Livres de la semaine – 24 mai

24 mai 2024

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Livres de la semaine – 24 mai

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Caucase, Méditerranée, progressisme, Portugal, puissance : aperçu des livres de la semaine. 

Le Caucase dans la Grande Guerre

Chloé Drieu, Claire Mouradian, Alexandre Toumarine (dir.), Le Front Caucasien, enjeux d’empires et de nations 1914-1922, CNRS éditions, 2024, 27€.

Pour la première fois un ouvrage collectif réunit une palette de chercheurs sous la direction de trois historiens et propose une étude inédite sur la Première Guerre mondiale vécue dans le Caucase … pour mieux nous éclairer sur le présent.
Synthèse aboutie sur un front encore trop délaissé par l’historiographie, ce volumineux ouvrage pallie un écueil. Les études sur les fronts opposant les alliés de l’Entente à l’Empire ottoman dans les Balkans, les Dardanelles, la mer Noire et le Levant étant mieux déblayées, le front caucasien demeure encore largement méconnu.
Ce que les auteurs nous apprennent de ce front caucasien, entre Anatolie orientale, Caucase russe et Iran, c’est qu’il s’agit d’un des théâtres d’opérations majeures de la Première Guerre mondiale. En effet, tout au long de la grande guerre, le Caucase est un centre d’enjeux impériaux et nationaux considérables. C’est vrai également pour l’après-guerre, car c’est dans cet isthme où s’entrechoquent les plaques tectoniques impériales que se joue en grande partie le sort des empires russe et ottoman, lesquels ne survivront pas au conflit. À la place naissent en Anatolie, dans le Caucase les États arménien, géorgien, azerbaïdjanais et turc.
L’apport de cet ouvrage se veut multiple. D’abord parce qu’il propose une explication supplémentaire de l’extermination des peuples chrétiens autochtones de l’Empire ottoman, ensuite il examine l’hypothèse d’une « guerre totale », en se penchant sur les logiques frontalières ainsi que les zones de frictions entre empires au sein desquelles les populations sont généralement les premières victimes.
L’autre apport est la réflexion engagée sur la violence depuis l’observatoire caucasien. Les massacres de masse, la violence génocidaire pose selon les auteurs la question du rôle des milices, des bandes armées, des irréguliers, des déserteurs et du phénomène « paramilitaire ».

L’ouvrage accorde une large place aux sources d’époque, pour la plupart inédites : documents des archives diplomatiques françaises, témoignages et mémoires d’acteurs ottomans et russes.
Des archives qui rendent compte de la perception des contemporains. De quoi opérer une mise en parallèle des approches historiques diverses : histoire militaire et paramilitaire, relations internationales, histoire politique, histoire des idées, histoire sociale de la violence.
Suivant un plan chrono-thématique divisée en trois grandes parties, ce livre commence par narrer, notamment à l’aide des archives diplomatiques françaises et russes, le début puis le déroulement de la Première Guerre mondiale dans le Caucase, rappelant que le conflit commence plus tardivement que sur le continent européen. Puis, les auteurs reviennent sur l’extermination des chrétiens ottomans (Arméniens, Assyro-Chaldéens, Grecs pontiques), en se focalisant sur le prétexte du génocide trouvé par l’engagement de volontaires arméniens dans les rangs de l’armée russe. L’occasion de déconstruire la thèse négationniste d’Ankara. 

La troisième partie rassemble des documents d’archives et de mémoires. Elle met en lumière les conséquences des révolutions de février et d’octobre 1917 sur le front du Caucase, où les alliés franco-britanniques essaient d’empêcher les bolcheviks de mener à terme leur projet de paix séparée, tandis que les puissances centrales y voient une aubaine pour reprendre la main dans la région. S’en suit une analyse de la séquence des guerres entre les trois jeunes États du Caucase pour le tracé de leurs frontières, le choix de leurs « protecteurs » dans le contexte trouble de la guerre civile en Russie, des rivalités d’influence entre alliés allemands et turcs, jusqu’à l’armistice du 11 novembre 1918 et la venimeuse rivalité franco-britannique. L’étude de la bolchévisation et la soviétisation du Caucase rendent compte de la permanence d’un logiciel impérial inoxydable malgré les changements de régime. La Turquie sort gagnante par ses gains territoriaux avalisés par les traités de Kars et de Moscou en 1921. L’ouvrage se clôt sur un épilogue consacré aux luttes antisoviétiques et indépendantistes en exil, notamment en France. Par sa pertinence, cette somme ne moisira pas dans les étalages de bouquinistes.

Tigrane Yégavian

Portugal 

Yves Léonard, Salazar, le dictateur énigmatique, Perrin, 2024, 26€. 

Enfin, après de longues années de labeur, l’historien du Portugal contemporain Yves Léonard a publié la biographie que l’on attendait, la première grande biographie en langue française du portugais Salazar. Un travail de longue haleine appelé à connaître un grand succès, notamment grâce à l’exploitation d’archives portugaises inédites.

54 ans après la mort de Salazar. Né en 1889, António de Oliveira Salazar a dirigé le Portugal d’une main de fer pendant quarante ans. Professeur d’université à Coimbra, spécialiste de finances publiques, chantre de l’austérité, il accède au pouvoir en 1928 en tant que ministre des Finances, avant d’être adoubé par les militaires comme président du Conseil en 1932. Il met alors en place la dictature de l’Estado Novo, avec l’aide de la police politique et de la censure, soutenu par l’Église, la hiérarchie militaire et le patronat. Ce n’est qu’en septembre 1968 qu’il doit se retirer, victime d’un AVC, avant de mourir deux ans plus tard.

L’histoire retiendra de l’homme un personnage politique démuni de tout charisme, mal à l’aise en public, mais passé maître dans l’art de durer, implacable et fin analyste de la situation du monde. Célibataire endurci, « marié à la nation, « moine dictateur » , voire misanthrope, Salazar est demeuré une énigme.

La nature de son régime autoritaire, corporatiste imprégné de national catholicisme, avait suscité des émules en France auprès des disciples de Maurras qui firent le pèlerinage à Lisbonne en nombre.

Anachronique à l’aurore des années 1970, le régime salazariste lui survit jusqu’au mois d’avril 1974.

Si le salazarisme est mort avec Salazar, ses séquelles sont encore bien présentes, teintées parfois de nostalgie.
Tigrane Yégavian

Puissance 

Thibault Fouillet, Géopolitique des petites puissances, La Découverte, 2024, 11€. 

Si une grande puissance peut se rétrograder en nain géopolitique à l’image de l’Autriche, l’inverse est-il vrai ?

C’est avec le souci de la clarté et de la concision que Thibault Fouillet, un des géostratèges français les plus prometteurs de sa génération, expose l’actualité de la géopolitique des petites puissances. Il revient sur l’exemple de la résistance inattendue de l’armée ukrainienne face à la Russie en 2022, en écho aux revers essuyés par l’Union soviétique face à la Finlande en 1940. L’auteur identifie les problématiques rencontrées par ces acteurs d’une part et démontre que l’actualité géopolitique est centrée sur les petites puissances : Azerbaïdjan, Ukraine, Singapour, Qatar, Suisse. 

Car avec la fin de la bipolarité, celles-ci apparaissent de plus en plus comme au centre des lignes de fracture et des conflits actuels et futurs.

On lira avec intérêt son observation des moyens utilisés par les petites puissances pour agir dans les relations internationales. Avec une focale sur les capacités traditionnelles de la puissance (hard power), comprenant les volets militaires et diplomatiques dans lesquels les petites puissances évoluent, la façon à laquelle elles combinent le hard et le soft power, développe des actions pertinentes et quels moyens elles déploient (économique, influence) pour développer des capacités de niche. Sont cités en exemple le cas de Singapour, cité État érigée en superpuissance financière et en puissance militaire ; les monarchies du Golfe et leur influence.

Dans un second temps l’auteur nuance son propos en relativisant sur les contraintes structurantes de ces petites puissances encore trop dépendantes de leur environnement régional. La définition de la petite puissance qu’il nous propose est celle qui subit les dilemmes de sécurité sans avoir la capacité d’en provoquer en retour, quelles qu’en soient les raisons. Et de rappeler qu’une petite puissance défaite mettra bien plus de temps à se relever qu’une grande puissance à l’image des États-Unis, qui bien qu’humiliés au Vietnam, sont demeurés une superpuissance.

Progressisme 

Emmanuel Rechberg, Wandrille de Guerpel, Le vrai coût du progressisme, L’Artilleur, 2024, 22€.

La déconstruction du schéma familial traditionnel, la promotion du transhumanisme et le reniement des racines chrétiennes de la France et de l’Europe sont des phénomènes qui se sont accélérés au cours des quarante dernières années. Importé des pays anglo-saxons, le progressisme n’a cessé de gagner en influence.

Bien que certains considèrent cette idéologie comme la norme actuelle, en réalité, elle s’est imposée grâce à des financements massifs d’ONG et d’organisations. 

Après deux ans de travail, d’analyse et de recherches minutieuses, les auteurs dévoilent comment diverses associations, médias, ONG, institutions et lobbys ont bénéficié de subventions s’élevant à plusieurs milliards d’euros.

La censure des banques à l’égard des personnes jugées trop conservatrices, le blocage de comptes Twitter, l’utilisation de fonds publics, les investissements dans le cinéma et les mouvements tels que Black Lives Matter, ont permis au progressisme de dépenser 7,8 milliards d’euros en France. Avec une telle manne financière, il est plus facile de mener la guerre culturelle. 

 

Histoire de la Méditerranée 

David Abulafia, La grande mer, une histoire de la Méditerranée et des Méditerranéens, Champs histoire, 2024, 15,90€. 

Mer Blanche pour les Turcs, Grande Mer pour les Juifs, mer du Milieu pour les Allemands, ou encore Mare Nostrum pour les Romains, le bassin méditerranéen s’est toujours imposé comme un foyer de civilisations fondatrices.

De la chute de Troie aux mouvements migratoires d’Afrique et d’Asie à partir de la fin du XXe siècle, en passant par la fondation de Carthage, les Phéniciens, les Grecs, les Étrusques, les Génois, les Vénitiens et les Catalans, l’histoire de la « Grande Mer » témoigne d’un commerce transculturel, d’interactions religieuses et de transmission des idées.

Ce livre explore l’histoire des peuples qui ont peuplé ces rivages et la manière dont ils ont interagi entre eux. Contrairement à l’idée d’une Méditerranée comme figure d’unité, l’auteur met en lumière la richesse de sa diversité ethnique, linguistique, religieuse et politique.

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À propos de l’auteur
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Fondée en 2014, Conflits est devenue la principale revue francophone de géopolitique. Elle publie sur tous les supports (magazine, web, podcast, vidéos) et regroupe les auteurs de l'école de géopolitique réaliste et pragmatique.

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