Cet ouvrage qui rassemble une cinquantaine de collaborateurs et plus de 900 entrées vient après trois publications du même ordre — le dictionnaire de Michel Bodin paru chez Economica en 2004, celui de Jacques Dalloz chez Armand Colin en 2006 et celui de Christopher Goscha (en anglais) édité à Copenhague en 2011. L’ambition de cette dernière somme, dont les grandes lignes étaient tracées depuis plusieurs années, est bien de constituer un instrument de travail le plus complet possible qui fera longtemps référence. Ambition satisfaite qui ouvre la possibilité d’autres éclairages lorsque les archives vietnamiennes seront enfin accessibles aux chercheurs. En attendant ce moment d’ouverture incertain, de nombreuses entrées traitent des dirigeants du Vietminh, de ses unités, de son organisation et de sa stratégie.
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Organisation de la guerre
Ce fut une guerre de neuf ans menée par des engagés, et son écho en métropole était assourdi par la distance et les préoccupations immédiates d’un pays ruiné par la guerre mondiale à peine achevée. Une dense introduction en rappelle les différentes phases et les caractéristiques, tant du côté français que de celui du Vietminh. En quelques années, le corps expéditionnaire français s’étoffe, découvre une guerre d’un nouveau genre qu’on nomme alors « guerre en surface » et, dans le cadre de la Guerre froide, parvient peu à peu à surmonter la faiblesse de son équipement avec l’aide des États-Unis. Mais dans le même temps, le Vietminh soutenu par la Chine, est passé de la guérilla au corps de bataille, est devenu capable de manœuvrer et de gagner un siège au combat d’artillerie, comme à Diên Biên Phu.
À côté d’entrées attendues et indispensables, certaines très développées (les opérations, les chefs de guerre, les matériels et les bases militaires, les unités et les groupements opérationnels, les doctrines de la guerre révolutionnaire, le budget militaire, les désertions, les sectes, les entreprises françaises et le lobby colonial, les conférences diplomatiques et les traités, les lieux et les enjeux territoriaux…), l’ouvrage réserve quelques surprises. On découvre les liens étroits avec Hô Chi Minh entretenus par Raymond Aubrac, dont on connaissait davantage la présence au rendez-vous de Caluire. Autre entrée inattendue, celle des bandes dessinées actuelles traitant de l’Indochine, engluées dans la moraline. « La mode intellectuelle à propos de la BD de la guerre d’Indochine consiste à prendre l’exception [le déserteur ou le soldat sadique] pour la généralité. »
Il est aussi question des bars, des restaurants, des dancings, des fumeries et des cinémas de Saigon et de Cholon, de Dalat ou d’Hanoi. On y parle de littérature et de journalisme avec Erwan Bergot, Serge Bromberger, Jacques Chancel, Marguerite Duras, Graham Greene et Jean Larteguy. Il y est question d’hommes dont on connaît la légende au moins autant que l’œuvre, Robert Capa et Lucien Bodard. Du rôle des chiens de guerre. De l’opium et des piastres. Du cinéma, celui de Raoul Coutard, de Roman Karmen, de Pierre Schoendoerffer, mais aussi du marin Alain Delon. Des chansons, militaires et anti-militaristes, du Déserteur et de Marie-Dominique. De l’héraldique des insignes, des médailles et des fourragères.
Anecdotes et données utiles
Aux savoirs de la guerre et aux détails d’ambiance et de culture qui donnent plus de chair à cet instrument de travail, s’ajoutent des données bien utiles au chercheur : les budgets militaires, le financement de la guerre, l’aide américaine, les effectifs et les pertes, les appareils de la flotte aérienne et de la marine…
Enfin, certaines entrées s’aventurent avec succès sur le terrain des questionnements : quels furent les buts de guerre et les enseignements qu’on en pouvait tirer, comment est-on passé de la guerre d’Indochine à celle du Vietnam, comment les E.-U. ont-ils perçu la guerre d’Indochine et comment sont-ils intervenus dans son déroulement ?
Parmi les regrets qu’on peut formuler (car il est connu que les auteurs d’une somme encourent toujours le reproche de n’en avoir pas fait assez), la présence de quelques poncifs (les prostituées de Diên Biên Phu…), ou l’oubli d’acteurs aussi importants que les sous-officiers — Maurice Guillot (auteur du roman Les Juteux) n’est pas cité et le destin de Roger Vandenberghe, dont le souvenir légendaire a durablement marqué l’histoire des commandos, méritait plus que quelques lignes. Et s’il est question de la MAT 49, plutôt emblématique de la guerre suivante, il n’est pas dit un mot de la carabine US M1 qui a bien servi l’infanterie légère et les unités aéroportées d’Indochine.