Livres de la semaine – Ethnies en Afrique, atlas de l’Océanie, Congo et armes nucléaires au menu des livres sélectionnés par la rédaction de Conflits.
Recensions effectuées par Eugène Berg
Afrique, ethnies et politique
Bilakani Tonyeme, l’ethnie et le pouvoir politique en Afrique, L’Harmattan, 2021, 27€.
Les ethnies ont été et demeurent l’un des éléments au centre de l’organisation sociopolitique dans la plupart des pays d’Afrique. Si cela ne posait pas de problèmes dans l’Afrique précoloniale, la période postcoloniale a vu se développer des idéologies généralement très stigmatisantes sur l’ethnie et sur son rôle sociopolitique au sein du continent. On l’a accusée tour à tour d’être à l’origine des guerres intestines précoloniales, des affrontements communautaires relevés au cours de la colonisation et de la période postcoloniale, mais aussi des résurgences des revendications identitaires depuis le retour de l’ouverture démocratique dans les pays subsahariens. Paradoxalement, cette prépondérance des ethnies dans toutes les sphères de la vie (politique, économique, sociale, religieuse…) en Afrique contraste de nos jours avec la rareté de la réflexion sur leur importance et leur rôle sur ce continent. C’est donc une œuvre bien salutaire à laquelle se livre le docteur en philosophie et en sciences de l’éducation, enseignant-chercheur et maître de conférences l’Université de Lomé, Bilakani TONYEME.
L’Océanie en carte
Fabrice Argounès, Sarah Mohamed-Gaillard, Luc Vacher, Atlas de l’Océanie, Autrement, 2021, 24€.
C’est à un vaste panorama que se sont intéressés Fabrice Argounès, Sarah Mohamed Gaillard et Luc Vacher. L’Océanie est un espace large qui s’étend de la Nouvelle–Zélande à Hawaï, en passant par l’île de Pâques regroupant au total près de 180 millions de kilomètres carrés. Ce cinquième continent reste géographiquement simple à caractériser malgré sa forte disparité culturelle. En effet, cette aire peu peuplée en dehors de l’Australie, soit 0,5% de la population mondiale, parle près de 20% des 7 117 langues pratiquées dans le monde, alors que les langues européennes par exemple, qui totalisent 4% des langues mondiales, sont parlées par 10% de la population mondiale. À l’aide de cartes très intéressantes, les auteurs brossent un tableau complet de cette région entourée de tant de mythes, malgré le caractère tardif de son entrée dans l’histoire (celle de l’Europe) et de sa décolonisation. Si l’empire japonais s’est étendu sur une partie du Pacifique, jusqu’aux Carolines et aux îles Marshall, ce sont les Anglo-Saxons qui dominent le grand océan depuis 1945. A noter également la présence historique de la France dans la région. Sur le plan économique, on note évidemment une écrasante domination de l’Australie qui représente 84% du PIB océanien, suivie de la Nouvelle-Zélande (12%), ce qui ne laisse que 4% à la petite trentaine d’États insulaires. Bon nombre de ces derniers sont de micro-États dont l’existence est souvent menacée par la montée du niveau de la mer. Désormais le Pacifique est devenu une des scènes d’affrontement entre les États-Unis et la Chine, alors que l’Europe, pourtant cinquième partenaire commercial, est un géant discret. Finalement, en dehors de leurs énormes espaces maritimes, la souveraineté est peut-être la plus grande richesse de ces pays océaniens.
Retour au Congo
Michel Innocent Peya, Le Bassin du Congo. Monde sans lui, monde sans vie, L’Harmattan, 2021, 22,50€.
Michel Innocent Peya, docteur en sciences de gestion et en management de l’environnement, expert international pour les questions écologiques et environnementales, fait figure de chercheur engagé en faveur du maintien de la biodiversité et de la lutte pour le climat. Dans l’esprit de cet engagement, il expose dans ce livre les enjeux du bassin du Congo, ces 268 millions d’hectares qui constituent le deuxième poumon mondial après l’Amazonie, composés de forêts, d’eau, de tourbières, de grandes réserves de carbone et d’une riche biodiversité. Cette aire géographique fut à l’honneur lors de la récente COP26 de Glasgow notamment centrée sur la lutte contre la déforestation, et restera au centre de l’attention mondiale lors de la COP 15 consacrée à la biodiversité (programmée en avril 2022 à Kunming, en Chine). L’intérêt de cet ouvrage est ainsi de présenter comment les atouts naturels dont le bassin du Congo regorge sont nécessaires pour la survie de la planète. Les forêts du bassin du Congo couvrent plus de 3 millions de km2 et forment l’une des dernières réserves de biodiversité où les forêts primaires sont interconnectées et permettent la continuité sans perturbation des mécanismes biologiques. Elle contient le quart de ce qui reste de la forêt tropicale sur terre. Elle a en outre le taux de déforestation annuelle le plus bas de toutes les zones majeures (0,3 % depuis les années 2000). Jusqu’à présent, la faible pression démographique, la difficulté d’accès et le manque d’infrastructures ont permis de protéger le couvert forestier de cette région du monde. Richesse de la biodiversité, rôle vital dans la régulation du climat mondial ainsi que la séquestration du CO2, ressources forestières et minières abondantes, richesse de la faune et de la flore, autant d’atouts remarquables pour le développement économique des pays du Bassin du Congo.
Armes nucléaires
Benoît Grémare, De l’arme nucléaire française – Essai sur la constitutionnalisation de la force de frappe, L’Harmattan, 2021.
La France est un État nucléaire. Cela détermine non pas seulement son rang dans les relations internationales, mais aussi son régime politique, son droit constitutionnel, sa présidence de la République et sa pratique politique. Benoît Grémare, officier de marine dans l’escadrille des sous-marins nucléaires, chercheur associé à l’Institut d’Études de Stratégie et de Défense de l’Université Lyon III, examine dans le détail cette situation singulière au regard du droit international et européen en vigueur et au regard du texte de la Constitution. Le Président « maître de l’atome » surplombe l’État de droit, même s’il tire son pouvoir de la légitimité démocratique conférée par son élection au suffrage universel direct. Il convient de « constitutionnaliser » cette force de frappe, après l’avoir conceptualisée, en avoir analysé les lois de programme et en avoir montré la valeur constitutionnelle. Tel est l’objectif et l’apport de cet ouvrage. En ce sens, l’auteur cherche à démontrer que la disposition la plus forte du droit français devrait sortir de la partie réglementaire du Code de la défense (l’article 1411-5) pour être insérée dans la Constitution. On constate également au fil de l’ouvrage que le droit nucléaire s’est construit sur la dialectique de la peur et de l’espoir. Il en résulte la hantise de la destruction des forces qui nous sont opposées ce qui constitue le moyen de parvenir à nos fins. C’est même le cas quand l’engagement n’a pas lieu réellement, car la décision se fonde sur l’idée que cette destruction est indubitablement possible. Puisqu’après avoir connu une sorte d’éclipse après la fin de la guerre froide, on assiste à un « retour du nucléaire », ces réflexions apparaissent comme des plus utiles, bien qu’elles puissent ici et là prêter à discussion.
Economie et politique africaine
Mohamed Harakat (dir.), Économie politique de la fragilité et de la gouvernance en Afrique, L’Harmattan, 2021, 25€.
Avec la crise sanitaire de la Covid-19 et l’émergence de « nouveaux biens économiques et sociaux communs », Mohamed Harakat (professeur d’économie politique à l’université Mohammed V de Rabat et directeur de la structure doctorale « Gouvernance de l’Afrique et du Moyen-Orient ») explique qu’il est devenu nécessaire et urgent de découvrir de nouvelles pistes de développement et de nouvelles lois de marché (plus transparentes, concurrentielles et solidaires). Ce serait aux économistes de trouver ces solutions en jouant un plus grand rôle que par le passé. Il leur faut pour cela guider leurs pays en allant au-devant de la révolution numérique et en proposant des solutions au chômage de masse, aux monopoles et aux inégalités. Les temps difficiles exigent l’économie des biens communs. Le respect de la dignité humaine et de la conscience de sa place centrale et naturelle conduit sans aucun doute à la nécessité de repenser en profondeur et sérieusement les priorités économiques ainsi que les moyens de sécuriser et de protéger nos sociétés contre les dangers auxquels elles sont confrontées. C’est ce qui amène les auteurs à montrer la nécessité de poser les grandes questions de développement à long et moyen terme et de rendre les idées économiques compréhensibles pour un large public. Dans cet esprit, cet ouvrage engage une réflexion critique sur l’état des lieux, les contraintes et les perspectives de l’économie politique de la fragilité et de la gouvernance en Afrique en quête d’un nouveau modèle de développement. Afin de garantir et préserver un environnement de sécurité juridique et judiciaire, l’Afrique doit veiller au renforcement des capacités tant de ses Etats que des opérateurs économiques et de la société civile.
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