Élitisme, stratégie militaire et politique, guerre en Ukraine, guerre de l’espace, Babylone. Aperçu des livres de la semaine.
Elites
Thomas Viain, La Sélection des intelligences. Pourquoi notre système produit des élites sans vision, L’Artilleur, 2024, 18€.
C’est un lieu commun. Entre les élites dirigeantes et le reste de la population se trouve un fossé, creusé d’année en année. Les politiques et les intellectuels ne comprennent plus ceux qu’ils gouvernent et qu’ils guident. Thomas Viain, haut fonctionnaire, met à profit sa situation privilégiée dans les coulisses des institutions pour observer très attentivement les rouages qui font fonctionner l’administration. Il consacre ainsi son ouvrage à l’étude de « l’intelligence horizontale », caractéristique assez malheureuse de notre modernité et fil rouge de notre éducation sociale et étatique.
Comment expliquer ce divorce croissant entre les élites et la population ? L’auteur est original. Les études et le travail ne sont pas « la vraie vie » pour ces hommes et ces femmes brillantissimes, capables de monologuer avec passion sur n’importe quel sujet, exceptés ceux qui préoccupent vraiment tout un chacun. L’indifférenciation des profils empêche une polyvalence des talents et des capacités dès les premières classes de l’école. La pensée des éduqués n’est pas hiérarchisée, mais bien plate, et entretient alors avec le monde un rapport horizontal. Les dirigeants et les élites traitent de tous les sujets sans prendre en compte « les arrières-plans », et se contentent d’un monde sans relief ni obstacle. Cette pensée est tellement horizontale qu’elle devient imitable par un réseau de neurones construits tels que l’intelligence artificielle.
L’auteur propose alors de penser une alternative à ce système, en encourageant un mode d’apprentissage qui soit croissant et vertical, même si l’on devait passer par un enrôlement de masse dans l’institution scolaire.
Géostratégie
Précis de survie stratégique. Se préparer aux conflits de haute intensité, sous la direction d’Adrien Jaulmes et Lucas Menget, Équateur Documents, 24,90€.
Très longtemps, trop longtemps même, l’Europe a regardé d’un œil distrait, mais condescendant les conflits divers et variés qui mobilisaient les continents autour de nous, sans croire un seul instant qu’ils pourraient nous atteindre. Mais, depuis les débuts de la guerre en Ukraine, il semble que les cartes de la géostratégie aient été rebattues.
Anticiper les crises, tel est l’objet ambitieux de ce manuel de survie, rédigées par des experts du terrain, militaire, chercheurs, journalistes. S’appuyant sur des cartes en couleurs très lisibles, ils portent des regards et analyses sur les tensions armées qui ébranlent les sols depuis des décennies, pour tenter de prévenir les conflits de demain. Le message est clair : il est temps de regarder en face et d’assumer la fragilité de notre monde. À l’aide de la représentation précise des tensions et des zones de crise actuelle, les auteurs tentent tout simplement de décrypter l’avenir. Pour mieux comprendre ce qui pourrait arriver, ils contextualisent les menaces, évaluent les raisons des tensions, déchiffrent les visions de chacun des acteurs, tout en exploitant une description de la guerre contemporaine, sur terre, sur mer, dans l’air et dans l’espace. La vérité se situe sous nos yeux, et non dans les grands principes.
Des héros et l’espace
Frédéric Martinez, Neil Armstrong et Iouri Gagarine. Deux vies, un rêve, Passés Composés, 2024, 22€.
Le 12 avril 1961, l’URSS gagne un point retentissant dans la guerre des deux blocs en signant de son nom le premier vol habité dans l’espace. Iouri Gagarine s’est envolé, et quel envol. La gloire lui est promise. Le 21 juillet 1969, en posant le premier le pied sur la lune, Neil Armstrong prononce ce qui devint une devise : « C’est un petit pas pour l’homme, un grand pas pour l’humanité ». Les États-Unis attestent à leur tour une victoire éclatante à l’épreuve de la guerre froide. Voler toujours plus loin et toujours plus haut, découvrir des sphères inconnues du monde connu, c’est le rêve qui unit ces deux hommes que tout oppose. D’un côté le fougueux Gagarine, héros de l’Union soviétique, déjà dépassé par sa notoriété planétaire ; de l’autre le froid et discret Armstrong, ingénieur surdoué, passionné par l’espace au point de se retirer du monde.
Dans cet ouvrage, Frédéric Martinez réussit le fabuleux pari d’un portrait croisé de ces deux héros de la guerre de l’espace engagés dans une rivalité internationale, et nous offre un vibrant récit de la conquête spatiale.
Babylone
Josette Elayi, L’Empire babylonien. Entre haine et fascination, Perrin, 2024, 23€.
Fondé par Nabopolassar, l’empire babylonien succède à l’empire assyrien, et dure à peine 90 ans. De 626, date de son érection, à 539 avant Jésus-Christ, année de sa capture par Cyrus, le roi des Perses, la souveraineté et l’hégémonie de Babylone sont parvenues à s’assurer une haute place parmi les vestiges de l’Antiquité. De nombreuses sources nous ont atteints. L’auteur souligne que c’est même l’une des civilisations antiques dont on conserve le plus de traces archéologiques, écrites et iconographiques aujourd’hui. Mais cet ouvrage est le premier à se consacrer entièrement et spécifiquement à Babylone. Josette Elayi brosse le portrait de cet empire à la fois énigmatique et populaire, dans ses aspects politiques et socioéconomiques, sans exclure la diplomatie, l’organisation de l’armée, la nature de la royauté, inscrivant le tout dans un contexte clarifié.
De nature étrangère à notre culture occidentale, à l’inverse de la Grèce ou bien de Rome, deux aspects ont pourtant survécu dans l’imaginaire collectif : la cité de Babylone et ses jardins suspendus, et le roi Nabuchodonosor. La Bible est l’un des acteurs de cet imaginaire. L’auteur nous livre ici l’histoire palpitante de cet empire, de sa naissance à sa chute, armé de ses attributs que l’on pourrait conceptualiser aujourd’hui à l’aide des termes suivants : traditionalisme, centralisme, bureaucratie, élitisme social, expansionnisme.
Guerre en Ukraine
Paul Gogo, Opération spéciale. Dix ans de guerre entre Russie et Ukraine, vus et vécus dans le Donbass, Rocher, 19,90€.
Paul Gogo est l’un des plus fins connaisseurs de la guerre qui oppose la Russie à l’Ukraine depuis dix ans. Le 26 mai 2014, il est alors correspondant dans le Donbass. L’armée ukrainienne lance une offensive pour libérer l’aéroport de Donetsk, contrôlé par des séparatistes russes. Puis, à Moscou entre 2016 et 2022, il est un témoin indirect des débuts de l’opération spéciale, déclenchée le 24 février 2022. Pourquoi les Russes ont-ils permis ce conflit ? Dans ce récit au long cours raconté à la première personne du singulier, l’auteur déroule une enquête très précise effectuée sur le terrain et auprès des populations. Pendant dix ans, il suivit le conflit, des deux côtés du front.
