Livre : Les bémols de Staline – Conversations avec Guennadi Rojdestvensky

29 mai 2020

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Livre : Les bémols de Staline – Conversations avec Guennadi Rojdestvensky

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La musique est un domaine majeur dans la culture russe : Tchaïkovski en première ligne, nombreux sont les compositeurs russes de musique classique. A l’époque du communisme, elle a continué à incarner l’essence de la Russie tout en devant s’infléchir au régime.

Guennadi Rojdestvensky, un grand nom de la musique russe

Bruno Monsaingeon publie un livre qui nous dévoile la face cachée de la musique classique, ô combien importante en Russie, sous le régime communiste.

En Russie, la musique est une seconde religion, elle reflète l’âme du peuple, en exprime les profondes aspirations. Ce fut aussi durant l’époque socialiste le moyen de présenter une image plus avenante et attractive du régime. Je me souviens qu’un jour la Suisse interdit la venue chez elle du virtuose violoniste David Oïstrakh, au motif que son talent serait susceptible de présenter une image trop positive du communisme ! Guennadi Rojdestvensky, un des chefs d’orchestre les plus importants et marquants du XXe siècle, fait partie, en compagnie de David Oïstrakh, Sviatoslav Richter, Mstislav Rostropovitch et Émile Guilels, du quintette des musiciens les plus exportés en provenance de Moscou. Il est l’une des gloires incontestées du pays. Titulaire de postes prestigieux au Bolchoï, à la tête de l’orchestre radio-symphonique d’État d’URSS pendant une quinzaine d’années, puis fondateur de son propre orchestre dans les dix dernières années de l’Union soviétique.

Il est aussi le premier Soviétique (une incroyable nouveauté à l’époque) à avoir été nommé chef principal de divers orchestres étrangers : l’Orchestre symphonique de Vienne (1974-1977), celui de la BBC à Londres (1978-1981), et l’Orchestre philharmonique royal de Stockholm (1974- 1977, puis de 1981à 1983). Aussi ces Conversations, au-delà de la riche vie musicale russe dont elles brossent un vivant et vibrant portrait, fournisent au lecteur de précieuses indications sur les rapports entre culture et politique, musique et propagande, grands artistes et dirigeants

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La singularité musicale russe au temps du bolchévisme

L’Union soviétique, de 1917 à 1990, fut le lieu d’un fascinant paradoxe : dans un contexte d’extrême difficulté, voire de terreur, s’est développée l’une des vies musicales les plus intenses et les plus riches du XXe siècle. Des compositeurs majeurs, d’immenses interprètes, ont déployé leurs talents au cours de ces soixante-dix années dans des situations de danger et de précarité souvent ubuesques, toujours extrêmes. Au travers des décennies c’est une partie de l’histoire de l’URSS et de la Russie actuelle qui défile sous nos yeux.

Le premier « Commissaire du Peuple à l’Instruction publique » du gouvernement bolchévique constitué après la Révolution d’octobre fut Anatoly Vassilevitch Lounatcharsky, un homme de grande culture. Il était capable de faire des conférences sur à peu près n’importe quel sujet, sans avoir recours à la moindre note. On l’appelait au téléphone : « Anatoly Vassilevitch, il y a aujourd’hui un concert pour la commémoration de l’anniversaire de Beethoven au Bolchoï. Seriez-vous assez aimable pour le présenter ? – Oui, bien sûr ! »

Ne subsista alors qu’une « ligne », elle, et elle seule, détenait la vérité ; quelle qu’en soit la formulation, elle était devenue à tout jamais infaillible

Il arrivait au théâtre le soir même, et prononçait une étincelante conférence sur Beethoven. Le lendemain, cela pouvait être sur Goethe, et le surlendemain, sur Delacroix. Dans les années 1920, pour une intelligentsia majoritairement acquise à la révolution, Lounatcharsky était l’incarnation de la relative liberté qui régnait encore alors. Une atmosphère de liberté qui, pensait-on, ne pouvait que favoriser l’éclosion et l’épanouissement d’un art nouveau, synonyme d’art révolutionnaire. Des compositeurs tels que Franz Schreker, Alban Berg et Darius Milhaud venaient à Moscou et à Petrograd. On les jouait ; il existait une très active « Association pour la musique contemporaine », qui organisait des concerts d’œuvres contemporaines en provenance du monde entier.

La musique, un domaine du communisme

Parallèlement, des œuvres soviétiques étaient présentées en grand nombre dans les programmes de festivals occidentaux. Chostakovitch venait de signer sa 1re Symphonie. Cependant, si on songe à quelqu’un comme Roslavetz, un compositeur de musique expérimentale de grand talent, on ne peut certes pas dire de lui qu’il arpentait les rues en brandissant le drapeau rouge. Ce climat de relative liberté se prolongea une petite dizaine d’années. Avant que l’art ne tombe sous l’emprise et le contrôle absolus du Parti communiste, il était encore envisageable de dévier un tant soit peu d’une ligne qui n’allait pas tarder à se rigidifier.

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Tout cela prit fin au début des années trente. Ne subsista alors qu’une « ligne », elle, et elle seule, détenait la vérité ; quelle qu’en soit la formulation, elle était devenue à tout jamais infaillible ! Puis, et cette fois du vivant de Rojdestvensky, ce fut Nikolaï Mikhaïlov, suivi de Panteleïmon Ponomarenko et d’Ekaterina Furtseva ; et pour couronner le tableau, Piotr Demichev, le dernier en date de cette cohorte de ministres soviétiques. Ses rapports à l’art étaient inexistants. La doctrine dite du « réalisme socialiste » avait été formulée, à la suite du premier Congrès des écrivains qui se tint à Moscou en 1934 et auquel prirent part Maxime Gorki et Ilya Ehrenbourg du côté soviétique, mais aussi toute une prestigieuse pléiade d’écrivains étrangers, parmi lesquels Louis Aragon, André Malraux et André Gide. Tous approuvèrent la doctrine, tous se déclarèrent prêts au combat, sans savoir, il est vrai, contre quoi. Car personne jusqu’aujourd’hui n’en connaît ni le contenu ni la signification. C’était une formule stalinienne, une trouvaille sortie tout droit du génial cerveau du Guide suprême. Le « réalisme » se doit de refléter la réalité, n’est-il pas vrai ? Mais dans le cas présent, une réalité que l’on devait soigneusement et obligatoirement embellir.

Au final Guennadi Rojdestvensky avoue qu’il ne fait aucun doute qu’il a été un produit de l’État soviétique, éduqué et structuré par lui ; et qu’il représentait son pays. « Je m’y suis employé comme je pouvais, le plus dignement possible. Au cours de plus de soixante années, j’ai eu le bonheur de pouvoir consacrer toutes mes forces à mon travail. Dans les moments lumineux comme dans les moments sombres, frémissant parfois de joie, parfois d’horreur. ». C’est bien cette vocation pour l’art qui a permis à bien des créateurs de talent de traverser le temps, une flamme qui ne  s’est jamais éteinte, et continue à donner de la Russie la meilleure image de son génie créateur.

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À propos de l’auteur
Eugène Berg

Eugène Berg

Eugène Berg est diplomate et essayiste. Il a été ambassadeur de France aux îles Fidji et dans le Pacifique et il a occupé de nombreuses représentations diplomatiques.

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