Littérature, séries télé, architecture, cet engouement pour le Moyen Âge qui nous vient du XIXᵉ siècle

25 février 2024

Temps de lecture : 5 minutes

Photo : L’Éducation du jeune Clovis, Lawrence Alma-Tadema, 1861.

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Littérature, séries télé, architecture, cet engouement pour le Moyen Âge qui nous vient du XIXᵉ siècle

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La représentation du Moyen-Age est née dans l’Europe romantique du XIXe siècle. Cela a fixé nos imaginaires et notre façon de voir et de comprendre cette période.

Isabelle Durand, Université Bretagne Sud

Le 15 avril 2019, l’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris suscitait une vague d’émotion et un élan de solidarité mondial. Conséquence inattendue de cette catastrophe, les ventes du roman de Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, s’envolaient, nouveau signe de l’engouement contemporain pour le Moyen Âge.

Médiévalisme effréné

Depuis plus de 40 ans, on assiste à une floraison de marchés et de banquets médiévaux, de spectacles comme celui du Puy du Fou ressuscitant des tournois de chevalerie et des démonstrations de fauconnerie, d’animations estivales dans des châteaux autour de l’herboristerie ou de la calligraphie, à quoi il faudrait ajouter des succès romanesques comme celui du Nom de la Rose d’Umberto Eco (1980), et dans un autre genre, celui du film Les visiteurs (1993), plus récemment le succès de la série Game of Thrones ou de Kaamelott, tout cela manifeste à l’évidence un attrait certain pour le Moyen Âge, ou tout au moins pour certains aspects d’un Moyen Âge fortement fantasmé.

Dans le domaine pictural, on peut noter le succès des expositions de peintres préraphaélites, qui revendiquaient à la fin du XIXe siècle des modèles antérieurs à la Renaissance. Nous sommes bien dans l’ère du médiévalisme, terme mis à l’honneur notamment par Vincent Ferré et objet d’un récent dictionnaire (2022).

Une fascination issue du Romantisme

Mais d’où vient cette mode médiévale ? C’est dans le romantisme du début du XIXe siècle qu’il nous faut chercher l’origine de cette fascination. Les grandes figures qui hantent encore notre imaginaire, comme le chevalier Ivanhoé ou le monstre Quasimodo attaché à sa cathédrale sont nées sous la plume des écrivains romantiques. C’est en effet en 1819 que le romancier écossais Walter Scott publie son célèbre roman, qui devient très vite un modèle pour les romantiques français.

Ce roman historique propose des images puissantes d’une époque qui s’offre à l’imaginaire : grandes scènes de tournoi, combats opposant les perfides Normands aux troupes de hors-la-loi commandées par le légendaire Robin des Bois, duel judiciaire au cours duquel Ivanhoé vole au secours de la belle juive Rébecca accusée de sorcellerie…

Plus tard, Flaubert ne manque pas de railler cette mode médiévale qui engendre une production littéraire médiocre, flattant le goût sentimental de son héroïne Emma Bovary :

« Avec Walter Scott, plus tard, elle s’éprit des choses historiques, rêva bahuts, salle des gardes et ménestrels. Elle aurait voulu vivre dans quelque vieux manoir, comme ces châtelaines au long corsage, qui, sous le trèfle des ogives, passaient leurs jours, le coude sur la pierre et le menton dans la main, à regarder venir du fond de la campagne un cavalier à plume blanche qui galope sur un cheval noir. »

Affiche du film Ivanhoé (1913), avec l’acteur King Baggot dans le rôle d’Ivanhoé.

Cette mode médiévale ne se développe pas seulement en littérature, mais, de manière spectaculaire, en architecture. À la suite du gothic revival anglais, qui donnera également naissance à un genre littéraire, le roman gothique – friand de châteaux isolés, de monastères sombres et de moines pervers – la France se préoccupe de ses monuments médiévaux.

Victor Hugo lance le mouvement avec son roman historique Notre-Dame de Paris, ode à la cathédrale et à la beauté d’une ville dont les traces médiévales s’effacent inexorablement. Vaste fresque entremêlant le destin de personnages hauts en couleur comme le prêtre Frollo, la bohémienne Esmeralda et le monstre Quasimodo, le roman de Hugo synthétise la plupart des représentations romantiques du Moyen Âge : peuple misérable de la Cour des Miracles, justice barbare et expéditive, superstitions et croyances absurdes, mais aussi splendeur architecturale, fêtes populaires, temps des passions sublimes.

Ce roman vient poursuivre un combat déjà entamé par Victor Hugo contre le vandalisme, la destruction et la défiguration des monuments historiques, et qui aboutit à la nomination de Mérimée comme inspecteur des monuments historiques en 1834, puis aux travaux de restauration entrepris notamment par l’architecte Viollet-le-Duc. La cité de Carcassonne, qui accueille aujourd’hui de nombreux touristes et qui est classée au Patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1997, est un des emblèmes de ces restaurations néogothiques conduites par Viollet-le-Duc.

Au début du XIXᵉ siècle, le romantisme trouve le charme des ruines et le souvenir de la splendeur gothique au château de Pierrefonds, restauré en 1857 par Eugène Viollet-le-Duc.
Histoire par l’image

Ces travaux témoignent d’un changement des mentalités au XIXe siècle et d’un intérêt pour le passé médiéval. Il s’agit d’y retrouver des racines et une identité mais aussi de fuir le présent en se réfugiant dans un passé idéalisé. Comme l’écrit Umberto Eco dans l’apostille au Nom de la Rose,

« Le Moyen Âge est notre enfance à laquelle il nous faut toujours revenir pour faire une anamnèse. »

Le mouvement mis en route par le romantisme se poursuit dans la seconde moitié du XIXe siècle, notamment en architecture et en peinture, par exemple avec les préraphaélites en Angleterre, ou Gustave Moreau en France.

Une « légende dorée »

Ainsi, nous sommes redevables au romantisme de nombreux aspects de notre représentation du Moyen Âge et inévitablement d’une déformation. En 1964, dans son introduction à l’ouvrage sur La civilisation de l’Occident médiéval, Jacques le Goff mettait en garde ses lecteurs contre ce qu’il nommait la « légende dorée » du Moyen Âge, légende issue de l’époque romantique, et que notre modernité perpétue sous d’autres formes :

« Il le [lecteur] sera tenté d’exorciser mon Moyen Âge de famines, d’épidémie, d’atrocités, de grossièretés, pour retrouver un Moyen Âge de chants sublimes, de cathédrales merveilleuses, de saints admirables. Je voudrais seulement que ceux-ci, qui ont existé à l’état d’exception, ne lui cachent pas le reste, qui était le commun. »

En constituant cette mythification du Moyen Âge, les romantiques semblent avoir mis au jour certains invariants du comportement des sociétés face à leur passé : comme au début du XIXe siècle, l’homme moderne cherche dans le Moyen Âge à la fois un voyage temporel vers un univers mental radicalement différent, et les fondements de sa propre identité. Dans des périodes qui, chacune à leur manière, sont source d’instabilité politique et sociale et d’inquiétude face à l’avenir, le Moyen Âge semble incarner un passé rassurant, à la fois exotique et familier, âge d’or vers lequel nous ne cessons de revenir.

Même si les œuvres romantiques ont quelque peu brouillé la perception que l’on peut avoir de cette époque historique, elles nous ont permis de rendre vivant et disponible pour notre conscience ce vaste pan du passé dont nous admirons les images brillantes et contrastées que le romantisme nous en a livrées, images qui peuplent encore notre imaginaire collectif. Déjà nostalgique, le XIXe siècle nous laisse sa nostalgie médiévale en héritage.The Conversation

Isabelle Durand, Professeure de littérature comparée, Université Bretagne Sud

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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