La dernière livraison de la revue Orients Stratégiques propose un numéro exclusivement consacré à la géopolitique du Haut-Karabagh, cette enclave arménienne qui a subi sur la période 2020-2023 un processus graduel devant la conduire à son anéantissement.
La dernière livraison de la revue Orients Stratégiques dirigée d’une main de maître par l’américaniste et membre junior de l’Institut Universitaire de France, Julien Zarifian propose un numéro exclusivement consacré à la géopolitique du Haut-Karabagh, cette enclave arménienne qui a subi sur la période 2020-2023 un processus graduel devant la conduire à son anéantissement.
C’était il y a un an que la République autoproclamée de l’Artsakh (ex Haut-Karabagh) disparaissait dans la foulée de l’assaut de l’armée azerbaïdjanaise. Or, c’est oublier que les puissances régionales ont eu son rôle dans cette tragédie qui s’est déroulée au cœur d’une région géopolitique et géo-économique importante où les puissances russe, turque et iranienne y sont prédominantes, y coopèrent et y sont en concurrence. Le mérite de ce recueil d’articles revient à replacer ce conflit à l’échelle de la mondialisation malheureuse et l’accélération des mutations géopolitiques.
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Ainsi l’historien Raymond Kévorkian éminent spécialiste du génocide de 1915 revient sur les conditions de la création de l’État azerbaïdjanais par les dirigeants génocidaires Jeunes-Turcs animés par un projet panturquiste et pantouranien. L’occasion pour lui de dresser un parallèle opportun entre la survivance de cette idéologie panturquiste auprès des élites turques et azerbaïdjanaises dans leur projet d’anéantissement du Haut-Karabagh arménien.
De son côté l’analyste Benyamin Poghossian rattaché au think tank APRI ARMENIA décrypte l’ambigüité de la politique russe dans le conflit du Haut-Karabagh. Si Moscou était attaché à maintenir sa présence militaire dans cette enclave réduite à sa portion congrue après la guerre des 44 jours de 2020, la guerre contre l’Ukraine de 2022 rebat les cartes et accroît sa dépendance au tandem turco-azerbaïdjanais quitte à se désolidariser complètement de son allié arménien pourtant membre de l’OTSC lors de l’offensive militaire de l’Azerbaïdjan en septembre 2022. On comprendra mieux pourquoi l’Arménie a été une variable d’ajustement.
À lire avec un vif intérêt, l’article de Pascal de Crousaz sur le rôle aussi dense que discret d’Israël, allié stratégique de l’Azerbaïdjan dans son combat existentiel contre l’Iran. Il convient de souligner la profondeur des liens qui lient Bakou à Tel-Aviv, important fournisseur d’armements en échange du pétrole et de tenter ce parallèle entre le nettoyage ethnique du Haut-Karabagh de celui en cours dans la bande de Gaza et le sud du Liban. L’Iran, qui après avoir soutenu l’Azerbaïdjan lors de la guerre de 2020, subit un remodelage géopolitique qu’il n’a pas souhaité et qui accroit la hantise d’un encerclement comme le souligne dans son article « Téhéran face à la chute du Haut-Karabagh arménien (2020-2023) » le rédacteur en chef d’Orients Stratégiques, David Rigoulet-Roze.
Téhéran pourra-t-il garder sa position d’équilibriste en dépit de l’activisme israélien sur le flanc nord de sa frontière ? Dans ce contexte, quel bilan peut-on dresser du rôle de l’Union européenne qui a tenté de prendre le relai du groupe de Minsk de l’OSCE pour une médiation entre Arméniens et Azerbaïdjan ? Tel est le sujet développé par la politiste Taline Papazian qui critique la mollesse, l’impéritie et l’absence de prise en compte de la gravité des enjeux par Bruxelles, dans sa volonté de ménager l’Azerbaïdjan exportateur d’hydrocarbures, de peur que ce dernier ne se rapproche encore davantage de la Russie.
Que dire de l’action de la France, puissance moyenne traversée elle aussi par de multiples contradictions, mais qui s’inscrit à l’avant-garde du soutien à l’Arménie ? Dans un entretien, le représentant de la République d’Artsakh en France, Hovhannès Gevorkian note le rôle du Sénat dans la prise de conscience qu’une fois l’Artsakh tombé, le tour viendrait à l’Arménie. Et de s’interroger sur l’ambivalence de la France qui s’est cantonnée à un soutien diplomatique sans sanctionner le régime d’Aliyev.
La rivalité indo-pakistanaise à l’aune du conflit arméno-azerbaïdjanais fait l’objet quant à elle d’une étude de Jean Luc Racine qui met en avance l’alignement du Pakistan sur l’axe Ankara Bakou et l’intérêt de l’Inde à aider l’Arménie tout en maintenant un commerce bilatéral important avec l’Azerbaïdjan. Enfin, Julien Zarifian revient sur le positionnement de Washington sur la question du Haut-Karabagh pour mieux souligner la permanence d’un tropisme pro turc motivé par la realpolitik en dépit des efforts des groupes de pression arméniens de parvenir à une position plus équilibrée.
Otage des jeux de puissance que se livrent Russes, Iraniens, Israéliens, Turcs et Occidentaux, la petite République non reconnue a été sacrifiée sur l’autel de la géopolitique des empires. À présent en sursis dans des conditions précaires en Arménie, son peuple s’accroche au fol espoir d’un hypothétique droit au retour.
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