Souvent réduit à la position d’État satellite de l’URSS, puis considéré comme le dernier régime stalinien au monde, la République Populaire Démocratique de Corée (RPDC) n’en reste pas moins une énigme, un Objet Politique Non Identifié. Si catégoriser cet État comme « communiste » semblait facile pendant la guerre froide, qu’en est-il aujourd’hui ? Alors que l’URSS a disparu et que le modèle chinois a muté depuis les années 80, comment envisager l’incroyable rigidité du régime nord-coréen ? Voici l’occasion de nous plonger dans la doctrine Juche et les raisons de sa mise en place par Kim Il-sung au milieu des années 50.
Quand Pyongyang rompait avec Moscou
Il est difficile de comprendre ce que l’on connaît peu, ainsi pourrait se résumer la perception occidentale du régime de Pyongyang. Considérer la RPDC comme une construction politique sino-soviétique qui aurait mal tourné revient à sous-estimer son caractère profondément souverainiste, indépendantiste et nationaliste. En effet, tout en intégrant les méthodes d’endoctrinement et de terreur du régime stalinien, la doctrine Juche de Kim Il-sung y mêle un patriotisme blessé par la colonisation japonaise (1910/1945), inscrivant la lutte nord-coréenne dans un prisme post-colonial. De plus, après la guerre de Corée (1950/53), Pyongyang se considère comme libéré du colonialisme face à un sud sous tutelle américaine. Afin de renforcer la souveraineté de son pays, Kim Il-sung va s’appuyer sur l’idéologie stalinienne pour affirmer son indépendance, puis au fil de temps s’éloignera de Moscou et de Pékin.
Alors que les différences entre l’URSS et la RPDC étaient déjà notables (1), la mort de Staline, puis la déstalinisation amorcée par Nikita Khroutchtchev lors du XXème congrès du PCUS en 1956, va accroître les divergences entre les deux États. Au nom de l’idéologie stalinienne, Kim Il-sung va s’éloigner de l’URSS, devenu à ses yeux un État révisionniste. À tel point qu’en 1960, la RPDC intègre le Mouvement des États non-alignés et ne peut plus être considérée comme satellite de l’URSS. Le « Professeur de l’Humanité tout entière » en profitera pour éradiquer toutes traces de la doctrine marxiste-léniniste en République Populaire Démocratique de Corée, aussi bien dans les textes que dans les monuments. La révolution culturelle maoïste va également entraîner un éloignement (moins important peut-être) de Pyongyang vis-à-vis de Pékin.
Conséquences sur la doctrine totalitaire nord-coréenne
Ainsi, au début des années 60, la dictature communiste d’antan fût supplantée par la dictature nationaliste d’une dynastie, celle des Kim, toujours en place aujourd’hui. « Le Grand Leader » lui a donné le nom de doctrine Juche. Elle reprend plusieurs éléments du communisme comme l’autonomie militaire, économique et politique, dans une structure sociale qui se résume à un « patriarcat national »(2), reprenant les codes de l’héritage confucéen.
L’autre grande constante de l’idéologie nord-coréenne est son monolithisme autour de la figure tutélaire de Kim Il-sung. Cet aspect est particulièrement visible après la mort du dictateur, érigé au titre de « Président éternel de la République ». Ceci fait de la RPDC un État théocratique, avec un nouveau calendrier commençant en 1912, l’année de naissance de Kim Il-sung. Un code de conduite est imposé à tous les nord-coréens : les Dix principes pour l’établissement d’un système idéologique monolithique. Tous ces principes font référence à Kim Il-sung, lui donnant le statut d’unique figure historique structurante en République Populaire Démocratique de Corée, le but étant d’éviter le sort de la postérité de Staline en URSS et d’offrir une légitimité politique sans failles à ses descendants.
Fabien Herbert
Source : Les Yeux du Monde
(1) L’URSS était un empire immense composé de 15 républiques et d’États satellites, la RPDC est un État uni-ethnique, considéré lui-même comme satellite de l’URSS.
(2) Citation tiré de l’ouvrage de Phillipe Pons : Corée du Nord un Etat-guérilla en mutation, Gallimard, 2016.