Livre – Guerre et littérature, les sombres bords

3 février 2021

Temps de lecture : 4 minutes

Photo : La guerre, source intarissable d'inspiration pour les artistes. Représentation de la bataille d'Orsha, en 1514. (c) Europana Unsplash

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Livre – Guerre et littérature, les sombres bords

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Quoi de plus inspirant que la guerre et ce qu’elle implique pour un auteur ? La littérature s’est emparée de cette thématique puisque l’histoire de notre monde se construit sur les conflits. L’écrivain, à travers sa manière de décrire l’art militaire, les personnages et leurs actions, nous donne une interprétation personnelle des faits d’armes qu’il met en scène. Que ces acteurs soient fictifs ou réels, la narration de ces derniers structure le champ du combat. Benoît Virole nous propose d’étudier en profondeur cette corrélation entre guerre et littérature.

Guerre et littérature se fonde sur les différents moyens de narrer la guerre. L’auteur propose pour cela de s’attarder sur différents points qui les lient. L’étude se fonde sur un catalogue des différentes représentations guerrières dans les œuvres qui traitent de ce sujet. À travers ce livre, on a l’occasion d’aborder la figure et le rôle du héros dans les ouvrages guerriers. Le héros mythologique est ainsi celui dont on conte les exploits et la force (comme dans L’Illiade notamment), mais cette perception va évoluer au fil de l’histoire littéraire, puisque les auteurs vont avoir à cœur de présenter des personnages avec une vie intérieure qui va réguler toutes leurs actions. On va donc percevoir les combats par ceux qui les mènent, ce qui donne une optique différente et souvent sentimentale au récit. On peut ainsi citer les romans de Chrétien de Troyes qui s’inscrivent dans cette visée. Le héros peut aussi être mis en comparaison avec un tiers afin de faire ressortir ses qualités autant que ses défauts. Cette mise en symétrie des personnages donne le ton des batailles qu’ils se livrent. Toujours dans cette visée épique, l’utilisation du duel permet de donner une aura sans précédent à un protagoniste : quand Paul Valéry défend Pétain en 1931 devant l’Académie française, il le pose en héros qui a vaincu à Verdun, cette bataille n’étant plus un simple affrontement parmi d’autres, mais le duel décisif entre deux nations belligérantes. La littérature est donc un moyen de magnifier le héros par la guerre, de lui conférer une gloire immortelle en le couvrant de superbe. Ce n’est cependant pas toujours son but. Le personnage peut aussi être montré comme le contre-exemple, celui qui a commis des atrocités : l’auteur représente le mal guerrier par le biais du protagoniste mauvais. La place du héros est donc corollaire de l’écriture de la guerre puisqu’il permet de la percevoir depuis une otique bien précise.

La guerre, lieu du sacrifice

Une autre notion développée par Benoît Virole qui se retrouve très souvent dans la littérature guerrière est celle du sacrifice. Le don de sa propre vie peut sembler parfois inutile : quel est l’intérêt de mourir pour protéger un drapeau ? Doit-on sacrifier un camarade qui pourrait être sauvé sous prétexte que ce sauvetage peut entraîner la perte d’autres vies humaines ? Ce thème est récurrent dans la littérature guerrière puisqu’il glorifie le héros. Il est celui qui meurt par idéal, pour une nation, pour une cause qui le dépasse parfois. L’auteur analyse la fonction sacrificielle à travers des exemples concrets, en expliquant son utilité sociale et sa valeur sémiotique (la sémiotique devant être ici comprise comme l’étude des faits littéraires envisagés comme système de signes). Le sacrifice se définit en fonction de l’action vécue par le héros, mais s’exprime par lui, par ses valeurs. L’écrivain qui y a recours donne donc une nouvelle portée à la guerre : elle est celle qui permet au héros de se transcender, de prouver son sens du devoir, sa camaraderie envers ses compagnons d’armes. La littérature utilise de fait le sacrifice pour donner un statut supérieur à certains protagonistes. La guerre devient le moyen d’expression de cette grandeur dans la littérature.

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Il serait néanmoins réducteur de considérer l’élévation de l’homme comme la seule conséquence de la guerre. Celle-ci peut-être au contraire le moyen de le dégrader, de lui faire prendre conscience de sa lâcheté et de la faiblesse de sa nature. Cette « figure paradoxale du héros », comme le dit Benoît Virole, prend son sens avec la figure du déserteur. Il rejette la guerre et les valeurs qui en découlent, comme le sacrifice. Le déserteur devient celui qui va renier l’intérêt collectif pour son propre salut. Il est pris d’une volonté de rationaliser la guerre au point qu’il la considère comme illégitime et injuste : c’est dans cette mesure que ses actions s’inscrivent. La littérature le place soit en homme faible et apeuré par le danger, soit en homme lassé par ce qu’il subit. Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline fait apparaître un personnage affligé par le grotesque des combats auxquels il prend part. Les ambitions patriotiques lui apparaissent vaines et creuses, il se ne se sent pas concerné par ces conflits dans lesquels il est jeté. Benoît Virole explique qu’au fond, « le déserteur, c’est celui qui rejette la logique sacrificielle du groupe et s’enfuit avec sa dette ». La petitesse de l’homme face à la guerre s’exprime aussi par le biais du soldat errant. Le baptême de feu d’un soldat est l’occasion pour lui de se rendre compte que le combat n’est en rien similaire à ce qu’il avait pu imaginer. Elle le change, modifie son rapport à la peur et à la mort : Drieu La Rochelle, dans La Comédie de Charleroi, utilise ces ressorts pour mettre en scène un personnage hors du temps malgré les obus qui pleuvent autour de lui. La guerre est utilisée par la littérature comme moyen de montrer le changement de nature dont l’homme est capable.

La littérature, à travers les récits guerriers, donne à réfléchir sur la place de l’homme dans ces combats. Elle permet d’analyser le réel grâce à ses propriétés (figures de style, narrativité) et lui donne une dimension symbolique. Benoît Virole livre ici une étude complète de ces procédés, et les décrit à travers l’optique de la guerre. C‘est, de plus, une œuvre accessible, claire, et bien argumentée.

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Photo : La guerre, source intarissable d'inspiration pour les artistes. Représentation de la bataille d'Orsha, en 1514. (c) Europana Unsplash

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À propos de l’auteur
Auguste Lesage

Auguste Lesage

Etudiant en Licence Humanité-Science Politique à l'institut Albert Le Grand, à l'IRCOM, Angers.

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