Livre – Le jour où la Chine va gagner

6 juillet 2021

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Livre – Le jour où la Chine va gagner

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L’ancien diplomate singapourien Kishore Mahbubani, qui avait représenté son pays à l’ONU, devenu universitaire et géopoliticien de renom, défend depuis trente ans que le XXIe siècle sera celui de l’Asie. Il n’est ni le seul ni le premier à avoir fait cette prédiction.

L’ascension du Japon avait suscité admiration et interrogation lorsqu’en 1956 il était devenu le leader mondial de la construction navale. En 1964, pour la seconde fois depuis 1945, le taux de croissance japonais dépasse 13%. Sa balance commerciale devient structurellement excédentaire. En 1967, le PIB japonais dépasse celui de la RFA, ce qui le place au second rang mondial. Cette ascension japonaise réalisée en moins d’un quart de siècle bouleverse la hiérarchie des pays industrialisés, établie depuis la fin du XIXe siècle. Le pays possède la moitié du tonnage maritime mondial (hors marine de guerre), occupe le troisième rang pour la production d’acier et la construction automobile, le deuxième pour l’électronique, et des filiales nippones s’implantent solidement en Corée du Sud, à Taiwan, à Hong Kong et à Singapour (qu’on appellera les N.P.I, Nouveaux pays industrialisés). Mais l’exemple japonais si instructif soit-il, n’a que peu d’analogie avec celui de la Chine, dont les dimensions sont tout autres. Kishore Mabubani examine donc à son tour les conséquences au niveau mondial de la prodigieuse ascension chinoise depuis les réformes impulsées par Deng Xiao Ping, à partir de 1978, soit deux années après la mort de Mao, qui l’avait mis à l’écart. Pour ce faire, l’homme sans cou, qui avait été étudiant ouvrier en France dans les années 1920, s’était largement inspiré de la politique de Lee Kuan Yew pour lancer ses zones économiques spéciales autour de la Rivière des Perles.  On en connaît bien les résultats : entre 1990 et 2020 le PIB chinois, estimé en dollars, a été multiplié par 38 (26 en PPA).

Le diagnostic de l’auteur est sans appel. Il prédit que la parenthèse occidentale va s’achever après plusieurs siècles de domination. Les Européens devront l’admettre et surtout s’y préparer.  Son raisonnement ne s’appuie pas seulement sur l’économie mais porte sur la civilisation chinoise dans sa durée et sa profondeur. A plusieurs reprises, il indique que le PCC chinois n’est plus du tout communiste, mais qu’il est le représentant de la civilisation chinoise. Il va plus loin encore, en écrivant qu’il est évident qu’une puissance comme les États-Unis, qui n’a pas 250 ans, peut être vaincue par une civilisation qui a 4 000 ans.  Si on suit son raisonnement à la lettre, on devrait admettre que l’Italie, héritière de l’Empire romain, devrait l’emporter sur l’Allemagne, ou que l’Égypte, descendante des pharaons devrait mieux faire qu’Israël. De même, il écrit que l’expérience russe, qui a duré moins d’un siècle, était une création relativement neuve, alors que la civilisation chinoise est là depuis quatre mille ans. Or on sait que par maints côtés, malgré la doctrine officielle, l’URSS a été par certains côtés la continuatrice de l’Empire des tsars.

L’essentiel n’est pas là, mais il est de savoir si nous assistons à un remake de la guerre froide, ce qui lui semble inéluctable. L’actuel système USA/Chine évolue en fait vers une tension croissante. Il ne s’agit pas, cette fois-ci apparemment, d’affrontement idéologique, encore que ces deux puissances qui occupent la scène – États-Unis, Chine – ont mis en avant la spécificité de leur modèle économique et social, l’originalité de leur expérience historique, leur propre système de valeurs, en particulier en matière de droits de l’homme. De nombreux experts, à commencer par l’historien britannique Neill Ferguson, sont de cet avis, estimant que deux superpuissances aux visées hégémoniques s’affrontent. Et dans l’entourage de Donald Trump les références historiques à cette période se sont multipliées. Le 26 juin 2020, Robert O’Brien, conseiller à la Sécurité nationale, a comparé Xi Jinping à Staline ! Le 17 juillet, comme au plus beau temps du maccarthysme, le ministre de la Justice William Barr, expliquait que les studios hollywoodiens et les géants du numérique sont devenus des « pions de l’influence chinoise ». Le 23 juillet dernier, le secrétaire d’État Mike Pompeo, dans un discours martial, appelait le « monde libre » à triompher de la « nouvelle tyrannie » incarnée par la Chine communiste. Le vocabulaire même des déclarations émanant des grands de ce monde en 2020, a épousé presque mot pour mot celui de leurs prédécesseurs.

Lorsque trois semaines après l’élection de Joe Biden Xi Jinping envoie un message lui enjoignant à adopter, un « esprit de non-conflit, non-confrontation et de « respect mutuel » afin de «  gérer les différences » pour promouvoir la « paix mondiale », il adopte, le 25 novembre 2020, le langage de la coexistence pacifique, qui se situe même en deçà du message envoyé par Eisenhower en avril 1953 aux successeurs de Staline. Depuis, agressivité en moins, la nouvelle administration a repris la même ligne, comme l’a montré l’échange de mots peu amène entre Antony Blinken et les hauts responsables de la diplomatie chinoise Yang Jiechi et le conseiller d’État Wang Yi à Anchorage en Alaska en mars. D’où la politique d’endiguement que met en place Washington, la nouvelle administration américaine ne reniant en rien les orientations de la précédente, même si elle en gomme dans son langage les arrêtes les plus pointues. Or ce nouvel endiguement de la Chine qu’exprime le concept d’un Indopacifique libre et ouvert, apparaît irréaliste et ne fonctionnera pas. La Chine serait trop forte pour être endiguée et elle est désormais pleinement intégrée à l’économie mondiale. L’URSS ne participait jadis qu’à hauteur de 3% aux échanges économiques mondiaux, la part de la Chine à l’heure actuelle est de 13%, chiffre global qui n’indique pas que sur des marchés de matières premières, la Chine possède une part déterminante. Cependant pour Kishore Mahbubani le choc des civilisations, envisagé par Samuel Huntington en 1990, n’est pas fatal entre la Chine et les États-Unis. Plus encore, une convergence dans la durée est possible. N’a-t-on pas dans le passé, évoqué une Chine America ? Mais c’était il y a vingt ans, lors de l’entrée de la Chine dans l’OMC, lorsque l’on espérait que le « doux commerce » de Montesquieu conduirait à une démocratisation progressive de la Chine, rendant à terme les conflits armés peu probables. Mais à quelle condition instaurer entre Washington et Pékin une nouvelle coexistence pacifique ? L’Europe d’aujourd’hui et de demain sera-t-elle désireuse, capable et décidée d’œuvrer comme une puissance d’équilibre, car on voit bien que Joe Biden, sans la forcer, désire bien l’enrôler dans son nouvel endiguement, notamment en suscitant la formation d’un forum mondial des démocraties.

Dans cette perspective quel devrait et pourrait être le rôle de l’Europe ? Sur ce point, Kishore Mabubani est très net en estimant et espérant qu’il appartient à une Europe forte d’équilibrer la confrontation sino-américaine. Une Europe alliée, mais pas alignée (vieille position française, comme l’indique Hubert Védrine dans sa préface), suffisamment sagace pour revigorer le lien transatlantique, tout en s’affirmant et en maintenant avec la Chine des coopérations diverses et variées, permettrait d’éviter un choix radical, binaire, exclusif et désastreux. On peut l’espérer et on voudrait le croire, mais cette perspective semble peu probable. Confrontée à la pandémie, se débattant encore dans sa politique des vaccins, confrontée, à ce qu’elle estime une nouvelle agressivité russe en Ukraine et ailleurs, aux prises avec une Turquie indocile et une Afrique en crise à ses portes, il est peu probable que l’Union européenne trouve du temps et des forces pour s’investir fortement sur ce dossier, désireuse qu’elle est de renouer avec les États-Unis, après les tumultueuses années Trump, avec son partenaire d’outre Atlantique.

À lire aussi : Histoire de la puissance chinoise. Entretien avec Claude Chancel (1/2)

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À propos de l’auteur
Eugène Berg

Eugène Berg

Eugène Berg est diplomate et essayiste. Il a été ambassadeur de France aux îles Fidji et dans le Pacifique et il a occupé de nombreuses représentations diplomatiques.
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