Afghanistan, guerre, Turquie, florilège des parutions de la semaine.
Avant-poste
Julien Monange, România, Un avant-guerre, Lemme éditions, 2023, 14€.
Mais qu’est-ce donc que ce livre ? Selon l’éditeur : « alors que se préparait la guerre en Ukraine […] la Roumanie focalisa l’attention de l’état-major français. C’est la genèse de ce processus que romance ici le lieutenant-colonel Julien Monange. »
« Que romance » … C’est trop ou trop peu selon nous. România tient lieu à la fois de guide touristique, de cahier d’histoire et de géographie, de carnet intime et de recueil de poésies. Écrivant cela nous n’avons encore rien dit car România pousse aussi quelques reconnaissances du côté de la science-fiction et de l’étude littéraire. On y croise sans surprise parmi beaucoup d’autres Dantec, Tesson et Morand. On y apprend le fonctionnement techno-scientiste et froid d’Opérapolis, le haut état-major parisien de Balard perclus d’otanisme avancé, on y lit circonspect le jargon incompréhensible et la froide résolution militaire que l’auteur parvient cependant à décrire avec un lyrisme qui ne nous convainc pas — nous connaissons trop la boutique — mais qui nous charme bien malgré nous. On survole la vieille Europe en sirotant des considérations apocalyptiques. On aborde les sujets les plus graves de l’Uni-monde — la guerre entre le Grand Forestier et l’OTAN, le Coronavirus — avec une distance qui n’est pas éloignement mais hauteur. On y expérimente quelques incursions de mystique futuriste. On fredonne Roxen avec Antonescu, soldat roumain de rencontre. On y boit de la bière, de la vodka et on y fume le cigare sans vergogne. On saute d’une bicyclette à un hélicoptère. On y prie et on y chante entre deux rapports d’état-major frappés sur un clavier crypté. On empile dans sa musette des noms et des mots aussi incompatibles que l’huile et l’eau : terradrive, Pont-Euxin, Anna de Noailles née Bassaraba de Brancovan ou titanium. On y apprend la poésie de la guerre, ultime stade de la technique d’état-major que peu d’officiers sont capables d’atteindre. On croise, enfin, quelques Américains et l’on songe avec effroi aux mots tragiques de Gheorghiu qui concluent La Vingt-cinquième Heure : keep smiling !
Bref, on réalise en 160 pages une circonvolution que l’on croyait jusque-là réservée aux cosmonautes.
Mais le plus étonnant est que ces pages soient le fruit d’un officier breveté de l’École de guerre ; on était jusqu’alors persuadé que ces fonctionnaires du conflit n’étaient capables que d’ordres d’opérations et de plans de campagne, ce qui n’est déjà pas si mal mais qui laisse habituellement peu de place à la littérature et à l’imagination qu’elle suppose. La plume alerte, originale, protéiforme, souple, moderne et classique du lieutenant-colonel Monange que l’on avait déjà goûtée dans Arcanes et Tranchées ou dans Germania était prometteuse, elle est en réalité bien trempée.
« D’un bout l’autre serpente une ligne de fuite
Qui lance les novas vers le ciel irradié
Le canon-flash aveugle ensuite
L’Uni-monde à ses pieds. »
Cyril Farret d’Astiès
Repenser le courage
Benjamin Douteau, Anatomie du courage, Éditions de l’école de guerre, 15 €.
Le courage a-t-il encore sa place dans les conflits en cours et à venir ? Ce qui fut pendant des siècles la vertu cardinale des combattants a-t-il gardé sa raison d’être au sein des nouveaux espaces conflictuels que connaît le monde aujourd’hui ?
C’est la question insolite et provocante que pose Benjamin Douteau dans ce petit livre aussi dense que lumineux qui interroge l’évolution de nos sociétés et la place qu’elles accordent à ceux dont la mission est de les défendre au péril de leur vie. Même si le courage n’est pas le monopole du soldat, c’est souvent le champ de bataille qui en révèle toute sa splendeur. À ce titre, le retour du combat de haute intensité doit revenir placer le courage au cœur de nos préoccupations. Alors que la technologie vide les champs de bataille, la réhabilitation de la notion de courage est une impérieuse nécessité.
Benjamin Douteau décrit les composantes du courage avec méthode et précision, faisant appel à de nombreux témoignages tout en s’appuyant sur une solide culture historique et philosophique. Cet ouvrage permet de revaloriser le courage comme forme ultime de l’engagement militaire, mais aussi comme vertu essentielle de la Cité.
Où va la Turquie ?
Ardavan Amir-Aslani, La Turquie, nouveau califat ?, L’Archipel, 21 €.
Longue et riche en histoire, située au carrefour de civilisations, de peuples et d’enjeux énergétiques, la Turquie est une nation difficile à appréhender.
Ardavan Amir-Aslani nous dresse le tableau authentique de ce pays aux portes de l’Europe, dont l’image que nous en avons est souvent biaisée par les médias focalisés sur la personnalité d’un seul homme qui tend à confondre son existence avec celle de son pays : Recep Tayyip Erdogan. Un homme dont l’idée fondamentale est celle d’une Turquie coupée de ses véritables racines, nostalgique de son califat, qui intervient militairement dans l’ancienne sphère d’influence de l’Empire ottoman, laissant peu de doute sur les objectifs néo-ottomanistes du président-sultan. Président depuis 2014, Erdogan réhabilite ce que le fondateur de la République turque avait déconstruit : port ostensible des signes religieux, femmes encouragées à quitter le monde actif ou encore soutien aux confréries et à l’enseignement religieux. Bien que le président-sultan tende vers l’autoritarisme, la Turquie demeure le pays le plus occidentalisé du monde musulman.
Un ouvrage qui présente avec clarté les réalités auxquelles doit se confronter la Turquie aujourd’hui : son écartèlement permanent entre le passé et l’avenir, son rapport aux Européens, son ouverture aux nations asiatiques et au monde musulman.
La réalité de l’Afghanistan
Éric Cheysson, Afghanistan, la spirale infernale, Robbert Laffont, 21 €.
Au cœur de l’actualité internationale ces dernières années, l’Afghanistan n’a cessé d’être sous le feu des projecteurs. Après 20 ans d’intervention militaire, les Américains quittent les lieux en 2021 laissant le pays aux mains des talibans.
Éric Cheysson et Michel Faure nous livrent un récit de leur expérience du pays, laissant de côté les analyses médiatiques. L’ouvrage retrace l’évolution de l’hôpital au cours de ces années en Afghanistan, utilisé comme instrument de mesure des avancées sociales, économiques et politiques. Alors que les talibans réinstallent leur dictature dans la violence et le chaos, l’Institut Médical pour la Mère et l’Enfant, fondé par Éric Cheysson, tente de poursuivre son action humanitaire en soignant les plus démunis. Les auteurs reviennent sur les raisons qui ont conduit au retour des talibans et sur l’évolution de l’Afghanistan au cours des dernières années. Alors que le pays avait retrouvé son charme et sa gaieté d’antan, la récurrence d’assassinats politiques et la volonté d’effacer les femmes de la sphère publique révèlent la brutalité du régime taliban.
Dans ce tourbillon de misère et de violence, l’hôpital français reste un îlot de paix au milieu d’un archipel de malheurs. En plus d’un regard historique et politique de l’Afghanistan, cet ouvrage résonne comme une magnifique leçon de vie pour notre temps, affirmant que la persévérance dans les domaines de la santé et de l’éducation représente la perspective d’un avenir meilleur, tout en rendant hommage à tous ceux qui se sont battus pour la liberté en Afghanistan.