L’histoire est au programme de cette semaine : catholicisme, guerres, histoire militaire, l’Empire, Poutine et l’Ukraine.
Un théologien engagé et réformateur
Étienne Fouilloux, Marie-Dominique Chenu (1895-1990), Salvator, 22,50€.
Comment retracer la vie d’un érudit et théologien ne laissant que très peu de notes désorganisées et ayant vécu près d’un siècle, un siècle très mouvementé à tous les niveaux qui plus est ?
C’est ce que s’efforce de faire avec brio Étienne Fouilloux dans cette biographie du moine dominicain Marie-Dominique Chenu, théologien et artisan incontournable du Concile Vatican II qui bouleversa profondément l’Église Catholique.
Entre guerres, écrits, vie professorale et condamnation par l’Église, Marie-Dominique Chenu resta selon ses dires et malgré les apparences quelqu’un d’unifié qui resta fidèle à ses idées et sa vision théologique. Également historien, il est à la fois plongé dans l’Histoire passée et résolument tournée vers un futur qu’il espérait meilleur. Il se distingue ainsi par un fort engagement auprès de la société civile dans les luttes sociales, notamment aux côtés de la classe ouvrière et de sa jeunesse.
Spectateur et participant du Concile Vatican II, Chenu s’intéresse principalement aux dogmes et s’inscrit dans une position davantage progressiste pour l’époque (ce qui lui avait valu les condamnations par Pie XII) allant dans le sens du Concile.
Historien majeur du catholicisme contemporain, Etienne Fouilloux nous livre ici la biographie d’un des penseurs importants du catholicisme du XXe siècle à travers un livre technique, mais humain et compréhensible où se mêlent philosophie, enjeux, histoire et futur.
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Au-delà du militaire
Aurélien Lignereux, L’Empire de la paix, De la Révolution à Napoléon : quand la France réunissait l’Europe. Passés Composés, 23€.
Professeur d’histoire contemporaine à Sciences Po Grenoble, Aurélien Lignereux concentre ses travaux sur la période napoléonienne notamment dans la construction de l’Empire en tant qu’espace administré et non seulement comme une conquête militaire.
Il développe ainsi sa théorie selon laquelle l’Empire napoléonien n’était justement pas un simple projet militaire d’un homme conquérant, mais un réel projet pacificateur pour l’Europe. Ainsi, un territoire ne se conquiert pas seulement militairement, mais il s’agit aussi de conquérir les cœurs et les esprits : ceci amène alors une volonté de francisation de l’Empire qui impacta également la France elle-même avec l’arrivée d’administrateurs impériaux étrangers.
Aurélien Lignereux décrit dans son livre la vision de la France à l’époque et comment elle se traduit au sein de la population, surtout dans un contexte post-révolutionnaire. Viennent ensuite celle de l’Empire et les objectifs qu’il cherche à atteindre dans une Europe en proie à de nombreux troubles. La construction de l’Empire et de ses administrations aux 130 départements pour intégrer ces nouveaux territoires est tout aussi importante et au cœur de la thèse d’Aurélien Lignereux, alors que la question de l’identité française se pose dans cette réunion de territoires européens dont les populations ont des cultures et des mentalités différentes.
Redécouvrez ainsi en profondeur l’Empire napoléonien au-delà des aspects purement militaires qui retiennent souvent davantage l’attention.
Bilan d’une guerre
Gaël-Georges Moullec, Ukraine, la fin des illusions, SPM, 21€.
À l’heure où le monde occidental se rue au chevet de l’Ukraine avec aides financières et matérielles tout en présentant la Russie comme le nouvel ennemi numéro un, Gaël-Georges Moullec revient sur l’histoire de ce pays, faisant ainsi tomber le masque de certaines illusions qui étaient en place depuis la fin de l’URSS.
Au-delà de l’Ukraine, ce conflit russo-ukrainien a également une fois de plus mis en lumière le rôle des États-Unis qui a repris le leadership de l’OTAN.
Ainsi, de la russophobie fondatrice de l’identité ukrainienne au mythe d’une démocratie créatrice de paix dirigée par des oligarques du même acabit que leurs voisins, Gaël-Georges Moullec revient sur les illusions construites depuis des décennies et qui s’effondrent peu à peu depuis le 24 janvier 2022 et le début de l’opération russe en Ukraine. Viennent également les mythes de l’histoire ukrainienne, et surtout ceux de l’Union européenne, de l’OTAN et de leur chef de file les États-Unis.
Au travers du conflit russo-ukrainien Gaël-Georges Moullec nous offre ici une réalité dépossédée de ses illusions s’ouvrant sur une nouvelle ère et non pas sur la fin de l’Histoire que l’on nous annonçait.
Docteur en Histoire contemporaine, Gaël-Georges Moullec est spécialiste de l’histoire russe et soviétique et a notamment été en poste à l’OTAN.
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Poutine dans les textes
Gaël-Georges Moullec, Vladimir Poutine : Discours, 2007-2022, SPM, 32€
L’invasion de l’Ukraine aurait-elle pu être prévisible après la prise de la Crimée huit ans auparavant ? En lisant les discours de Vladimir Poutine, prononcés depuis 2007, il est alors possible de remonter le fil des événements et de retrouver la cohérence de la pensée. D’où l’œuvre utile de Gaël-Georges Moullec qui s’est attelé à la traduction de ces discours.
On (re)découvre donc toutes les prises de parole de Poutine, et par conséquent de la Russie, où il avertissait sur les prises de position occidentales (notamment de l’OTAN et des États-Unis) et la mise de côté des intérêts et revendications russes. À cela s’ajoute un manque de considération du rôle de la Russie dans l’ordre international, y compris en Asie face au géant chinois.
De même, la question ukrainienne et des territoires « perdus » depuis la chute de l’URSS est également abordée et ces évocations ignorées par l’Occident. Loin d’être anecdotique, la question ukrainienne est donc centrale dans la pensée de Vladimir Poutine.
À travers ces discours, on retrouve un homme obnubilé par la puissance de son pays, désireux de le remettre au centre de la communauté internationale et de peser face à l’Europe et surtout face aux Etats-Unis. Une obsession qui a trouvé un dénouement dramatique avec l’invasion de l’Ukraine.
Vichy et la déportation
Jean-Marc Berlière, Emmanuel de Chambost et René Fiévet, Histoire d’une falsification, Vichy et la Shoah dans l’Histoire officielle et le discours commémoratif, L’Artilleur, 22€
À l’heure de la surenchère et des simplifications mémorielles, il est devenu essentiel de rétablir la vérité historique. Ces trois chercheurs de l’association HSCO (Pour une Histoire scientifique et critique de l’Occupation) tentent de remettre l’Histoire à sa juste place, et nous proposent donc une critique historique de la déportation qui va au-delà de la doxa officielle.
Dans cet ouvrage Jean-Marc Berlière, professeur émérite d’histoire, fait un point sur l’état actuel des connaissances historiques au sujet de la responsabilité de Vichy lors de la Shoah. Il s’attache à une thèse controversée : quel rôle a joué l’occupant nazi dans la mise en œuvre de la Shoah en France ? Et si l’État français était un facteur de la survie des trois-quarts des juifs ?
Par la suite c’est au tour d’Emmanuel de Chambost de développer sa thèse, remettant en cause la relation entre certains de ses confrères et l’histoire. L’histoire sert la vérité et non la mémoire, mais aujourd’hui la tendance s’est inversée pour donner place aux idées du siècle. Entre doxa et idéologie, l’auteur fait une critique de l’instrumentalisation de l’histoire qui ne sert qu’aux politiques.
Enfin, René Fiévet termine le propos en retraçant l’évolution de la doxa officielle dans les discours mémoriels des politiques français au cours des trente dernières années. De Chirac à Macron, de l’histoire à la mémoire, les auteurs ne souhaitent pas forger un nouveau récit historique, mais apporter de la nuance aux certitudes historiques.
Au-delà d’une remise au point historique, cet ouvrage nous incite à une réflexion sur l’importance de l’histoire pour la mémoire. Entre vérité historique et idéologie mémorielle, les auteurs tentent une mise au point intellectuelle.
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