Livres de la semaine. Mer de Chine, Russie et communisme, aides publiques en Afrique et pouvoir de l’image : la sélection des livres de la semaine de la rédaction de Conflits.
Sélection et recensions réalisées par Eugène Berg.
Mer de Chine
Jean-Grégoire Mahinga. Les conflits de droit de la mer en mer de Chine. L’Harmattan, 2021, 22,50€.
Le centre de gravité de l’économie mondiale se trouve actuellement dans la région de l’Indopacifique, qui concentre les principaux Etats du G20 et plus de 60% au PIB mondial. L’importance stratégique de cette région fut dernièrement signalée par la signature de l’accord AUKUS en septembre 2021 par l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis. L’autre phénomène qui caractérise cette zone est bien sûr la montée en puissance de la Chine sur les plans économique et militaire. Le développement militaire de la puissance chinoise se manifeste surtout dans une partie bien définie de l’Indopacifique : la mer de Chine. C’est dans cet espace que Pékin cherche à diffuser son influence et à imposer sa souveraineté. Cette ambition chinoise porte à la fois sur des questions de souveraineté territoriale et sur des problèmes très spécifiques de droit de la mer, qu’il s’agisse de la pêche ou de la détermination des limites des juridictions maritimes des États côtiers. Ces litiges sont d’autant plus accentués que la mer de Chine est une région où les affirmations nationalistes sont très marquées. Dans ces conditions, Jean-Grégoire Mahinga, docteur en droit, examine les problématiques que soulèvent la revendication des îles en mer de Chine : questions des lignes de base, des prétentions à un plateau continental étendu et des procédures de résolutions des différends. C’est à travers ce raisonnement que l’auteur décrypte avec talent les nombreux contentieux qui opposent les États riverains.
Goulag et communisme
Euphrosinia Kersnovskaïa, Envers et contre tout, Chronique illustrée de ma vie au Goulag, Christian Bourgois éditeur, 2021, 29,90€.
Ces mémoires retracent la vie d’Euphrosinia Kersnovskaïa, une aristocrate d’Odessa dont la vie fut bousculée par les répressions soviétiques. Arrêtée en 1941 et emmenée en relégation en Sibérie, elle s’évade mais est rapidement rattrapée. La voici donc condamnée à mort avant de voir sa peine commuée à dix ans de travaux forcés. Durant ces années au goulag, elle prit des notes de ce qu’elle vivait dès qu’elle le pouvait. Ce sont ces mots, ainsi que des dessins réalisés sur des cahiers d’écolier, qui forment le contenu de ces mémoires. Comment ne pas être stupéfait devant une telle accumulation d’épreuves et de malheurs qui tient dans une seule vie ? Le dessin, qui aurait pu n’être pour elle qu’un simple passe-temps, devient entre ses mains la lance de Don Quichotte lui servant à pourfendre le mal. Si cet ouvrage est véritablement unique, c’est bien grâce à ces dessins de l’auteur. Bien plus que de simples illustrations, ils forment une épopée artistique en soi. Écrit à l’insu des autorités, Envers et contre tout est un témoignage fort et inspirant, l’odyssée d’une irréductible qui constitue une source de joie profonde, un antidote aux compromissions et à la peur, au mensonge et à l’oubli. En ce sens, les cahiers et les dessins de Kersnovskaïa sont une manifestation de la grandeur de la créativité humaine, l’expression de la haute dignité de l’homme et de tout ce que son âme immortelle contient de meilleur dans un univers qui s’avère être cruel.
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Contrôle de l’Image
Christian Lequesne (dir.), La puissance par l’image. Les États et leur diplomatie publique, Presses de Sciences Po, 2021, 25€.
La notion de diplomatie publique des États fut dégagée en 1965 par le diplomate américain Edward Gullion qui y consacra un cours à la Fletcher school. Cette thématique est relativement négligée alors même qu’elle prend une importance croissante. Ainsi, la propagande, la diplomatie publique, le soft power, sont des notions qu’il convient d’examiner puisqu’elles sont indifféremment employées pour qualifier diverses pratiques de construction de la puissance étatique, sans qu’elles soient véritablement définies et même distinguées. Persuader, coopter et séduire plutôt qu’imposer. Telle est la dynamique du soft power, théorisé en 1990 par le géo-politologue américain Joe Nye comme alternative à la logique de la force, le hard power. Depuis est apparue, sous l’influence de la Chine, la notion de sharp power, celle des « loups combattants », puis celle de smart power, qui serait l’utilisation coordonnée et subtile de ces différents degrés de la puissance… La notion a fait couler beaucoup d’encre comme le note Christian Lequesne, professeur à Sciences Po Paris, dans l’introduction de cet ouvrage collectif : « La littérature sur les relations internationales est depuis traversée par d’intenses débats pour savoir si le “soft power” peut garantir à lui seul les conditions de la puissance ». Il s’agit pourtant du premier écrit consacré en France à ces notions alors que la littérature anglo-saxonne a proliféré dans ce domaine.
Aides publiques
Désiré Avom, Bruno Emmanuel Ongo Nkoa (dir.), Pertinence des politiques publiques de développement en Afrique subsaharienne, L’Harmattan, 2021, 25,50€.
Désiré AVOM, professeur des universités et doyen de la Faculté des Sciences Économiques et de Gestion de l’Université de Yaoundé II-SOA, s’est joint à Bruno Emmanuel Ongo NKOA, maître de conférences de l’Université de Dschang au Cameroun, afin d’aboutir à cet ouvrage qui se veut un repère pour mieux cerner les politiques de développement en Afrique. Il s’ inscrit d’ailleurs dans la cadre des Objectifs de développement durable des Nations unies. Son originalité est de réussir à contextualiser les politiques de développement en Afrique en les insérant dans plusieurs champs de la théorie économique. Ainsi, en conciliant la transformation économique, l’emploi, l’éducation et la santé d’une part, l’agriculture, l’environnement et la gouvernance d’autre part, le livre communique les enjeux économiques, politiques et ethniques pour le développement des peuples africains. Ce large constat de la situation locale mène à une rapide conclusion : c’est d’innovation, de création de milliers d’entreprises individuelles, de centres de formation professionnelle et de capital risque dont l’Afrique a besoin.
Russie, réforme constitutionnelle
Elena Kremianskaïa, Tamara Kouznetsova, Nikita Moltchakov, Inna Rakitskaïa, Le droit constitutionnel russe, Tallandier, 2021, 24€.
Le 1er juillet 2020, le peuple russe a validé la réforme constitutionnelle proposée de façon assez inattendue par le Président Vladimir Poutine en janvier 2020. Selon des chiffres annoncés par la Commission électorale centrale de Russie, 77,92 % des électeurs se sont prononcés favorablement, le taux de participation s’élevant à 67,97 %. Cette révision de la Constitution a suscité un débat à l’étranger essentiellement centré sur la possibilité désormais ouverte pour Vladimir Poutine de rester au pouvoir jusqu’en 2036, ainsi que sur certaines dispositions introduisant Dieu dans le texte constitutionnel ou stipulant que le mariage était l’union d’un homme et d’une femme. Dans un pays aussi vaste, l’ordre constitutionnel ne saurait en aucun cas se résumer à ces seuls points sur lesquels se sont braqués maints observateurs. D’où l’utilité de ce manuel de droit constitutionnel russe, l’une des premières éditions en français qui propose une analyse des institutions russes d’aujourd’hui. Ces principes fondamentaux du droit constitutionnel russe sont analysés par d’éminents professeurs de l’Institut d’État des relations internationales de Moscou du ministère des Affaires étrangères de la Fédération de Russie. De plus, le droit constitutionnel régit également le droit du travail, le droit des entreprises et les droits et libertés de l’homme et du citoyen qui se trouvent décrits ici avec une grande précision. Le manuel tient donc compte de la réforme constitutionnelle menée en 2020, sur la base des actes normatifs actuels, ainsi que de la pratique de la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie.
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