Liban. Vers la réconciliation des chrétiens ?

6 juin 2016

Temps de lecture : 5 minutes

Photo : Manifestation contre la conférence économique Manama, parrainée par les États-Unis, qui a eu lieu au Bahreïn et aux États-Unis. Photo : SIPA 00913661_000004

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Liban. Vers la réconciliation des chrétiens ?

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[colored_box bgColor= »#f7c101″ textColor= »#222222″]De ses voyages, Agnès Richieri, diplômée de Sciences-Po et de l’Institut Européen de Journalisme, rapporte des images, des témoignages, des entretiens, des événements qu’elle présente tantôt sous la forme tantôt d’articles, tantôt d’entretiens, tantôt encore de photographies. Au gré de son humeur et des opportunités. De ces choses vues et de ces paroles entendues, elle tire des analyses personnelles qu’elle fait partager aux lecteurs du site Conflits, au rythme d’une intervention originale chaque mois. Voir et écouter sans a-priori, n’est-ce pas la première étape de toute réflexion ?[/colored_box]

Présentée comme un pas supplémentaire vers l’unité des chrétiens, la réconciliation entre Samir Geagea et Michel Aoun scellée au début de l’année 2016, marque la fin d’une opposition vieille de presque 30 ans entre les deux principales forces maronites du Liban.

Au-delà du soutien apporté par le chef des Forces Libanaises à la candidature présidentielle du général Aoun, les artisans de ce rapprochement mettent en avant l’enjeu stratégique qu’il représente pour l’ensemble de la communauté maronite, dont doit être issu le président de la République libanaise. Dans le cadre d’une vacance présidentielle qui dure depuis deux ans et d’un parlement qui, depuis 2009, a prorogé à deux reprises son mandat, ce revirement d’alliance n’a pas qu’une portée symbolique. Il a ébranlé les lignes de clivage traditionnelles sans pour autant sonner le glas des dissensions internes à la communauté chrétienne. C’est ce qu’ont démontré les résultats des élections municipales de mai dernier, premier scrutin démocratique organisé au Liban depuis 2010.

Une réconciliation surprenante

Conclue le 18 janvier dernier dans le bastion aouniste de Meerab, au nord de Beyrouth, l’alliance entre les Forces Libanaises (FL) de Samir Geagea et le Courant patriotique Libre (CPL) de Michel Aoun a de quoi surprendre.

D’abord, les deux factions chrétiennes partagent un passé houleux qui a provoqué une véritable confrontation armée dans les années 1989-1990 alors que le pays sortait péniblement de quinze ans de guerre civile. A l’origine il s’agissait de se situer par rapport à la Syrie et aux accords de Taef qui modifiaient la Constitution, mais la rivalité politique entre les deux hommes est rapidement devenue la principale raison de leur affrontement. Celui-ci fit près de 850 morts. La vive animosité entre les deux leaders amplifiée par l’emprisonnement de Geagea alors qu’Aoun s’était déjà exilé en France.

Ensuite, cette alliance bouscule la lecture bipartisane qui dominait la politique libanaise depuis l’assassinat du premier ministre Rafic Hariri, le 14 février 2005. Elle brouille de fait la distinction entre la coalition dite du « 8 mars » pro-syrienne menée par le Hezbollah et à laquelle appartient le CPL et celle du « 14 mars » menée par le Courant du Futur proche de l’Arabie Saoudite et dont font partie les FL.

Pourtant, les instigateurs de l’alliance, Melhem Riachy pour les FL et le député Ibrahim Kanaan pour le CPL, insistent sur le travail de longue haleine qui a précédé ce revirement. « Déjà notre déclaration d’intention du 2 juin 2015 avait marqué un rapprochement de nos visions pour le Liban », explique Kanaan. « Depuis, nous avons convenu d’un projet de loi commun sur la récupération de la nationalité par les Libanais expatriés et avons récemment obtenu que la révision de loi électorale soit inscrite à l’ordre du jour de la prochaine session de Parlement, deux points essentiels pour la représentativité des chrétiens du Liban », ajoute-t-il.

Le Liban compliqué

Néanmoins, le rapprochement final de janvier 2016 a sans doute été précipité par une autre alliance conclue en décembre 2015. Le Courant du Futur (CDF) sunnite, allié des FL au sein du 14 mars, a alors annoncé son soutien à la candidature présidentielle de Soleimane Frangié, un allié maronite du Hezbollah et du CPL au sein du 8 mars. « Le timing de ces alliances est intimement lié à la crise présidentielle » explique Nabil Bo Monsef, analyste politique au journal Al-Nahar. « En accroissant le soutien officiel pour Michel Aoun, Geagea et à travers lui l’Arabie Saoudite forcent la main du Hezbollah pour abandonner sa politique de la chaise vide au parlement qui empêche de fait l’organisation d’élections présidentielles, le scrutin étant indirect. Une position devenue intenable sachant que Michel Aoun est aussi son candidat. »

Depuis janvier, le blocage autour de l’élection présidentielle est pourtant inchangé, ce qui laisse planer le doute sur la portée politique de la nouvelle alliance. En effet, tant les Forces Libanaises que les aounistes ne peuvent se permettre d’abandonner leurs alliés musulmans du 14 mars et du 8 mars. « Nous n’avons aucune intention de sortir du 14 mars » a même confié Melhem Riachy qui ne voit pas de contradiction avec son nouvel allié. Les Forces Libanaises sont pourtant aussi peu appréciées du Hezbollah que l’est Michel Aoun par le Courant du Futur. Une source proche du Hezbollah indique par ailleurs qu’il n’y a pas eu à ce jour de négociations directes avec Samir Geagea, signe que la « pression » exercée sur le parti de Dieu par l’alliance reste toute relative

Arrière-pensées

Certains au sein du Courant Patriotique Libre voient aussi d’un mauvais œil l’opportunisme de Samir Geagea vis-à-vis de Michel Aoun, son aîné de presque 20 ans. « Geagea a gagné sur tous les plans » commente Ghattas Khoury, conseiller politique de Saad Hariri au sein du CDF. « Il met fin à un long combat sans payer aucun tribut et apparaît comme un rassembleur auprès de la communauté chrétienne et internationale. Mais Geagea table sur la mort prochaine de Michel Aoun (âgé de 81 ans et souffrant de problèmes de santé) pour récupérer son assise au sein des maronites plus élargie que la sienne aujourd’hui » ajoute-t-il. « Il anticipe les tensions qui éclateront au sein du CPL après la mort du général, véritable colonne vertébrale du parti, au profit des FL mieux structurées.»

Pour démentir de telles suspicions, l’alliance Geagea-Aoun devra donc travailler à asseoir sa légitimité en réconciliant les militants des deux camps. « Beaucoup de chrétiens ont rejoint le CPL précisément par opposition aux pratiques des milices comme les Forces Libanaises » ajoute Rima Farah, analyste politique maronite.

Plus important encore, l’intention affichée de rassembler les chrétiens ne tiendra que si leur soutien s’élargit au-delà des groupes rassemblés par Aoun et Geagea, notamment en direction des Kataëb de la famille Gemayel et de la Marada des Frangié dont est issu l’autre candidat à la présidentielle, Soleimane Frangié, ouvertement hostile au tandem Geagea-Aoun. Un soutien difficile à obtenir à en croire le vice-président des Kataëb, Salim Sayegh qui reconnaît que son parti « pourrait voter pour Geagea mais ne soutiendra jamais une candidature de Michel Aoun qui a couvert tous les agissements du Hezbollah. »

L’unité des maronites et au delà de l’ensemble des chrétiens libanais (arméniens, catholiques, grecs orthodoxes) derrière un seul candidat, souhaitée par la communauté internationale et la Russie en tête, ne sera donc pas si facile. « La réconciliation entre les FL et le CPL est importante pour la conscience chrétienne » ajoute Sayegh. « Mais du point de vue de la coalition politique, c’est un marché de dupes car personne ne contrôle vraiment l’électorat chrétien son électorat. »

Faire l’unité des chrétiens, et des Libanais

C’est bien ce qu’ont confirmé les élections municipales qui se sont déroulées au mois de mai dernier, véritable galop d’essai pour la nouvelle alliance. Les FL et le CPL ont monté des listes communes dans plusieurs localités importantes comme dans le Metn ou à Baalbeck mais souvent après d’âpres combats contre des listes soutenues par d’autres familles et partis chrétiens. Dans leurs fiefs respectifs, les négociations furent aussi beaucoup plus rudes. A Jounieh, deux listes menées respectivement par les FL et le CPL se sont opposées, privant les aounistes de leur habituel raz-de-marée électoral. A Batroun, bastion de Gebran Bassil, actuel président du CPL, aucun candidat des FL ne s’est présenté sur la liste pourtant commune aux deux partis, faute d’accord.

Conclue au sommet, l’alliance prendra donc du temps avant d’être acceptée par la base et les échelons locaux. « Qu’à cela ne tienne, nous avons les yeux rivés sur le scrutin parlementaire de 2017 », justifie Melhem Riachy. A Jezzine, où se tenait en parallèle un scrutin parlementaire partiel pour remplacer le député Michel Hélou mort en 2014, la force de frappe de l’alliance a effectivement fait ses preuves. Le candidat du CPL et des FL, Amal Abou Zeid, l’a remporté face à trois autres candidats dont deux dissidents du CPL, preuve que les luttes intestines n’ont pas disparu. Mais Abou Zeid bénéficiait aussi du soutien clef du Hezbollah, dominant dans cette partie sud du pays ; le « parti de Dieu » l’a même préféré au candidat de son autre allié, le Amal chiite.

Signe que l’avenir du Geagea-Aoun dépendra aussi de son aptitude à ne pas contrarier ses alliés musulmans.

Agnès Richieri

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Photo : Manifestation contre la conférence économique Manama, parrainée par les États-Unis, qui a eu lieu au Bahreïn et aux États-Unis. Photo : SIPA 00913661_000004

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À propos de l’auteur
Agnès Richieri

Agnès Richieri

Journaliste spécialiste du Moyen-Orient et de la région des Grands Lacs, Agnès Richieri est titulaire d’un Master en Affaires internationales de l’IEP de Paris et d’un Master Grands Reportages à l’Institut Européen du Journalisme. Passionnée de géopolitique et de photographie, elle a été la correspondante du journal La Croix en Egypte et au Kurdistan irakien avant de couvrir à partir de 2015 la crise présidentielle au Burundi. En parallèle, elle a continué sa formation en arabe auprès de l’INALCO. Elle collabore régulièrement avec le journal La Croix et la revue Alternatives Internationales.
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