Livres de la semaine – 19 janvier

19 janvier 2024

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Livres de la semaine – 19 janvier

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Culture universelle, histoire économique, politique française, guerre antique et pôle. Aperçu des livres de la semaine.

Droits de l’homme

Cao Hui, « Conflits des Civilisations » ou « coexistence multiculturelle ». Reconstruction des Concepts des Droits de l’Homme dans la Nouvelle Ère de Civilisation Humaine, SPM, 2023, 36€.

L’ouvrage se veut porteur d’une réflexion accrue sur les Droits de l’Homme. Il s’agit ici de repenser la manière de les appréhender au vu des différences sociales et culturelles entre les pays du monde. Pourtant, ces derniers ne doivent pas s’affranchir de l’application universelle des droits de l’homme. Comment, ainsi, réunir deux positions qui semblent de prime abord antagonistes ? L’auteur fait le choix de porter ses recherches sur les « genèses culturelles des droits de l’homme », qui présentent en leur sein un paradoxe de taille, entre, d’une part, l’impératif d’ériger les droits de l’Homme en une instance absolue, naturelle, et, d’autre part, la controverse actuelle à laquelle ils sont sujets. Alors qu’ils appellent à l’universalisme, ils nourrissent pourtant sans cesse les débats politiques et divisent les opinions. Il convient donc de porter un regard sur cette contradiction, et Cao Hui y répond en prenant appui, outre les sources primaires que constituent les documents officiels, sur une bibliographie diversifiée.

La structure de l’essai repose de surcroît sur une volonté de définir clairement les droits de l’Homme, puis de les concevoir sous de multiples prismes : il faut considérer les sources religieuses – en particulier bibliques – mais aussi philosophiques qui participent de la genèse de ce thème, puis se pencher sur les pratiques historiques des droits de l’homme, dont la conduite mène potentiellement vers des crises d’ampleur. Il faut voir en quoi les racines des droits de l’homme sont plurielles, tant en Orient qu’en Occident, et témoignent elles-mêmes de la diversité des cultures, époques et traditions.

C’est le concept de dignité, dont le caractère est avant tout religieux, qui constitue, entre autres, la source fiable de la genèse des droits de l’homme. En outre, le christianisme, paradoxalement, influe nombre de philosophes des Lumières à l’instar de Rousseau. Il faut aussi entrevoir l’apport absolument crucial de la philosophie sur les droits de l’homme : il prend ses sources dans l’Antiquité, aux côtés de Platon, Épicure, puis Cicéron, et se propage avec force à travers les siècles. Cao Hui, enfin, se penche sur les pratiques historiques et les crises des fondements d’un tel sujet : c’est à ce titre qu’est interrogé le caractère universel des droits de l’homme.

Vers les pôles

Camille Escudé, Géopolitique de l’Arctique, Presses Universitaires de France, 2024, 15€.

Le territoire, soumis à des représentations littéraires, médiatiques ou encore iconographiques, est aujourd’hui présenté comme un espace de conquête. Les divers acteurs qui tentent d’asseoir leur influence à l’international voient en l’Arctique un lieu stratégique au fort potentiel économique. Pourtant, la région reste longtemps épargnée, les relations tissées sur le territoire laissent peu, voire pas de place au conflit. Les tensions qui y naissent restent relatives au droit de la mer. Mais les bouleversements que lui font connaître ces dernières années sont un choc : la fin de la guerre froide constitue le début de la mise en place d’un réseau puissant d’acteurs qui construisent l’Arctique en une place géopolitique forte. Et surtout, c’est en 2022 que s’exécute une véritable transformation : à la suite de la guerre entre Russie et Ukraine, le gel entre les instances de coopération arctique transforme définitivement la dynamique que connaissait la région.

Nombre d’acteurs étatiques qui inquiètent et gagnent en influence, à l’instar de la Chine, prétextent la question environnementale pour légitimer leur tentative d’implication dans la région. La stabilité politique de l’Arctique est alors interrogée et semble de plus en plus incertaine. Ainsi l’Arctique devient-il le théâtre des jeux de pouvoir entre les nations, et implique en particulier les États membres de l’espace, à savoir la Fédération de Russie, Le Canada, les États-Unis, la Norvège, le Danemark, L’Islande, la Finlande et la Suède.

Il faut en outre prendre en compte la question complexe des populations autochtones, en particulier au prisme du tournant géopolitique des années 1990. Véritables acteurs des luttes d’influence qui ont lieu sur leur territoire, ils voient s’accroître la question de l’Arctique à l’échelle internationale et non plus locale. En parallèle, progressivement, les acteurs infranationaux se taillent une place de choix sur la scène diplomatique : ce sont les choix que font l’Écosse ou le Québec. Il s’opère en outre un processus d’intégration régionale arctique, qui prétend lutter contre le morcellement des territoires.

République

Hugo Coniez, La mort de la IIIe république. 10 mai-10 juillet 1940. De la défaite au coup d’État, Perrin, 2024, 23€.

L’ouvrage détaille avec précision les événements qui marquent la mort de la IIIe République, laissant place au régime de Vichy. Sur une courte période de deux mois, les incidents se succèdent à une folle rapidité, et entraînent bientôt l’adoption d’un pouvoir autoritaire. L’auteur ambitionne de répondre aux questionnements relatifs à la chute de la République, principalement par le biais de l’histoire politique, mais il ne néglige toutefois aucune source d’informations. La démarche novatrice d’Hugo Coniez est celle d’un témoin direct, qui fait revivre pour le lecteur les principaux acteurs de l’événement, dont il dresse de justes portraits. Il faut souligner le choc que ce changement de régime engage, tant il semble certain qu’on ne mettra plus à mal les institutions françaises.

Dès lors, pourquoi un effondrement si soudain ? Hugo Coniez refuse une lecture téléologique de l’histoire : cet écroulement est certes la conjoncture de plusieurs facteurs, mais rien ne peut attester d’une suite logique d’événements qui trouveraient en leur fin la chute du régime. C’est pourquoi la prise en compte de ses vecteurs politiques semble la plus pertinente. De fait, l’effacement de la IIIe République est une décision qui relève des plus hautes sphères de l’État.

Il faudrait alors envisager l’étude d’un tel événement sous une nouvelle perspective : le caractère des individus à la tête du pays.

Après avoir démontré en premier lieu l’ampleur du choc qui s’étend dans les premiers jours de mai 1940, l’auteur va crescendo dans l’étude de la tragédie nationale. Il met en exergue la période de sursis qu’a connu le pays, avant de se confronter à une véritable révolution de palais, dont les contrecoups sont sans appel. Il s’agit par ailleurs d’évoquer les derniers soubresauts d’une République à l’agonie, qui tente en vain de se départir de sa fin prochaine. Rien ne semble donc décisif : les derniers mois de la IIIe République révèlent une période de troubles.

Finalement, Albert Lebrun laisse place au Maréchal Pétain.

Ainsi, grâce à l’abondance des journaux, études, témoignages et ouvrages, Hugo Coniez retrace sous la forme d’une chronique quotidienne le cours des événements qui se sont succédé en France du 10 mai au 10 juillet 1940. Il procède de manière chronologique afin de pouvoir apporter une meilleure compréhension au lecteur, et relate avec vie et fiabilité les dialogues qui le précèdent de plus d’un demi-siècle.

Faire la guerre

Adrienne Mayor, Feu grégeois, bombes à scorpions et cochons enflammés, Nouveau Monde, 2024, 23,90€.

On imagine de la période antique qu’elle révèle une unique manière de combattre, celle, réductrice, d’une armée de guerriers qui s’entretuent loyalement au corps à corps, pour une victoire honorable. Cette image trompeuse omet la naissance de la guerre biochimique. Les agents chimiques sont de fait employés en masse en vue d’octroyer la victoire de leurs acteurs.

Pourtant, porter atteinte à ses adversaires par l’exploitation des forces mortelles de la nature ne relève pas exclusivement du mythe, et c’est en ceci que l’ouvrage d’Adrienne Mayor constitue une véritable mine. En effet, cette dernière propose au lecteur la découverte d’un monde aux moyens insoupçonnés. Elle puise dans de nombreuses ressources, textes antiques et contemporains, œuvres d’art, cartes. De facto, elle élabore un ouvrage riche, foisonnant, qui relate la fertilité des innovations en temps de guerre dans l’Antiquité. Ainsi peut-on avancer, dès la période antique, le caractère hybride de la guerre, et les armes non-conventionnelles y font foison. À la fois loufoques, ingénieuses, et terriblement mortelles, elles témoignent d’un nouveau regard à porter sur le monde obscur et fascinant de la guerre antique.

L’ouvrage s’avance en outre comme un travail de liaison entre les mythes et légendes qui peuplent l’Antiquité. Il s’agit pour Adrienne Mayor de défendre l’effet foudroyant que ces récits fabuleux procurent sur l’usage de ces armes non-conventionnelles. Elle engage en effet la réflexion, en premier lieu, sur le mythe d’Héraclès et de l’Hydre de Lerne, qui semble être le vecteur de l’invention des armes biologiques. Par ailleurs, les mythes mettent bien souvent en scène des êtres divers aux armes particulières. Certaines sont définitivement humaines, à l’instar des flèches du malheur, trempées dans du venin de serpent, du miel toxique ou encore de la propulsion de flammes inextinguibles… Tant de moyens d’obtenir la défaite de l’ennemi.

Cet ouvrage majeur doit aussi son importance à la relation qu’il implique entre nos techniques de guerre et de terrorisme contemporaines et les luttes antiques, affinées par les traces archéologiques. Il faut donc souligner la portée essentielle de l’ouvrage, en tant qu’il vise à révéler la profondeur et l’étendue des preuves de l’existence de la guerre biologique et chimique dans l’Antiquité, mais aussi en tant qu’il promeut une réflexion sur les moyens qui sont les nôtres en matière de combat. De surcroît, le caractère non-conventionnel des armes employées se réfère à une dimension morale qu’il convient de souligner. Il est facteur de dilemmes et de réflexions éthiques que nous portons encore par les débats actuels.

Une autre histoire de France

Charles Serfaty, Histoire économique de La France, Passés Composés, 2024, 27€.

Charles Serfaty accomplit un travail de longue haleine et réécrit l’histoire économique de la France, prenant ses sources en Gaule, à partir de données inédites. Il s’affirme en combattant des idées reçues et stéréotypes qui ont traversé les siècles, et qui donnent aujourd’hui lieu à de nombreux contresens. L’auteur présente une thèse absolument sensationnelle : la France ne dépend pas de l’économie pour asseoir sa domination et affirmer sa puissance dans le monde. Elle est le seul pays qui ne semble pas répondre d’une logique directe entre économie et politique.

Il faut avant tout remarquer que la France a été, depuis la Gaule celtique jusqu’en 1945, le lieu privilégié des luttes économiques en tant qu’elle est un lieu commercial stratégique ouvert sur la Méditerranée et l’Europe de l’Est. L’auteur analyse la Gaule celtique, puis romaine, dans lequel il découvre certes, une discontinuité politique, mais une continuité économique. En effet, les Gaulois de Vercingétorix avaient, semble-t-il, un niveau de vie proche de celui des Romains, malgré l’apport fondamental qu’a été Rome sur le territoire, en particulier en ce qui concerne les routes militaires, le commerce méditerranéen, et le développement urbain. Il s’agit ensuite de se pencher sur la lente mort de la Gaule romaine, qui met à mal son économie, mais le royaume des Francs connaît une période de renouveau à la suite du grand défrichement, qui permet de meilleures exploitations agricoles.

Cette période qui s’étend sur plus de cinq siècles révèle l’ajustement du regard porté sur le passé. En effet, le Moyen-Âge, longtemps vu comme une période de trouble où régnaient le paupérisme et la misère, s’avère pourtant un temps de croissance au cours duquel la population atteint un niveau de vie jamais atteint auparavant. Charles Serfaty ambitionne de rétablir l’histoire économique de la France sous un prisme exclusivement rationnel, et entend faire émerger les consciences, trop enclines à se fier aux clichés. Il faut voir ensuite la naissance d’une taxation en France au XIVe siècle, qui est signe d’une évolution de la conception économique puisqu’elle devient régulée. C’est une période qui voit se multiplier les impôts, qu’ils soient féodaux ou de l’Église. La France traverse, au sortir du Moyen-Âge, une relative période d’immobilisme, à l’aune de l’enrichissement fulgurant de l’Europe, qui dépasse le reste du monde.

L’Époque moderne et les Lumières sont, elles, signe d’une croissance économique forte, qui s’accroît d’autant plus au XIXe et s’accompagne d’une évolution politique et sociale forte. Le XXe siècle, quant à lui, marqua une phase de latence d’un point de vue économique, au moins jusqu’en 1945, à la lumière des troubles intenses qui agitent le paysage politique international.

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Fondée en 2014, Conflits est devenue la principale revue francophone de géopolitique. Elle publie sur tous les supports (magazine, web, podcast, vidéos) et regroupe les auteurs de l'école de géopolitique réaliste et pragmatique.

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