La France a récemment voté une loi anti-fast-fashion visant à limiter l’impact environnemental et social de la « mode jetable ». Même si les contours de ses modalités d’application sont encore flous, elle pourrait impacter de très nombreuses entreprises européennes, et par effet domino, déstabiliser l’économie turque qui a fait de l’industrie textile l’un de ses piliers.
Par Arnaud Lacheret, docteur en science politique.
Le 14 mars dernier, l’Assemblée nationale adoptait une loi visant à réduire la pollution générée par l’industrie de la fast-fashion. Un nouveau texte législatif qui prévoit la sensibilisation des consommateurs, une limitation de la publicité et surtout, la création d’un malus écologique sur chaque produit.
Si les entreprises asiatiques comme Shein sont explicitement visées par ces nouvelles taxes sur le consommateur, les décrets d’applications pourraient bien impacter d’autres entreprises de la mode, qui ont toutes depuis très longtemps délocalisé l’intégralité de leur production, de Mango à Zara, de H&M à Décathlon.
De plus, Paris ne se contente pas de légiférer sur son territoire : selon le magazine Politico, la France chercherait même à étendre ce type de mesures sur l’ensemble des pays-membre de l’Union européenne. Lors d’une réunion des ministres de l’Environnement le 25 mars dernier, Christophe Béchu a en effet plaidé pour une responsabilité élargie des producteurs dans le cadre de la directive-cadre sur les déchets, instaurant de facto un principe de « pollueur-payeur ». Une menace à peine voilée contre une grande partie de l’industrie du prêt-à-porter en Europe.
La Turquie, victime collatérale ?
Aussi surprenant que cela puisse paraitre, la Turquie pourrait bien pâtir de cette politique à l’égard des entreprises textiles qui produisent la quasi-totalité de leurs millions de vêtements à l’étranger.
En effet, depuis 20 ans, Ankara s’est positionné comme un acteur incontournable dans la chaine de valeur globale de l’industrie de la mode, au même titre que la Chine ou le Bangladesh.
En 2021, l’industrie textile turque a même atteint un pic historique avec des exportations d’une valeur de 12,9 milliards de dollars, la positionnant comme le 5e plus grand exportateur textile au monde.
Aux portes du marché européen et disposant de coûts de production attractifs, le pays est en effet devenu « l’atelier » de bon nombre de champions du prêt-à-porter et désormais Shein, H&M, Mango ou Zara ont des centaines d’usines sur le sol turc.
Et en représentant désormais 10 % de son PNB, 40 % de sa production industrielle et 35 % de ses revenus d’exportation, l’industrie textile est devenue un pilier de l’économie d’Ankara.
Mais sans surprise, une grande majorité de ces exportations sont destinées aux pays de l’UE… rendant la Turquie particulièrement vulnérable aux changements de règlementation sur le vieux continent. La nouvelle loi votée récemment à l’Assemblée nationale, voire l’apparition de mesures similaires en Europe, pourrait considérablement réduire l’attractivité du marché européen pour les entreprises du prêt-à-porter « bas de gamme » et « moyen de gamme »… Contraignant la Turquie à revoir de fond en comble toute sa stratégie industrielle.
Nul doute qu’Ankara va suivre attentivement les risques représentés par ce changement de paradigme et qui menacent des milliers d’emplois sur son sol. Seule solution pour « amortir le choc » : faciliter une transition vers la production de textiles plus durables et responsables pour les sites de productions situées en Turquie. Un changement de positionnement délicat, qui risque de lui faire perdre son atout majeur jusque-là, à savoir ses faibles coûts de production.
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