Le Maghreb a été arabisé et islamisé dès le VIIe siècle. C’est la fin des empires romains et byzantins ainsi que du royaume vandale, et avec eux du christianisme qui y fut pourtant florissant. Au XIXe siècle, la dissolution de l’Empire ottoman a laissé la place à des pays qui oscillent toujours entre nationalisme et islamisme, mais un islam différencié selon chacun d’entre eux.
Le Maghreb recoupe les tensions de l’islam, partagé entre désir impérial et construction nationale, entre l’oumma (communauté religieuse) et le watan (la nation).
Un islam prédominant
Si le Maghreb est aujourd’hui sunnite, il n’en a pas toujours été ainsi. Au VIII e siècle, les Omeyades de Damas ont cherché à faire payer l’impôt aux musulmans non arabes. Cette pression fiscale a suscité la révolte des Berbères islamisés qui ont du coup rejeté le pouvoir omeyade, et avec lui le sunnisme, pour se ranger du côté du chiisme. Un autre mouvement s’est diffusé avec cette révolte, le kharijisme, le puritanisme de l’islam. Il reste quelques héritiers de ce mouvement, connus sous le nom d’ibadites, à Djerba et en Algérie (dans le Mzab, au nord du Sahara). Quant aux chiites, ils ont disparu de la région. L’islam sunnite est dit malékite, du nom de l’école juridique à laquelle il se rattache. Fondée par l’imam Malik (mort en 796) cette école s’attache, dans sa jurisprudence, davantage aux hadits [simple_tooltip content=’Recueils de paroles et d’actes de Mahomet transmis par ses compagnons et la tradition.’](1)[/simple_tooltip] que les autres écoles.
Les confréries jouent aussi un rôle important en Afrique du Nord. Chacune a son chef spirituel, le cheikh, qui s’occupe de sa communauté. Elles se sont très souvent alignées sur le pouvoir local, ce qui leur a permis de survivre. La plupart de ces confréries se sont opposées à la colonisation puis ont participé au mouvement de décolonisation. Loin d’être purement religieuses, elles ont donc un poids politique certain. Certaines rayonnent sur l’Afrique de l’Ouest et le Maroc s’efforce de les mettre au service de son soft power, ainsi la Tijaniyya.
L’islam maghrébin a été en présence de la culture européenne, de l’égalité juridique et de la liberté religieuse. Cela fait que les chrétiens et les juifs encore présents dans cette région sont assez libres de pratiquer leur foi, même si les conversions sont interdites et même si leur nombre a très fortement chuté depuis les indépendances. L’islam sunnite n’a pas de rival au Maghreb, à l’inverse de ce qui se passe au Moyen-Orient. Sans ennemi, il peut se montrer plus tolérant… ou plus intolérant selon ses composantes.
L’islam culturel contre l’islam politique
Le Maghreb est imprégné d’islam. La colonisation européenne a laissé peu de traces. En dépit des efforts des Pères blancs et de la présence de nombreux monastères, il n’y a eu quasiment aucune conversion. Le cardinal Lavigerie et Charles de Foucauld n’ont laissé de traces que dans la mémoire des Français. La population se rattache aujourd’hui à l’islam, vivant de façon assidue les préceptes coraniques des prières quotidiennes, du refus de l’alcool, du port du voile et du respect du ramadan avec une tendance à des pratiques de plus en plus généralisées et rigoureuses comme en témoigne le port du voile en progrès.
C’est à proximité qu’est née l’organisation des Frères musulmans, fondée au Caire en 1928. Arrivée au pouvoir en 2012, elle en est chassée en 2013 par un coup d’État mené par Abdel al-Sissi qui entretient avec l’islam un rapport qui est à l’image de la société égyptienne et maghrébine. Homme pieux, il défend totalement l’islam mais il s’oppose à la persécution des Coptes chrétiens et il s’oppose aux Frères musulmans. Son discours le plus remarqué est celui qu’il a prononcé en décembre 2014 à la mosquée Al-Azhar où il a appelé à rénover l’islam en expurgeant les idées qui peuvent conduire à la violence. Partie intégrante de la culture et de la vie égyptienne, l’islam traditionnel lutte pour ne pas être submergé par la vision portée par les Frères musulmans.
Cette tension permanente entre islam culturel et islam politique est présente dans les autres pays d’Afrique du Nord. Cela ne va pas sans tension. L’accueil des nombreux touristes européens oblige à quelques compromis sur la présence de l’alcool et sur le vêtement des femmes dans les stations balnéaires. La présence d’une forte diaspora en Europe pourrait conduire à une volonté d’indépendance à l’égard de l’islam et à une laïcisation de la société. C’est l’inverse qui se produit. Lors des élections, les Tunisiens et les Algériens vivant en France votent davantage pour les partis islamistes que leurs concitoyens vivant au pays. L’islam est vécu de façon plus politique en dehors des frontières du Maghreb.
Un islam politique qui peut dominer l’islam culturel
Aux Frères musulmans égyptiens répond le Front islamique du salut (FIS) fondé en Algérie en 1989. Ce mouvement s’inspire des talibans afghans, alors victorieux de l’URSS. Le FIS attire d’abord les universitaires et les intellectuels avant de toucher les couches populaires de l’Algérie. Sa victoire aux élections est magistrale. Lors des élections locales de 1990, il a remporté plus de 55 % des communes et 66 % des provinces. Lors des législatives de 1991, il a obtenu 188 sièges sur 231 (81 %), quand le FLN n’en remportait que 15 (6,5 %). Certes, ce résultat correspond à la volonté de rompre avec un système politique usé et corrompu, mais il montre aussi que les thèses islamistes ont imprégné la société et que l’islam culturel devient un islam politique. La violente répression qui a suivi les victoires du FIS a conduit à près d’une décennie de guerre civile algérienne qui a débordé en France avec la série d’attentats menés par le Groupe islamique armé (GIA) dans les années 1995. Le GIA a connu une scission conduisant à la création du Groupe salafiste pour la prédication et le combat devenant, en 2007, Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Moins présent en Algérie, AQMI est en revanche très actif au Sahel et conduit des actions en Tunisie et en Libye.
L’islam politique maghrébin demeure dans le giron du modèle saoudien. Sans adhérer au wahhabisme, il reprend ses méthodes d’action. L’Égypte a beau posséder sur son sol la mosquée al-Azhar, censée être la grande autorité sunnite, celle-ci a peu de poids dans la rénovation intellectuelle et ne parvient pas à juguler l’essor de l’islamisme. Elle n’attire pas les jeunes Maghrébins vivant en Europe, qui regardent davantage du côté de l’État islamique que de la rénovation proposée par Le Caire. L’islam maghrébin n’a pas de dynamique propre : ses moteurs et ses inspirateurs viennent du Machrek [simple_tooltip content=’Le Machrek désigne l’Orient arabe, dont les limites géographiques varient
considérablement selon les sources, les sensibilités ou les théories.’](2)[/simple_tooltip] .
Un islam politique qui devient la culture des pays
À la suite du renversement du président Ben Ali en 2011 et de l’organisation d’élections libres, c’est le parti islamiste Ennahdha a qui remporté les législatives tunisiennes avant de régresser aux élections de 2014, mais il est présent au gouvernement et se tient littéralement en embuscade, espérant profiter de l’âge avancé du président Béji Caïd-Essebsi. Au Maroc, c’est le Parti de la justice et du développement (PJD), lui aussi islamiste, qui s’est imposé. Seul monarque de la région, le roi du Maroc possède le titre de commandeur des croyants, ce qui lui permet de capter à son profit l’élan islamiste du pays. Le titre a par ailleurs été revendiqué par les chefs des talibans et de l’État islamique. Les partis issus des indépendances ne peuvent plus agiter cette nostalgie ou ces titres de gloire devant une population rajeunie, dont la plupart n’ont pas connu l’époque de la présence européenne. Leur logiciel politique est donc à réinventer.
Longtemps épargné par l’islamisme, qui touchait surtout l’Algérie et l’Égypte, le Maroc est à son tour concerné. Les attentats de Paris, Bruxelles et Barcelone ont tous été commis par des Marocains, contrairement à ceux des années 1990 qui étaient le fait d’Algériens. La revendication identitaire et culturelle trouve une expression finale dans le combat politique armé.
Sur cet aspect, l’islam au Maghreb ne se différencie pas de celui des autres régions.
1. Recueils de paroles et d’actes de Mahomet transmis par ses compagnons et la tradition.
2. Le Machrek désigne l’Orient arabe, dont les limites géographiques varient
considérablement selon les sources, les sensibilités ou les théories.