Du Traité de Rome à la mise en place de l’euro, l’Union européenne a voulu apporter la prospérité économique à sa population. Si cela fonctionna bien dans un premier temps, la machine s’est depuis grippée.
Bernard Landais est l’auteur de Réagir au déclin ; une économie politique pour la droite française, VA éditions, 2021.
Le Traité de Rome de 1956 instituant le Marché Commun pour les six pays fondateurs (France, Allemagne, Italie, Belgique, Pays-Bas et Luxembourg) a inauguré une ère de grande prospérité pour ces pays et plus récemment pour la plupart de ceux qui ont adhéré, même tardivement. Les principes économiques sous-jacents sont la valorisation des avantages comparatifs et l’extension des marchés des entreprises, qui leur garantissent des gains de productivité liés aux économies d’échelle. L’opération du Marché Unique entamée par Jacques Delors au milieu des années 1980 allait dans la même direction, au moins en apparence. Mais ce fut un faux semblant.
On peut constater le changement dès les années 1980. Le volet économique s’étant bien établi et la plupart des avantages qui lui étaient liés étant déjà complètement acquis pour les « anciens pays » qui dirigeaient l’Europe d’alors, vint le moment d’une grande bifurcation.
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La bifurcation fut idéologique
Les socialistes se convertissaient en masse aux lois du marché tout en ayant à l’idée qu’après la planification nationale, il convenait d’imposer ces lois de façon rationnelle à coup d’organisation et de règlements. Conformément à leur ADN, il fallait donc et paradoxalement « planifier le marché ». Les commissaires européens, en oligarques fiers de leur science toute neuve, se mirent donc à pratiquer un « socialisme de marché » qui perdure encore, appuyé sur les milieux financiers et les organisations internationales et judiciaires, Les vrais libéraux en furent pour leurs frais, eux qui, tels l’économiste français Pascal Salin, souhaitaient en rester aux mesures de libération des entraves au commerce et de circulation des facteurs.
La bifurcation fut aussi géographique
Le Royaume Uni (tout comme l’Irlande) ne jouait pas ce jeu, profitant seulement de son entrée tardive pour engranger les bénéfices de l’ouverture, tout en rejetant le socialisme de marché qui s’amorçait. De Margaret Thatcher à Boris Johnson, il y a une continuité réelle dans une attitude de résistance qui a abouti au Brexit. Le Royaume Uni qui dans son Histoire n’a jamais dominé l’Europe et qui garde les yeux fixés sur le « grand large », considéra d’emblée que l’aventure politique européenne ne pouvait profiter qu’aux grandes puissances continentales et surtout à l’Allemagne. Par sa seule présence, le Royaume Uni a servi temporairement de pôle modérateur pour freiner la dérive européenne vers le socialisme. Il a notamment épaulé les pays de l’Est. Puis il s’en est allé …
La bifurcation fut ainsi le déplacement de l’économie vers le politique
L’arrivée de la monnaie unique fut d’emblée une aventure politique voulue comme telle presque dès ces années 1980. La théorie du couronnement, c’est-à-dire celle de l’apparition de la monnaie unique en « couronnement final » du processus d’intégration économique, fut abandonnée au profit du passage immédiat et forcé vers une zone monétaire. Celle-ci, qui fut donc décidée par les Politiques et pour les Politiques, fut néanmoins vendue aux peuples comme un espoir de croissance économique supplémentaire. « Un Marché-Une Monnaie » fut alors le nouveau slogan employé pour convaincre des votants plutôt réticents. Le traité de Maastricht fut difficilement ratifié et en particulier en France. Le traité de Nice, rejeté par référendum fut réintroduit en catimini, marquant ainsi le mépris de la caste politique pour le peuple.
À l’usage, si les promesses de croissance ne furent pas tenues, le pire n’advint pas pour tous les pays de la Zone Euro, sinon pour quatre d’entre eux : Grèce, Portugal, Espagne, Italie. Ils payèrent d’une crise financière gravissime les débordements financiers associés à la mise en œuvre l’Union monétaire, de 1999 à 2008. La France et les autres pays de la zone ne se portèrent pas mieux et probablement un peu moins bien que s’ils avaient gardé une monnaie indépendante. Aucun pays n’a connu de croissance accrue du fait de l’Euro depuis sa création. Les choix politiques et donc fatalement dirigistes depuis le début du siècle, ont donc porté des fruits amers ou à tout le moins insipides.
Sur le temps long et depuis 1975, beaucoup de ressorts nationaux se sont aussi passablement détendus ! De son côté, l’intégration européenne a épuisé ses effets économiques bénéfiques et ne promet plus rien de tangible pour redresser la situation. L’Europe économique est passée de la lumière à la pénombre !