Le Liban mérite-t-il qu’on le défende malgré tous ses défauts ? Et comment le défendre ? Emmanuel Macron est allé deux fois au Liban depuis l’explosion qui a eu lieu dans le port de Beyrouth il y a un an, et il a visiblement suivi de très près le dossier. Ceux qui ne connaissent pas l’histoire du Liban s’en sont étonnés.
Les liens entre le Liban et la France
L’influence de la France sur les élites syro-libanaises date de plusieurs siècles. Cette influence a fait attribuer la Syrie à la France après la Première Guerre mondiale lors du démembrement de l’empire ottoman. En Syrie, un territoire chrétien, le mont Liban, a demandé à être détaché de la Syrie avec comme objectif de devenir département français pour être protégé du monde musulman.
Mais cela ne s’est pas fait pour deux raisons :
- d’abord le territoire détaché de la Syrie a été trop grand : pour englober tous les chrétiens de la région, il a également englobé beaucoup de zones musulmanes, et les chrétiens n’étaient que faiblement majoritaires. Aujourd’hui, ils sont très nettement minoritaires, notamment du fait de leur départ du pays à la suite de la guerre civile, de leur accueil favorable à l’étranger par leur diaspora et du fait de leur meilleur niveau d’études que les autres communautés.
- Ensuite, l’évolution de la sensibilité mondiale sur les questions de colonisation a rendu cet objectif psychologiquement et politiquement impossible, comme en témoignent aujourd’hui les discussions qui refusent à la France toute légitimité sur ses départements d’outre-mer, particulièrement Mayotte, et sur la Nouvelle-Calédonie.
La construction du Liban d’aujourd’hui
Le Liban est donc resté indépendant et a mis en place un système « confessionnel » hérité de l’empire ottoman. Ce système classe la population suivant sa religion : les chrétiens maronites, qui avaient la majorité relative, les Arméniens, les Grecs catholiques, les musulmans sunnites, les musulmans chiites et une religion locale : les druzes, que l’on retrouve également plus au sud dans l’Israël d’aujourd’hui, et plus au nord en Syrie.
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Ce classement par religion structure profondément le pays et vous en avez une description géographique et culturelle détaillée dans mon article précédent. Les adversaires de ce multiculturalisme, notamment lorsqu’il s’agit de l’appliquer à la France, rappellent les rivalités paralysantes et les guerres civiles que cela entraîne.
Pour mesurer la complication et donc l’immobilisme engendré par ce système, imaginez qu’en France les nominations officielles se fassent par groupe de 11 comprenant obligatoirement X catholiques, Y protestants, Z juifs, Z’ représentants d’une organisation laïque ou athée (les francs-maçons du Grand Orient par exemple), Z’’ représentants de telle tendance de musulmans etc. Imaginez également que le président de la République française soit obligatoirement catholique, le Premier ministre obligatoirement protestant, le président de la chambre obligatoirement juif etc.
Comme pendant l’Empire ottoman puis durant les premières années de l’indépendance le Liban était peu peuplé, chaque communauté regroupait peu d’habitants et était en pratique contrôlée par une ou deux familles dont on retrouve souvent des descendants aujourd’hui.
Bien entendu les puissances étrangères de la région s’appuyèrent sur des communautés : les Israéliens sur une partie des chrétiens, ce qui fut une erreur stratégique pour ces derniers, l’Arabie sur une partie des sunnites et l’Iran sur les chiites. Quant à la Syrie, elle n’accepta jamais la création du Liban et les services syriens furent souvent très actifs pour perturber la gouvernance du pays. En particulier on les soupçonne d’avoir commandité l’assassinat du Premier ministre Saad Hariri en 2005, et cela peu après avoir été son invité en tant que représentant des grandes écoles françaises dans une manifestation francophone… en même temps qu’un bon millier d’autres personnes, dans l’immense salle à manger de la cave de sa villa.
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La situation avait encore été compliquée avec l’arrivée des réfugiés palestiniens, très majoritairement sunnites. La citoyenneté leur fut refusée d’une part pour sauvegarder leur « droit au retour » en Israël, mais aussi pour ne pas perturber l’équilibre inter-confessionnel.
De même pour les réfugiés syriens chassés par la guerre civile, qui forment actuellement une partie importante de la population et qui sont également majoritairement sunnites.
Aujourd’hui on soupçonne les Turcs d’appuyer les sunnites et la Russie certaines factions chrétiennes.
La guerre civile de 1975 à 1990
Cette guerre civile entre chrétiens et musulmans commença en 1975 et gagna tout le pays. Elle fut particulièrement meurtrière et fut l’occasion d’atrocités dans tous les camps. Elle donna un pouvoir aux « chefs de guerre » de chaque communauté qui restent influents aujourd’hui.
Elle fut souvent mal comprise en France, où Le Monde et une grande partie de la presse française décrivaient une guerre entre « chrétiens conservateurs » et « palestino-progressistes » ! Je n’aurais pas ici la cruauté de commenter.
Cette guerre civile libanaise se termina à la suite des accords de Taef en 1989, qui consolidèrent le système communautariste en diminuant toutefois les pouvoirs du président de la République, obligatoirement chrétien. Ils consacrèrent aussi l’importance des chiites maintenant alliés à la tendance chrétienne du président Michel Aoun.
Le poids des chiites
Du fait de l’exode des chrétiens, les chiites sont devenus le principal groupe du Liban, démographiquement parlant. Par ailleurs, leur principal parti politique, le Hezbollah (le parti de Dieu) est un outil de l’Iran, qui le soutient financièrement et militairement, pour attaquer Israël par le nord. Le Hezbollah a notamment sa propre milice, puissamment armée et indépendante de l’armée libanaise.
Vu d’Israël, le Hezbollah est un simple instrument militaire et terroriste de Téhéran, alors que pour la France il faut être réaliste et tenir compte de son poids pour trouver une éventuelle solution. Le problème est de savoir si l’Iran souhaite qu’il y ait une solution.
L’opinion publique libanaise serait fatiguée du poids du Hezbollah qui règne militairement sur une partie du pays et est le principal acteur au niveau politique national. Les notables de ce parti sont de plus en plus assimilés à ceux des autres formations. Le mariage fastueux de la fille d’un responsable du parti a eu un effet désastreux en cette période de disette. Mais nul ne voit comment faire contrepoids à sa puissance militaire et à l’appui de l’Iran.
Une crise profonde
morts, des milliers de blessés, et détruit une partie de la capitale. Mais elle n’a rien changé à la paralysie du pays et n’a fait qu’approfondir la crise.
Fadi Sawan, premier juge chargé de l’enquête sur l’explosion, a été récusé au bout de huit mois, après les recours judiciaires d’anciens ministres inculpés pour « négligence ». La Cour de cassation a estimé que le magistrat ne pouvait être « objectif », sa maison ayant été touchée par l’explosion, et qu’il n’avait pas respecté les lois sur l’immunité parlementaire, plusieurs anciens ministres mis en cause étant également députés.
En février dernier, un nouveau juge, Tarek Bitar, a été désigné mais il bute à nouveau sur la levée des immunités auxquelles s’oppose le Parlement.
Liban : la situation politique aujourd’hui
Le président Michel Aoun vient de désigner Najib Mikati comme nouveau Premier ministre. C’est un homme d’affaires important, donc supposé lié à la classe dirigeante politique actuelle.
Après l’explosion du 4 août, tout a continué comme avant.
Le président français avait réclamé :
- une enquête indépendante sur les causes de l’explosion,
- un audit des réserves de la Banque centrale et des finances de l’État,
- la nomination d’un gouvernement intérimaire capable de mettre en œuvre des réformes,
- la tenue d’élections législatives anticipées dans un délai de moins d’un an.
Rien de tout cela n’a bougé.
Les raisons du blocage commencent à filtrer : les deux partis chiites, Amal et le Hezbollah se disputent la clé du coffre, pardon le poste de ministre des Finances, tandis que le président Michel Aoun veut installer son gendre à la présidence à la suite des élections de l’année prochaine. Enfin, l’Arabie exige que ses alliés sunnites aient une part plus importante du gouvernement.
Derniers développements
La Conférence internationale de soutien à la population du Liban s’est tenue le 4 août 2021, à l’invitation conjointe du président français et du secrétaire général des Nations unies. Les participants se sont engagés à fournir une nouvelle aide humanitaire de 370 millions de dollars à la population. Ils appellent la classe politique libanaise à former un gouvernement et à renouer le dialogue avec le FMI. Mais ce dernier exige à juste titre des réformes de fond pour lesquelles il faudrait un gouvernement indépendant de la classe politique actuelle.
Sur le plan politique il faudrait bien sûr des élections libres dans tous les sens du terme, et notamment non confessionnelles, mais qui va les organiser ? Si les règles ne changent pas on retombera dans le blocage actuel.
D’où la menace d’Emmanuel Macron de mise sous tutelle du pays, qui pourrait être mise à exécution.
Lors de la visite de Jean-Yves Le Drian, en mai 2021, ce dernier a encouragé l’opposition à se structurer et à se mobiliser en vue des élections de 2022. Certains observateurs sont encouragés par l’apparition de groupes de jeunes multi–confessionnels. Le plus ancien, « Arcenciel » date de… 1984, sans parler des tentatives démocratiques que les Français avaient tentées au début du mandat. Mais tout cela a été repoussé jusqu’à présent « par respect de l’attachement des Libanais à chacune de leur communauté ».
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Le Liban mérite-t-il qu’on le défende malgré tous ses défauts ? Il y a un attachement historique, culturel et même romantique de la France à ce pays, et réciproquement, du moins pour une grande partie de sa population, et pas seulement des chrétiens. De plus le Liban a besoin d’alliés face aux intérêts de l’Iran, de la Turquie ou de la Russie.
Mais comment le défendre ? Les Français ont déjà des troupes dans la partie chiite sous le drapeau de la Finul, la force des Nations unies qui s’efforce d’éviter la guerre entre le Hezbollah et l’armée israélienne. L’envoi de troupes à Beyrouth même par les Français et les Américains s’est terminée par une évacuation en catastrophe suite aux attentats probablement syriens de 1983. Il ne semble pas qu’on n’ait envie de recommencer.
Une sorte de mandat international sous l’impulsion de l’ONU et du FMI serait rationnel, mais l’Iran, la Turquie et la Russie s’y opposeront, sauf accord discret notamment sur la présence de l’Iran au sud. La France devrait logiquement jouer un grand rôle dans ce mandat, sauf manœuvres de couloir à l’ONU notamment par les trois pays ci-dessus, ce qui pourrait aboutir à des résultats imprévus et pas forcément efficaces.
Article paru sur le site d’Yves Montenay