Livre – De la guerre

10 octobre 2021

Temps de lecture : 5 minutes

Photo : De la guerre. Crédit photo : Unsplash

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Livre – De la guerre

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De la guerre. Difficile de mieux nommer un nouveau périodique spécialisé en histoire militaire que par une référence à l’ouvrage posthume et inachevé d’un stratège réputé indépassable, le Prussien Clausewitz (1780-1831). Si le rédacteur en chef assure dès l’éditorial avoir des « objectifs moins démiurgiques » que ce dernier, ce premier « mook » ne manque pas d’ambition ni de justesse.

 

Élaboré par la rédaction du bimestriel Guerres & Histoire et les éditions Perrin, ce mook – mot-valise entre « magazine » et « book » – se veut un nouveau média, inédit sur la forme, destiné à sortir deux fois par an. L’objet est solide et de grand format, et sa mise en page est aérée et ponctuée d’encadrés et d’images.

« Hitler a-t-il eu une chance de l’emporter ? » : le choix d’un tel sujet pour le dossier d’un premier numéro est sans doute vendeur, mais loin d’être dénué d’intérêt, la Seconde Guerre mondiale étant ici abordée sous cet angle dans la diversité de ses événements. La bataille d’Angleterre, l’opération Barbarossa et l’entrée en guerre des États-Unis, entre autres, sont étudiées de ce point de vue. Les autres articles, dans lesquels les quatre grandes périodes historiques sont abordées, ne sont pas en reste.

La guerre sous tous ses angles

Relation de la bataille de Malplaquet, portfolio et chronique de la guerre sino-indienne de 1962, arrivée au pouvoir de Churchill… si bien des articles relèvent en premier lieu de la narration des hostilités et des événements liés à la guerre, ils ne se limitent pas à cet aspect. Le propos est souvent plus détaillé que dans un magazine classique, à raison de longues pages. Les récits des différentes batailles sont marqués par l’insertion de chacune de celles-ci dans les problématiques qui la dépassent, à l’échelle de la campagne et de la guerre, autrement dit aux niveaux opératique et stratégique. C’est là l’intérêt du retour sur Malplaquet, où, en 1709, alors que la France est en bien mauvaise posture dans la guerre de Succession d’Espagne, les troupes françaises se replient, cédant le terrain à l’ennemi qui remportent donc un succès immédiat, mais au prix de tant de pertes que c’en est une défaite sur le plan moral et politique, amenant les Anglais à trahir la coalition en envisageant des négociations de paix. De même, les batailles de Crécy (1346), Poitiers (1356) et Azincourt (1415), font l’objet d’un article agrémenté d’une remarquable infographie qui synthétise visuellement non seulement les événements de la guerre de Cent Ans, mais aussi les évolutions de l’art militaire sur un siècle, et par là même les causes de ces trois défaites françaises similaires.

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La guerre est également abordée sous l’angle de la pensée et de sa mise en œuvre par les officiers. Plutôt qu’un article qui exposerait les grandes lignes de l’ouvrage de Clausewitz qui donne son titre à celui-ci, c’est une relecture du concept de brouillard de guerre qui est proposée, au prisme de la mauvaise compréhension qu’en eurent les Américains. Sur le terrain irakien, ces derniers crurent comprendre que la connaissance factuelle de l’adversaire suffisait à lever les incertitudes qui rendent la guerre imprévisible et, de la sorte, ils n’anticipèrent pas la mue insurrectionnelle de la guerre, de même qu’ils n’avaient pas vu venir les contre-attaques de la Wehrmacht pendant la campagne de France à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les interviews – ce mook n’en manque pas – portant sur Napoléon, Hitler ou Gamelin viennent compléter cette approche en étudiant le point de vue du commandement. Celui des soldats du rang n’est toutefois pas laissé de côté, étant abordé par l’angle de l’arrivée de l’uniforme à l’époque moderne. Cette question dépasse largement celle du seul apparat, vu ses liens avec les manières de se battre, à l’identité sociale du soldat ou encore à la discipline. Si le titre de l’article, « de la guerre en armures à la guerre en dentelles », en résume le propos, on pourrait toutefois regretter que celui-ci ne revienne pas sur cette notion même de guerre en dentelles, comprise au sens figuré d’une guerre chevaleresque imaginaire qu’aurait connu l’époque moderne, où on ne chercherait guère à tuer l’ennemi. Un bref retour sur le sens premier ce concept, très discuté depuis quelques années dans l’historiographie, aurait permis de couper court à tout contresens.

De fait, l’actualité historiographique est pour le reste prise en compte, à raison d’une quinzaine de pages finales, où se succèdent des entretiens avec des auteurs d’ouvrages non pas parus, mais à paraître, aussi bien des livres d’histoire militaire que des romans et bandes dessinées historiques. S’y ajoute un ouvrage collectif, La Paix des Dames, une paix entre François Ier et Charles Quint qui « a ceci d’étonnant qu’elle a été voulue et négociée par deux femmes, Louise de Savoie et Marguerite d’Autriche », souligne l’historienne Laure Fragnart, co-directrice du volume : De la guerre prend en considération l’intérêt croissant de l’histoire de la guerre pour les thématiques du genre.

Des innovations de forme

En sus de tels articles et entretiens, l’ouvrage propose plusieurs concepts originaux, à l’instar d’une interview posthume du général Grouchy, souvent rendu responsable de la défaite de Waterloo. Les propos qui lui sont prêtés permettent de donner, fictivement bien sûr, la parole à un acteur qui ne l’a pas eue de cette manière, et en détail. Aux maniaques de Napoléon de se chamailler sur le bien-fondé de sa défense. De même, une uchronie imagine les conséquences d’une victoire de la Fronde au XVIIe siècle, un exercice plaisant, mais qui ne constitue pas le meilleur passage du mook.

Les exercices de portraits croisés d’Hannibal et Scipion l’Africain, et d’entretien croisé entre Thierry Lentz et Jean Lopez sur les invasions de la Russie par Napoléon et Hitler permettent quant à eux de porter des regards comparatifs sans forcer les lecteurs à passer l’un livre à l’autre en quête de points communs et de différences, tout en offrant l’occasion de réflexions de qualité sur des topoi comme celui de l’invincibilité de la Russie.

C’est toutefois un autre élément qui constitue selon nous l’un des grands intérêts de cette publication : le texte d’une partie des dix-huit heures d’entretien réalisées en 1998 par Paul-Alain Léger, capitaine parachutiste, narrant l’épisode de la bleuite pendant la guerre d’Algérie. À la tête du groupe de renseignements et d’exploitation, cet officier est parvenu à retourner nombre d’agents du FLN, en leur vantant une Algérie française où les Algériens seraient des citoyens français à part entière – ce à quoi il semble avoir véritablement cru – pour avoir le dessus non seulement dans les hostilités, mais aussi dans l’opinion publique d’un Alger en bataille. Fourni par un fonds d’archives qui a souhaité rester anonyme, le texte narre des épisodes étonnants, à l’instar du retour de la prééminence française dans les cafés de la Casbah à coups de musiques et de jeux de dominos, interdits par le FLN, et de bien des rebondissements qui nous rappellent que l’espionnage n’a pas tant à envier au cinéma qu’il inspire. La question bien plus délicate de la torture, au sujet de laquelle Léger semble se contredire, n’est pas ignorée. Bien qu’abrégé, c’est un document exceptionnel que celui-ci, dont la simple publication pourrait représenter un apport conséquent à l’histoire de la guerre d’Algérie.

S’il innove sur la forme, c’est avant tout le fond qui fait la qualité de ce mook, premier volume prometteur d’un nouveau périodique qui ne peinera sans doute pas à se démarquer des autres publications d’histoire.

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À propos de l’auteur
Alban Wilfert

Alban Wilfert

Etudiant en Histoire et en Expertise des conflits armés, Alban Wilfert est l’auteur d’un mémoire de recherche intitulé « Le soldat et la chair. Réalités et représentations des sexualités militaires au long XVIIe siècle (1598-1715), entre viol et séduction ».
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