Livre de Anna Chronique : Chroniques de Tunisie. Une Française au pays de la révolution.

14 janvier 2025

Temps de lecture : 3 minutes

Photo : Poétique, l'appellation "Révolution du Jasmin" qualifie le peuple tunisien d'"extraordinaire" car il n'a pas limité ses revendications aux aspects sociaux mais leur a donné une dimension politique

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Livre de Anna Chronique : Chroniques de Tunisie. Une Française au pays de la révolution.

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Jeunes professeurs, Anna et Boris partent en 2008 s’installer dans une Tunisie dictatoriale. Après un temps de découverte de la riche culture du pays, tout bascule en décembre 2010 : c’est le début de la révolution du jasmin, qui secoue les dictatures du monde arabe.

Anna Chronique, Chroniques de Tunisie. Une Française au pays de la révolution. Dunodgraphic – 19,90€.

Pendant près de 20 ans, j’ai eu à animer une veille éditoriale sur un site de professeurs d’histoire et de géographie. La bande dessinée a pu y occuper une place importante, tout comme la géopolitique. Natif de Tunisie, j’ai reçu cet ouvrage en service de presse comme une sorte de clin d’œil sur ce qui a pu contribuer à forger mon identité de tuniso-sicilien, ayant vu le jour au moment de l’indépendance de ce qui a été, un peu par le hasard des négociations internationales, un protectorat français. On peut lire avec le plus grand intérêt ce roman graphique qui raconte avec beaucoup d’humour la vie d’un couple de professeurs expatriés en Tunisie. Autre clin d’œil d’ailleurs, les deux « héros » de cette histoire exercent dans les deux établissements scolaires que j’ai fréquentés entre 1964 et 1968.

La Tunisie, terre d’histoire.

Les deux enseignants découvrent ainsi au fil des pages un pays attachant avec quelques particularités directement liées à une histoire particulièrement riche dans laquelle plusieurs civilisations se sont succédé. Situé à la jonction de la Méditerranée occidentale et de la Méditerranée orientale, à quelques encablures de la Sicile, la Tunisie a été un point de passage, mais également d’implantation depuis la haute antiquité. Les Phéniciens devenus carthaginois, les Romains, mais également les vandales de Genséric, les croisés de Saint-Louis, les corsaires de Barberousse, et les ottomans qui feront de la Tunisie un de leurs points d’appui en Méditerranée. Province ottomane sous le nom de beylicat, la Tunisie accueille une main-d’œuvre italienne venue de Sicile, ainsi que des Maltais, des paysans et des pêcheurs, bien avant que la France, à partir de l’Algérie, n’y impose son protectorat.

On retrouve dans cette chronique le regard un peu décalé d’un couple d’enseignants de métropole confronté à une réalité sociale spécifique, dans un pays qui a connu dès son indépendance avec Bourguiba, et son successeur Ben Ali, un régime autoritaire qui avait par certains aspects un côté bon enfant, qui n’exclue cependant pas les aspects particulièrement répressifs.

Habib Bourguiba avait tout de même su contenir, au moins jusqu’en 1967, les velléités de l’islam politique à vouloir encadrer la société. Le code de statut personnel pour les femmes constituait incontestablement un progrès, surtout si on le comparait aux pays voisins. Comme dans l’ensemble des pays arabes, le tournant de la guerre des Six Jours a pu légitimer l’opposition islamiste aux régimes laïcs et malgré la répression, l’islam politique a pu s’y implanter avec le parti Ehnadda.

Un régime dont les failles annoncent la révolution de jasmin.

C’est donc dans ce contexte que nos deux profs découvrent les richesses de la Tunisie à la fin du régime de Ben Ali, mais également cette corruption ordinaire, ce fonctionnement par le bakchich qui caractérise cette ancienne province ottomane. La Tunisie mise énormément sur le tourisme qui apparaît, contrairement à l’industrie textile et au façonnage des vêtements commercialisés en Europe, comme un avenir enviable pour une jeunesse éduquée, mais largement privée de perspectives, à l’exception des catégories sociales supérieures du pays.

On appréciera également ce regard amusé à propos des comportements des expatriés, dont l’essentiel des conversations tourne autour de la gestion d’un personnel domestique local. On ne peut s’empêcher de penser à la trajectoire d’une éphémère ministre de l’éducation nationale à ce propos.

La dernière partie de l’ouvrage aborde la révolution du jasmin, même si ce n’est pas forcément cette dimension qui est le plus déterminante dans l’ouvrage. On comprend évidemment qu’un roman graphique qui raconte une expérience personnelle n’est pas un ouvrage d’analyse politique, même si la dimension islamiste, avec les premiers succès électoraux du parti Enhadda aurait pu être davantage évoquée.

Il faut donner à cet ouvrage la place qui lui revient, celle d’une chronique familiale – il y aura même un enfant qui naîtra sur place, – et peut-être une sorte de guide pour celles et ceux qui feront le choix d’aller enseigner à l’étranger dans un pays qui doit encore écrire son avenir. La Tunisie subit aujourd’hui une sorte de normalisation autoritaire, avec un président qui ressemble de plus en plus à celui qui a été renversé en 2011, dans un pays où la jeunesse reste encore largement privée de perspectives, et qui voit dans l’immigration un débouché pour un meilleur avenir.

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À propos de l’auteur
Bruno Modica

Bruno Modica

Bruno Modica est professeur agrégé d'Histoire. Il est chargé du cours d'histoire des relations internationales Prépa École militaire interarmes (EMIA). Entre 2001 et 2006, il a été chargé du cours de relations internationales à la section préparatoire de l'ENA. Depuis 2019, il est officier d'instruction préparation des concours - 11e BP. Il a été président des Clionautes de 2013 à 2019.

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