuses crises qui parsèment la période.
Les Américains dès le début de la guerre froide contre les Soviétiques jouissaient pourtant en Iran d’une image favorable. Eux dont la culture devenait progressivement dominante, par le cinéma, les Universités et même de plus en plus par la langue au détriment du français, pourtant largement utilisé depuis des décennies par les élites iraniennes, vont devenir en quelques semaines le Grand Satan. Au contraire de la monarchie saoudienne, elle aussi à forte légitimité religieuse, la théocratie iranienne, explique l’auteur, ne pouvait trouver de terrain d’entente avec l’Amérique, même pour se protéger de la menace des appétits soviétiques : ce fut l’anti-impérialisme qui constitua dès l’origine son principal moteur, au nom de la justice et de la résistance à l’oppression, concepts très largement ancrés dans la vision du monde du chiisme.
L’intérêt de ce livre réside également dans l’illustration particulièrement documentée de la difficulté de la décision en politique étrangère : on y lira avec intérêt le luxe de détails qui accompagne l’épisode des tergiversations pour l’accueil du Shah, malade, qui finira par mourir en Égypte le 27 juillet 1980. Se sont télescopés pendant quelques semaines les avis divergents de l’administration Carter, les uns pensant qu’un accueil de l’empereur déchu servirait à rassurer les régimes fidèles à l’Amérique, les autres que la priorité devait aller au nouveau gouvernement qu’il fallait séduire. Le passé contre l’avenir, avec un résultat doublement négatif donc et désastreux pour Washington. La prise d’otages du 4 novembre 1979 est longuement analysée et en particulier le très long discours prononcé par Khomeyni trois jours plus tard, traduit et commenté par l’auteur persanophone. En grande partie improvisée, cette prise d’otage fut une réussite exemplaire, ralliant la grande majorité des Iraniens et aboutissant à la rupture totale d’avec la puissance tutélaire.
Frédéric Pichon
Animaux secrets
Michel Guérin, Le corbeau et la chouette, traité et pratique du renseignement Équateurs, 19€
Ancien sous-directeur de la DST chargé des moyens opérationnels puis du contre-terrorisme, Michel Guérin fut également chef de l’inspection générale à la DGSI. Il nous livre ici un ouvrage au cœur du monde secret du renseignement, tant français qu’étranger.
Alliant réflexions personnelles, recherches académiques et témoignages issus de sa longue carrière, Michel Guérin souhaite quelque peu entrouvrir les portes du renseignement aux non-initiés. Décrivant ainsi les différents types de renseignement et les techniques utilisées à travers l’histoire, au cours de laquelle il a toujours eu une importance capitale pour les États.
L’auteur nous offre également un panorama des spécificités des différents services de renseignement à travers le monde : États-Unis, Chine, Russie, Japon, Grande-Bretagne …
Bien évidemment, malgré les technologies actuelles, le renseignement reste le fait d’hommes dont les capacités sont particulières et les missions bien différentes du commun des mortels. Un chapitre leur est consacré, ayant également pour objectif de comprendre un peu plus le fonctionnement des services et les qualités essentielles à l’exercice de ces différents métiers.
Enfin, Michel Guérin dresse un portrait du renseignement à l’heure actuelle et propose une prospective de ce qu’il pourrait être demain, s’appuyant à la fois sur son vécu et sur la situation actuelle.
Guerres infinies
Pierre Santoni, Guerres infinies. Aspects militaires des guerres irrégulières, Éditions Pierre de Taillac, 25,90€
Des guerres souvent lointaines, parfois oubliées, mais toujours trop longues et meurtrières. Ces guerres irrégulières ne se matérialisant pas par une opposition claire entre deux États indépendants sont parfois difficiles à cerner et à définir. C’est l’objet de cet ouvrage que de distinguer les différents types d’affrontements, entre guérillas, guerres civiles et terrorisme.
Cette distinction se fait à travers l’étude de nombreux conflits ayant eu lieu au XXe siècle. Des conflits dont les batailles sont tout aussi singulières et irrégulières, allant de l’insurrection algérienne à partir de 1954 à la Syrie et à l’Ukraine, en passant par l’Afghanistan et l’Italie ou l’Espagne des années 1970-1980.
L’ouvrage de Pierre Santoni étudie les différentes méthodes utilisées par les armées régulières des États pour faire face à ces guerres irrégulières auxquelles elles ne sont pas toujours préparées. Les exemples historiques de ces batailles peu conventionnelles sont légion à travers l’histoire récente et leurs conséquences sur les pays et leur population souvent dévastatrices. Elles apportent évidemment des nouveautés et bouleversent l’ordre et l’organisation militaires établis par le passé voyant naître des armées et soldats non conventionnels.
Cet ouvrage est le dernier volume d’une trilogie débutée avec l’étude de la guerre urbaine (L’Ultime champ de bataille) et de la bataille terrestre (Triangle tactique). Toujours remarquablement mis en page par l’éditeur Pierre de Taillac. Une trilogie sur les guerres qui montre toute la complexité des conflits.
Guerre romaine
Général Nicolas Richoux, L’armée romaine, première armée moderne, Éditions Pierre de Taillac, 16,90€
Ayant conquis à son apogée une grande partie de l’Europe, du Moyen-Orient et tout le littoral nord-africain, l’Empire romain et ses légions devraient apparaître comme des modèles militaires indiscutables. Cependant, leur éloignement temporel et surtout technique semble parfois nous faire oublier les leçons que l’on peut en tirer.
C’est pour analyser les enseignements antiques de la guerre que le Général Nicolas Richoux propose une analyse de l’armée romaine avec un œil d’officier des armées modernes.
Allant de la réflexion stratégique à l’armement du légionnaire romain, l’auteur nous invite à voir la modernité des légions romaines tant par la vision de ses chefs que par ses méthodes sur le champ de bataille et surtout dans la gestion des unités de manœuvres sur le terrain.
Au-delà des principes fondamentaux de la guerre strictement respectés, l’armée romaine fut également une armée de métier, avec une standardisation de l’équipement de ses combattants ayant parfaitement intégré la notion d’interarmes à ses combats (gestion et utilisation coordonnées des différentes armes : infanterie, cavalerie, artillerie, génie, etc.) et l’importance du renseignement dont les missions étaient effectuées par les speculadores.
Accompagnés des plans de bataille simplifiés et des auteurs antiques ayant inspiré l’auteur, plongez au cœur d’une des plus importantes armées de l’histoire, moins antique qu’on ne pourrait le croire.
Chemises noires et vestes retournées
Frédéric Le Moal, Les hommes de Mussolini, Perrin, 24€
Docteur en histoire et professeur, Frédéric Le Moal s’était déjà intéressé de près à l’Italie fasciste avec sa brillante Histoire du fascisme (Perrin, 2018). Il revient aujourd’hui sur cette même période et sur les hommes qui l’ont constituée.
Les hommes de Mussolini retrace la vie de quinze des hommes proches du Duce ayant agi avant, pendant et après sa prise de pouvoir et la mise en place de sa dictature en Italie.
Artisans de la marche sur Rome, penseurs de l’idéologie fasciste, mais également responsables de la chute de Mussolini par amour pour leur pays, ces hommes plus ou moins connus ont cependant marqué l’histoire de l’Europe au XXe siècle.
À mi-chemin entre la biographie et l’analyse historique, Frédéric Le Moal nous propose ici l’histoire parfois oubliée du fascisme italien à travers les grandes figures qui l’ont faite : intellectuels, politiques, syndicalistes, royalistes, soldats et aviateurs. La diversité idéologique de ces hommes montre la complexité du fascisme, qui a agrégé des personnes venant d’horizons variés, dont les buts politiques n’étaient pas identiques. Cette plasticité est l’une des raisons de sa longévité et de son adaptation aux évolutions de la société italienne.