<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> L’industrie d’armement suisse : discrète mais efficace

17 janvier 2021

Temps de lecture : 5 minutes

Photo : L'armée suisse, une force discrète mais redoutable. (c) Pixabay Steve Richardson

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L’industrie d’armement suisse : discrète mais efficace

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Observer l’industrie de défense de la Confédération helvétique oblige d’abord à comprendre le système militaire de cet État fédéral, neutre au sens du droit international, au cœur de l’Europe et siège de nombreuses institutions internationales et d’ONG comme l’ONU, le CICR, le CIO, l’UEFA et la FIFA, par exemple. La Suisse s’appuie sur une armée de milice, signifiant que chaque citoyen est un milicien susceptible de participer à défendre le sol national face à toute agression. La Suisse est un pays neutre, mais qui n’est pas pacifiste au sens militant ni hostile aux armes. De fait, elle est au troisième rang pour la détention d’armes par des particuliers (46 armes pour 100 personnes) derrière les États-Unis et le Yémen.

 

Cette longue tradition remonte au Moyen Âge et s’est progressivement consolidée et organisée pour répondre aux exigences de protéger un espace essentiellement montagneux et avec une population principalement rurale jusqu’au xxe siècle. Dans la mesure où chaque citoyen milicien devait se procurer ses armes, une industrie de l’armement s’est mise en place en particulier à partir du xixe siècle lorsque les outils industriels se sont perfectionnés, offrant qualité et précision et donc permettant de produire des armes à feu performantes.

 

Qualité, précision et discrétion : une vertu suisse

L’industrialisation du pays au milieu du xixe siècle a vu ainsi la création de nombreuses entreprises comme la Schweizerische Industrie Gesellschaft (SIG) en 1853, plus connue sous le nom de SIG. La première usine fut implantée à Schaffhouse et produisait aussi bien du matériel ferroviaire que de l’armement. De fait, le développement d’armement petit calibre est devenu un domaine d’expertise de SIG. Des arsenaux ont été construits à Bâle, Zurich, Berne, Aarau et Genève pour fournir des fusils, des munitions et des canons.

Fondée sur une politique de neutralité, la politique extérieure suisse a reposé sur des relations de bon voisinage avec les pays frontaliers : France, Allemagne, Autriche, Liechtenstein et Italie, mais avec le souci de dissuader toute velléité d’invasion avec d’une part un réseau de fortifications de montagne qui n’a cessé d’être développé et modernisé jusqu’aux années 1990, la chute du Mur faisant disparaître la menace et l’acquisition de matériels modernes auprès de plusieurs fournisseurs.

Durant la Seconde Guerre mondiale, la menace nazie fut prise très au sérieux, obligeant à une mobilisation importante de la milice et à un renforcement des moyens, en particulier blindés, incitant ainsi à une production nationale encore très puissante aujourd’hui.

La Suisse a même envisagé un programme nucléaire militaire. Dès novembre 1945, une commission d’étude de l’énergie nucléaire est mise sur pied et de nombreux travaux théoriques vont être conduits jusqu’en 1988. Une des difficultés était l’absence de minerai d’uranium disponible et de volonté politique clairement affirmée sur ce projet.

De fait, la Suisse est aujourd’hui un pays fabriquant d’armes et se situe au 11e rang des exportateurs avec trois domaines d’excellence : les armes de petit calibre et les munitions avec principalement SIG appartenant au groupe Swiss Arms, les blindés avec Mowag, produisant les véhicules Eagle et Piranha, avec Pilatus et Ruag, un consortium dont l’unique actionnaire est la Confédération helvétique elle-même. Ainsi, Ruag participe au programme Ariane depuis sa création et fournit notamment les coiffes des fusées, préparant celles d’Ariane 6.

 

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Une des exigences de la neutralité a été et reste de pouvoir conserver une autonomie maximale pour l’équipement individuel et collectif des unités. D’où une gamme de production très complète comprenant aussi bien l’habillement que tous les accessoires destinés à la vie en campagne, avec une exigence très forte liée aux contraintes d’un terrain montagneux et donc très contraignant pour les miliciens. Un exemple connu est l’entreprise Victorinox créée en 1884 et qui fournit en 1891 le premier « couteau suisse » aux officiers miliciens. Victorinox, outre ses gammes civiles comprenant jusqu’à des parfums, continue à développer sa production militaire avec des exportations importantes. Le réseau de PME produisant des équipements à utilisation duale est donc très développé, permettant au pays de vendre à l’étranger, principalement en Europe avec comme principaux clients l’Allemagne, la Roumanie et le Danemark. Ainsi, au premier semestre 2020, les ventes ont atteint 501 millions de francs suisses, soit une augmentation d’environ 50 % par rapport à 2019. Ruag se situe au 95e rang mondial des entreprises d’armement, démontrant que la Suisse possède des niches de compétences appréciées par les pays acheteurs.

Concernant l’armement terrestre, après avoir produit des engins chenillés des types Char 58, 61 puis 68, l’industrie s’est concentrée sur des blindés à roue, dans la mesure où le marché national réduit ne permettait plus de développer de nouveaux chars, l’armée ayant adopté le Leopard 2 de conception allemande, et construite sous licence avec 380 engins[1] entre 1987 et 1993. Un des produits phares produits par Mowag, filiale de l’américain General Dynamics, est le blindé à roue Piranha construit depuis 1972 à plus de 11 000 exemplaires et exporté dans de nombreux pays comme l’Australie, le Chili et les États-Unis. Le Piranha en est à sa cinquième génération et a été engagé en opération.

Salon de l’armement. Faites votre choix. (AP Photo/Julie Jacobson)/NVJJ109/72151260211/1301160056

SIG SAUER[2] produit des armes individuelles de petit calibre de types pistolet et fusil d’assaut et est bien implanté aux États-Unis, premier pays consommateur d’armements. Les armes produites font appel à des matériaux nouveaux comme des polymères et démontrent la capacité d’innovation de l’industrie d’armement suisse. Les pistolets SIG sont utilisés tant par des forces armées que par des forces de sécurité intérieure. SIG SAUER est parfois mis en cause par des ONG, car vendant des armes à des pays sensibles. Ainsi, la vente de 47 000 pistolets entre 2009 et 2011 à la Colombie était contraire à la réglementation allemande et a amené à la condamnation de trois dirigeants de l’entreprise.

Cette dimension éthique est d’ailleurs l’objet d’une pression forte de certaines ONG suisses et les autorités fédérales ont fait des efforts de transparence pour les exportations d’armes de petit calibre, d’autant plus que certains clients posent un problème, utilisant les armes suisses à d’autres fins que la défense. Une liste de 21 pays exclus, dont la Syrie et la Libye, a été établie par le Conseil fédéral. Le débat reste ouvert avec une opinion publique très présente sur ce type de sujet.

La Suisse est aussi un constructeur d’avions avec notamment la firme Pilatus créée en 1939, appartenant désormais à RUAG et produisant une gamme importante de turbopropulseurs[3] exportés dans le monde entier. Le PC 21 est ainsi un appareil biplace permettant la formation et l’entraînement des pilotes de chasse et a été adopté par plusieurs armées de l’air étrangères comme la France, l’Australie ou l’Espagne.

 

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Par ailleurs, le tissu industriel aérospatial suisse est très « connecté » avec l’Europe, mais également avec les États-Unis, la qualité des produits suisses étant reconnue depuis longtemps avec environ 80 entreprises travaillant dans ce secteur. La Suisse a fait partie des pays membres fondateurs de l’Agence spatiale européenne (ESA) et contribue à son financement à hauteur de 150 millions de francs suisses.

La modernisation des forces armées helvétiques est désormais concentrée sur le renouvellement des avions de combat, la flotte étant équipée actuellement d’avions américains F 5 en service depuis 1978 et les F 18 arrivés à partir de 1997. Plusieurs avions sont en concurrence dont le Rafale de Dassault. Le choix suisse sera très important tant militairement que politiquement et aura un impact sur l’industrie suisse qui sera associée à la maintenance de l’appareil retenu. Même si un courant pacifiste existe en Suisse et participe aux débats, le pays considère que produire des armements constitue un axe de souveraineté nécessaire dans un contexte international complexe et participe à défendre l’art de vivre helvétique.

[1] 137 engins restent en service.

[2] SAUER est une firme allemande spécialisée dans les armes et fondée en 1751.

[3] L’ALAT française dispose de 5 PC 6 et l’armée de l’air met en œuvre 17 PC 21 pour la formation des pilotes de chasse.

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Photo : L'armée suisse, une force discrète mais redoutable. (c) Pixabay Steve Richardson

À propos de l’auteur
Jérôme Pellistrandi

Jérôme Pellistrandi

rédacteur en chef de la Revue Défense Nationale.
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