<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> L’histoire mot à mot : « Mourir pour Dantzig ? »

1 novembre 2022

Temps de lecture : 3 minutes

Photo :

Abonnement Conflits
Abonnement Conflits

L’histoire mot à mot : « Mourir pour Dantzig ? »

par

Chronique de Pierre Royer, Revue Conflits n°42

Cette interrogation, qui contient plus ou moins sa réponse, était le titre d’un éditorial de Marcel Déat (1894-1955) paru dans le quotidien L’Œuvre le 4 mai 1939. Après avoir envahi la Tchécoslovaquie, Hitler venait d’obtenir la cession de Memel par la Lituanie, puis avait dénoncé le 28 avril le pacte de non-agression signé avec la Pologne en 1934 ; il réclamait une révision du statut de Dantzig (aujourd’hui Gdansk) et de son « corridor », qui donnait un accès à la mer à la Pologne, mais séparait la Prusse orientale du reste de l’Allemagne.

Le titre de Déat faisait écho à un article d’Henri Béraud publié dans Gringoire en septembre 1938 et intitulé « Mourir pour les Sudètes ». Mais alors que l’opinion était majoritairement « munichoise » à l’automne 1938, elle semble beaucoup plus résignée à la guerre au printemps : une pétition pour la paix avait obtenu un grand succès lors de la crise des Sudètes, mais attire bien peu de signataires huit mois plus tard, malgré l’article de Déat dans un quotidien qui tire pourtant à plus de 250 000 exemplaires. Confirmant le raidissement des Occidentaux, le Royaume-Uni, jusque-là champion de l’appeasement, s’est engagé le 31 mars à soutenir militairement la Pologne.

Marcel Déat, normalien et agrégé de philosophie, s’est engagé très tôt à la SFIO, dont il incarne la ligne non marxiste et pacifiste, à l’instar d’un Pierre Laval ; mais alors que ce dernier se détache du parti dès les années 1920, Déat y reste jusqu’en 1933, quand il en est exclu pour ses positions planistes et autoritaires. Il continue néanmoins le combat contre le fascisme et l’antisémitisme durant la seconde moitié des années 1930 au sein des « néosocialistes ».

A lire également :

Prague, tchèque et européenne

Sa position en 1939 est claire : « Il ne s’agit pas du tout de fléchir devant les fantaisies conquérantes de M. Hitler, mais je vous le dis tout net : flanquer la guerre en Europe à cause de Dantzig, c’est y aller un peu fort, et les paysans français n’ont aucune envie de “mourir pour les Poldèves[1]”. » La contradiction logique que contient cette phrase illustre parfaitement l’impasse dans laquelle se trouvent les pacifistes, car comment arrêter Hitler sans courir le risque de la guerre, maintenant qu’il est clair qu’il ne respectera aucun des traités qu’on parviendrait à lui faire signer ? L’entêtement de Déat tient en partie à son anticommunisme profond, car depuis 1936 le Parti communiste est le seul parti défendant une politique de résistance au « fascisme » et le seul à avoir été résolument antimunichois – les autres partis étaient divisés sur la question.

Sa position peut aussi tenir à une anglophobie cultivée par certains anciens combattants depuis la Grande Guerre, en comparant les pertes des deux alliés : moins de 900 000 pour le Royaume-Uni contre 1,4 million pour la France, pourtant moins peuplée. De sorte que Déat n’aurait sans doute pas renié l’argument qu’utilisera le PCF en octobre 1939, lorsque le pacte germano-soviétique aura conduit à un revirement total de sa posture et qu’il qualifiera la guerre, déjà fatale à la Pologne, de « guerre de capitalistes qui dresse l’un contre l’autre l’impérialisme anglais et l’impérialisme allemand, cependant qu’au peuple de France est réservée la mission d’exécuter les consignes des banquiers de Londres ».

Déat et Laval illustrent à merveille l’itinéraire menant du pacifisme le plus absolu au ralliement à Pétain et à la collaboration. C’est notamment leur passé d’hommes de gauche qui inspirait au vieux maréchal une certaine méfiance : il refusa le projet de parti unique proposé par Déat, et se débarrassa de Laval à la première occasion en décembre 1940, avant d’être contraint à le reprendre sur l’insistance des Allemands. D’autres anciennes figures de la gauche suivirent ce parcours tortueux, mais à leurs yeux logique : Gaston Bergery (1892-1974), figure du Parti radical, et Jacques Doriot (1898-1945), ancien dirigeant communiste qui combattit sous l’uniforme allemand en Russie. Ceux qui trouvent des circonstances atténuantes à Poutine ou se pâment devant les rodomontades de Xi Jinping à propos de Taïwan ont eu de prestigieux devanciers.

A lire également :

Les invariants de l’histoire

[1] Cette formule faisait référence à un peuple imaginaire d’Europe centrale inventé en 1929 pour un canular du quotidien monarchiste l’Action française.

Mots-clefs :

Temps de lecture : 3 minutes

Photo :

À propos de l’auteur
Pierre Royer

Pierre Royer

Agrégé d’histoire et diplômé de Sciences-Po Paris, Pierre Royer, 53 ans, enseigne au lycée Claude Monet et en classes préparatoires privées dans le groupe Ipesup-Prepasup à Paris. Ses centres d’intérêt sont l’histoire des conflits, en particulier au xxe siècle, et la géopolitique des océans. Dernier ouvrage paru : Dicoatlas de la Grande Guerre, Belin, 2013.
La Lettre Conflits
3 fois par semaine

La newsletter de Conflits

Voir aussi

Pin It on Pinterest