Pour lutter contre l’inflation, alors que la Banque centrale européenne (BCE) relève ses taux d’intérêts, l’État français cherche de son côté a en limiter les conséquences sociales en s’occupant de la hausse des prix de l’énergie et des matières premières. En réalité, le coût budgétaire des interventions de l’État ne font qu’aggraver la situation déjà terriblement inquiétante de nos finances publiques.
Quoiqu’elle ait ralenti à 5,9 % sur un an en décembre (contre 6,2 % en novembre), l’augmentation des prix demeure un sujet sensible. Elle n’est ni le résultat d’une forte croissance de la productivité économique ni celui d’une hausse de la demande globale, et elle rogne le pouvoir d’achat des épargnants comme des consommateurs. Dans ce dernier cas, les salariés sont amenés à réclamer une augmentation de leur rémunération, rehaussant conséquemment les coûts des entreprises, qui répercutent à leur tour cette hausse dans leurs prix de vente. Lutter contre cette spirale autoentretenue salaires-prix/prix-salaires commande de limiter l’augmentation du coût des facteurs de production.
Afin d’éviter la surchauffe inflationniste, la Banque centrale européenne (BCE) a déjà commencé à relever ses taux d’intérêt, ce qui n’est pas sans handicaper les entreprises qui, dès lors, voient le coût du capital augmenter. La BCE se heurte à un autre dilemme : si elle doit reprendre la main, la prudence doit toutefois rester de mise dans le resserrement de sa politique monétaire, sous peine d’aggraver la situation de l’emploi et, plus dangereusement encore, le niveau d’endettement des États de la zone euro, dont plusieurs de ses membres risqueraient de se retrouver exposés à des attaques spéculatives. Dans ce contexte singulier, qu’a fait l’État français ? Et que pourrait-il faire, cumulativement ou alternativement ?
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L’État a, jusqu’à présent, pris à sa charge en très large part l’augmentation des prix de l’énergie et des matières premières. En l’espèce, l’avantage évident est de contenir les effets de l’inflation sur le pouvoir d’achat des particuliers tout en soulageant fortement les entreprises. L’inconvénient est néanmoins double : on ne peut baisser le prix du carbone à grand renfort de subventions budgétaires et annoncer simultanément vouloir réaliser la transition énergétique. Surtout, en empêchant ici l’ajustement spontané des prix à la demande d’énergie, des pénuries se signalent dans de nombreux secteurs productifs, conduisant à la mise en place de délicates politiques de rationnement. La prise en charge de l’inflation par l’État a, de surcroît, de lourdes répercussions sur la situation déjà extrêmement préoccupante de nos finances publiques.
L’État a, parallèlement, entendu protéger les personnes les plus démunies par des aides ciblées (tel le chèque énergie versé sous conditions de ressources), autrement dit limiter les conséquences sociales de l’inflation, au risque cependant d’en aggraver les causes. Là encore, le principal inconvénient de cette politique demeure son coût budgétaire. Avant même l’adoption du budget pour 2023, le coût pour l’État du seul chèque énergie atteignait 2,4 milliards d’euros (à quoi il convient donc d’ajouter celui des mesures non ciblées, tels les boucliers tarifaires relatifs aux gaz et à l’électricité et les remises carburants, pour un total dépassant alors les 30 milliards d’euros…).
Pour diminuer le coût des facteurs de production, l’État pourrait tout aussi bien alléger la fiscalité pesant sur le travail et sur le capital. Les marges de manœuvre sont grandes en ce domaine. La France est en effet le deuxième pays européen, derrière la Suède, à taxer le plus fortement le travail ; et le premier pays à imposer le capital. Abaisser la fiscalité assise sur ces facteurs de production stimulerait les incitations productives tout en réduisant l’effet de la hausse des prix de l’énergie sur les coûts de production. Certes, cette piste creuserait le déficit budgétaire à court terme, mais pourrait contribuer à le résorber à moyen et long terme en agissant favorablement sur la productivité globale de l’économie, c’est-à-dire la croissance.
L’autre partie de la solution au problème de l’inflation réside dans la diminution des dépenses publiques productives produites en quantité excédentaire et dans la suppression des dépenses improductives (1). Une telle politique assainirait non seulement les comptes publics, mais baisserait la demande globale, solution caractéristique d’une politique de désinflation. Bref, ce n’est pas en accroissant aveuglément son intervention mais en se désengageant que l’État règlera le problème de l’inflation.
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(1) Sur ce point, nous renvoyons à l’ouvrage de référence du professeur François Facchini, Les Dépenses publiques en France, Louvain-la-Neuve, De Boeck Supérieur, 2021, coll. « Ouvertures économiques » (spécialement le chapitre 6, « La structure optimale des dépenses publiques », p. 231-255).