Mali, Afrique, diaspora, aperçu des livres de la semaine. Recensions effectuées par Tigrane Yégavian
Mali
Vincent Joly, Histoire contemporaine du Mali, des guerres saintes à l’indépendance, Perrin- ministère des Armées, 2024, 24€.
Coédité par le ministère des Armées, cet ouvrage de référence retrace l’histoire de l’ancien Soudan français devenu Mali au XXe siècle. Un vaste pays sahélo-saharien qui peine à transcender les clivages ethniques ; en proie à des actions sécessionnistes et djihadistes.
La conquête de ce territoire dans les années 1880 aura duré plus de deux décennies et sera ponctuée de violences. L’auteur, historien de l’Afrique coloniale, s’attache à rendre compte d’un édifice fragile et des bouleversements profonds qui ont contribué à façonner au XIXe siècle le Mali contemporain. Un pays qui connaît des rébellions sanglantes au cours de la Première Guerre mondiale, laissant la place à une période d’entre-deux-guerres marquée par le développement économique et l’émergence d’une élite indigène nouvelle qui rompt avec les hiérarchies traditionnelles et affirme sa place au sein de la société coloniale.
La Seconde Guerre mondiale contribuera à l’émancipation progressive d’une nouvelle élite ; la génération qui conduira le Mali à l’indépendance aura en commun une aspiration à l’unité africaine. Mais la Fédération du Mali, qui rassemblait le Soudan français, le Sénégal, la Haute-Volta et le Dahomey au soir de l’Empire français sera de courte durée. Reste aux élites maliennes de repenser leur pays comme un État-nation dans ses frontières héritées de la colonisation. TY
Katanga
Maurin Picard, Katanga ! La Guerre oubliée de la Françafrique contre l’ONU, Perrin, 2024, 24€.
Il y eut au début des années 1960 une brève expérience sécessionniste au cœur de l’Afrique noire. Un petit État indépendant et prospère, convoité pour ses fabuleuses richesses géologiques et âprement disputé par les grandes puissances, au point de devenir, deux années durant, l’un des points chauds de la guerre froide. Aujourd’hui encore, le Katanga demeure un mythe à part entière.
Nous sommes septembre 1961. Dans cette province sécessionniste de l’ex-Congo belge, le Katanga, paradis géologique riche en cuivre et en uranium, un régime minier pro-occidental défie l’ONU et ses Casques bleus. Le conflit qui éclate oppose « soldats de la paix » et mercenaires endurcis. Surprise : il s’agit d’ex-officiers d’élite de l’armée française, des « durs » capables de lancer leurs groupes mobiles contre un adversaire dix fois supérieur en nombre. Il s’avère que, loin d’être « perdus », cette poignée d’hommes se trouve en mission commandée, sur ordre du gouvernement français, en particulier de la cellule des Affaires africaines et malgaches de l’Élysée dirigée par Jacques Foccart. Ils infligèrent à l’ONU et ses 16 000 hommes une défaite militaire retentissante, s’appuyant sur des méthodes de guérilla et de contre-guérilla éprouvées en Indochine et en Algérie, avant de battre en retraite sur ordre.
Loin d’être une simple escapade de mercenaires, le projet visait à étendre le pré carré de la France, se tailler une part du gâteau de l’ex-Congo belge, contrer la pénétration soviétique et coiffer sur le poteau les Anglo-Saxons pour l’exploitation des ressources minières stratégiques, tout en présentant le Katanga comme un poste avancé de la lutte anticommuniste mondiale. TY
Diaspora
Christian Lesquesne, Le Diplomate et les Français de l’étranger, comprendre les pratiques de l’État envers sa diaspora, Presses de Sciences Po, 2024, 19€.
Au 31 décembre 2020, le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères comptabilisait 1,7 million de Français inscrits dans les registres consulaires. Un chiffre bien en deçà de la réalité compte tenu de ceux qui vivent de manière temporaire à l’étranger et ceux qui ne se sont pas inscrits. D’où la fourchette oscillant entre 2,5 et 3,5 millions de nos compatriotes qui résideraient de manière permanente ou temporaire à l’extérieur des frontières de l’Hexagone et des Outre mers.
Est-ce que la France a une politique vis-à-vis de ses ressortissants établis à l’étranger ? De l’avis du politologue Christian Lequesne, il existe une « diplomatie de la diaspora » ; c’est la conséquence naturelle d’une stratégie déployée par les États d’origine en vue de conserver des liens avec leurs compatriotes. Soutenant l’idée que les quelques millions de Français de l’étranger, aussi hétéroclites, soit ce groupe, forment la diaspora française, l’auteur a tenté dans cet essai aussi limpide qu’érudit, de combler un vide. De fait, les pratiques consulaires, la protection des Français de l’étranger ou encore la difficulté de transformer la diaspora en ressource pour mener une diplomatie d’influence sont peu analysées. D’où l’intérêt de sa démarche, fruit d’un travail de terrain réalisé en Côte d’Ivoire, en Allemagne, au Royaume-Uni, en Israël, au Japon et dans plusieurs capitales européennes.
De ses nombreux entretiens avec des diplomates, des parlementaires, des employés dans des structures françaises et des ressortissants français, il en sort un constat : difficile de faire la part des choses. Paris peine à œuvrer à une stratégie cohérente et distinguer les Français de l’étranger entre protégés et clients potentiels au service du rayonnement de notre pays à l’international. De l’avis de l’auteur, la France bute sur la force historique d’un État à la fois régalien et providence ; ce qui rend difficile l’évolution d’une diplomatie consulaire uniquement en quête du développement et de l’influence. TY