L’agriculture comme l’un des fondements sur lequel repose l’alimentation de l’humanité est naturellement la source de tensions et de conflits d’intérêts. Elle est aussi la pierre angulaire de certains grands enjeux de l’avenir, notamment dans les régions du monde les moins développées. C’est vaste sujet que les auteurs de cet ouvrage nous proposent de regarder de plus près.
S’il est un exemple qui illustre, parfaitement, les liens entre climat, agriculture, géopolitique et conflits, c’est bien celui de la Syrie. La migration provoquée par la sécheresse en Syrie entre 2006 et 2010 où près de 60% de la population a connu une grave sécheresse est un bon exemple des incidences climatiques qui peuvent être massives autant que systémiques. Au moment des premières mobilisations politiques en mars 2011, près d’un million de Syriens avaient été exposés à l’insécurité alimentaire, tandis qu’environ 200 000 personnes avaient quitté leurs exploitations agricoles vers les zones urbaines. La région de la Djezireh au nord est avait particulièrement subi cette crise climatique. Les effets de cette sécheresse avaient été décuplés par la mal-gouvernance et des choix de politiques publiques (multiplication des forages, marginalisation de la région de Djezireh dans les politiques d’aménagement du territoire, morcellement foncier, libéralisation économique, etc). Si la révolution avortée a été portée par un ras-le-bol de la corruption, de l’autoritarisme et des inégalités criantes, nul doute que cette sécheresse a aussi joué un rôle. En réduisant à l’extrême la géopolitique agricole celle-ci pourrait se résumer à l’équation population et niveau de vie, espaces et ressources en eau, rendements et échanges internationaux.
Dans cette optique c’est le cas de l’Afrique qui nous interpelle le plus : alors qu’elle réunissait à peine 13% de la population mondiale en 2000, elle devrait représenter 25% en 2050 et plus de 40% d’ici la fin du siècle. D’où l’importance du secteur agricole qui assure 10% de l’emploi féminin en Afrique contre le tiers en Asie et 20% en Amérique latine. Or les terres arables ne représentent que 10% des terres émergées dans le monde ce qui nécessitera une hausse significative des rendements à l’échelle mondiale. Car les surfaces agricoles sont rognées par l’urbanisation, l’usure des sols, les effets du changement climatique. C’est dire qu’il conviendra d‘augmenter, partout les surfaces irriguées. Celles-ci couvrent aujourd’hui 350 millions d’hectares ; soit 20% des surfaces cultivées, mais 40% de la production. Et il faudrait les augmenter de 500 millions d’hectares, c’est dire l’immense effort à accomplir car elles n’avaient progressé que de 220 millions d’hectares au cours des 70 dernières années !
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Les ressources en eau seront-elle suffisantes dans les délais requis, sachant que la production d’un kilogramme de viande requiert 1000 litres d’eau et un kilogramme de viande 13 500. Or on s’attend à une augmentation de 50% de la demande alimentaire mondiale d’ici 2050, seuls des échanges internationaux y pourvoiront. On trouvera des données claires et bien présentées dans ce volume qui couvre une gamme étendue de questions. D’un côté un milliard de personnes souffrent de la faim dans le monde, mais de l’autre 2,8 millions meurent chaque année du fait de leur surpoids.
Tout un chapitre est consacré aux violences ou au rôle qu’ont joué les ressources alimentaires, au premier chef des céréales dans le déclenchement des conflits qui sont loin de se réduire au seul cas de la Syrie que nous avons mentionnée. Confrontations entre pasteurs et agriculteurs, qui constituent le principal combustible des conflits au Sahel, ségrégation agricole en Afrique australe, qui n’a pas été éliminée, luttes foncières en Asie, fractures rurales en Amérique latine où dans un pays comme la Colombie, 0,25% des latifundia occupent 95% des terres. L’ouvrage passe en revue les grandes puissances agricoles du monde, le poids des échanges, les évolutions probables. On sera déçus de voir que la France, avec sa grande surface et la variété de ses climats se situe bien en-dessous des Pays-Bas, dont les exportations sont supérieures de 150% aux siennes. Même l’industrielle Allemagne exporte plus de 20 milliards de $ de plus de produits agricoles que l’Hexagone. On assiste de plus en plus à une sino-mondialisation agricole, puisque la balance agricole de l’Empire du milieu accuse un déficit annuel de 40 à 50 milliards de $ par an. Le soja compte pour le tiers des importations agricoles du pays, avec 100 millions de tonnes par an, soit 10 fois le volume du début du siècle. Quant à la Russie, lorsque l’on sait que l’agriculture a représenté le grand échec de l’URSS, elle a produit depuis 2000, 1,7 milliard de tonnes de céréales. Ses exportations de blé ont triplé et représentent 20% des exportations mondiales. Les défis du monde agricole, même s’ils sont différents selon les latitudes, présentent néanmoins des traits communs. Vieillissement des populations agricoles ; multilatéralisme qui s’essouffle, effets croissants du changement climatique, etc., c’est dire qu’il faut s’attendre à des tensions à venir.