Loin des analyses globales, l’industrialisation de la France doit s’analyser à l’échelle régionale et métropolitaine afin de disposer d’une étude plus fine des dynamiques territoriales. Il en ressort que ce sont les villes qui sont le plus à même de générer la croissance du tissu industriel.
Marjolaine Gros-Balthazard, Université Grenoble Alpes (UGA) et Magali Talandier, Université Grenoble Alpes (UGA)
La pandémie et, plus récemment, le conflit en Ukraine ont accéléré la prise de conscience des faiblesses de notre modèle économique. Nos dépendances vis-à-vis de l’extérieur pour les masques, les tests Covid, les matériaux de construction, l’énergie, ou encore les produits alimentaires de base constituent autant de signaux concrets de la perte de souveraineté industrielle des pays européens. Dans ce contexte, la France, durement touchée par la désindustrialisation ces dernières décennies, apparait encore plus fragile que ses voisins.
Nos calculs réalisés à partir des données Eurostat montrent que la France se place aujourd’hui aux derniers rangs de l’Union européenne en matière d’industrie. Elle est 22e (sur 27) en termes de part de l’emploi industriel dans l’emploi total et 24e pour la part de la valeur ajoutée industrielle dans la valeur ajoutée totale (PIB). Cette situation la place juste devant des pays tels que le Luxembourg, les Pays-Bas, la Grèce, Chypre, ou bien encore Malte qui n’ont jamais véritablement été industriels. De plus, sur la période de rebond de l’industrie, entre 2016 et 2019, la France n’est que 21e en termes de croissance de l’emploi industriel (2 %).
De plus, ce rebond se traduit par un retournement spatial illustré par les cartes 1 et 2 ci-dessous.
Entre 2011 et 2016, le déclin révèle des différences importantes de dynamisme industriel entre pays. Allemagne, Irlande, République tchèque, Hongrie, Roumanie se distinguent en positif. Depuis 2016, la reprise se généralise, mais avec des disparités spatiales plus marquées au sein des pays, à l’image de ce que l’on observe en France qui se réindustrialise quasi exclusivement au sud de la diagonale Le Havre-Genève.
Zoomons un peu plus près sur les territoires français (carte 3).
Les résultats de notre analyse des données Acoss sur les emplois nous amènent à distinguer trois types d’espaces susceptibles de jouer un rôle structurant dans les années à venir.
La vigueur industrielle des métropoles
Pour des raisons évidentes, l’industrie n’est pas spontanément associée au tissu économique des plus grandes villes (emprise foncière, pollution, nuisance sonore, trafic routier, etc.). Pourtant, 60 % des emplois industriels créés sur la période 2016-2019 l’ont été dans les métropoles et leur couronne (ou aires d’attraction de plus de 700 000 habitants), alors même qu’elles ne concentrent que 35 % des emplois industriels français pour plus de 50 % des emplois totaux.
Cela s’explique en partie par une spécialisation dans des secteurs industriels dynamiques, associés à de hauts niveaux de qualification et de valeur ajoutée (industrie de l’information et de la communication, fabrication de produits informatiques, électroniques et optiques, mais aussi fabrication de matériels de transport hors automobile). Ces secteurs génèrent à eux seuls l’essentiel des variations positives de l’emploi industriel dans les espaces métropolitains.
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Ces nouvelles dynamiques soulèvent de nombreux enjeux [dans ces espaces déjà fortement sous pression foncière] et démographique à l’image de villes comme Montpellier, Toulouse, Nantes ou Bordeaux, d’autant qu’aucune métropole n’est intégrée à la politique des territoires d’industrie menée par le gouvernement français. Mais d’autres territoires apparaissent également stratégiques.
Les atouts pluriels des villes moyennes
En 2019, les villes moyennes françaises (ou aires d’attraction comprises entre 50 000 et 200 000 habitants), plus traditionnellement associées à une dynamique industrielle, concentrent 16 % de l’emploi total, mais 21 % de l’emploi industriel.
Sur la période 2016-2019, elles ont contribué à 21 % du regain industriel en France. Leur dynamisme est d’autant plus remarquable que leur spécialisation sectorielle a plutôt tendance à les pénaliser. On y observe par exemple un recul de l’industrie automobile ou encore de la fabrication de produits en caoutchouc et en plastique dans lesquelles elles sont très souvent spécialisées.
Nombre de ces villes moyennes continuent à être sévèrement touchées par la désindustrialisation, mais celles qui parviennent à rebondir enregistrent une croissance rapide de l’emploi industriel. Plus précisément, près de 60 % des aires de cette taille se réindustrialisent. Les secteurs qui portent cette dynamique sont l’industrie alimentaire, la fabrication de matériel de transport, de machines ou bien encore l’industrie pharmaceutique.
La permanence de l’industrie rurale
Enfin, l’une des caractéristiques de l’industrie française tient dans son maintien en milieu rural. 27 % de l’emploi dans les espaces ruraux sont encore industriels, pour 16,5 % en moyenne en France. Ce maintien s’explique par plusieurs facteurs parmi lesquels la disponibilité foncière, la main-d’œuvre spécialisée, l’organisation industrielle autour d’un tissu dense de petites et moyennes entreprises (PME) ou bien encore des effets de proximité sectorielle et géographique favorisant la présence, par exemple, d’une industrie agroalimentaire. La hausse des emplois industriels reste néanmoins modérée, et contribue à hauteur de 5 % des variations positives observées depuis 2016.
Des complémentarités territoriales
Même si ces quelques résultats soulignent la place prépondérante des villes dans ces dynamiques de relance industrielle, on sait que les effets de taille n’expliquent pas tout. Les cartes européenne et française soulignent les effets régionaux, auxquels s’ajoutent des effets sectoriels.
Les premiers sont notamment conditionnés par les dynamiques démographiques, qui bénéficient aux territoires de l’Ouest et du Sud. Les seconds s’expliquent par l’histoire nationale et locale, ainsi que par les atouts différenciés des territoires (ressources matérielles et immatérielles, savoir-faire spécifiques, infrastructures, etc.).
L’ensemble de ces éléments témoigne de la diversité des richesses territoriales mais aussi, et surtout, d’une grande complémentarité entre les différents types d’espace. Il apparait donc nécessaire d’organiser, au niveau national et régional, la mise en cohérence des échelles d’action pour mener à bien la politique de relance industrielle. Tous les territoires ont en effet un rôle à jouer, des plus grandes villes aux espaces de faible densité dans une logique de complémentarité, de réciprocité équitable et de gestion durable des ressources.
Marjolaine Gros-Balthazard, Géographe, Maîtresse de conférences, laboratoire Pacte, Université Grenoble Alpes (UGA) et Magali Talandier, Professeure des universités en études urbaines, Université Grenoble Alpes (UGA)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.