Les vies d’Adrien Conus

16 juin 2022

Temps de lecture : 4 minutes

Photo : Un canon 25-pdr australien à El Alamein en juillet 1942

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Les vies d’Adrien Conus

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Pierre Servent livre une biographie d’Adrien Conus (1900-1947), soldat à Bir Hakeim et en Indochine, voyageur et combattant à la vie mouvementée et riche.

 Pierre Servent. Les sept vies d’Adrien Conus. Paris, Perrin, juin 2022, 363 pages.

Bien avant que n’éclate la guerre d’Indochine lors de l’insurrection vietminh de décembre 1946, le Comité français de libération nationale (CFLN) puis le Gouvernement provisoire de la République française (GPRF) mettent en œuvre les faibles moyens militaires et logistiques dont ils disposent pour participer à la lutte des Alliés contre les Japonais en Extrême-Orient et rétablir la souveraineté française en Indochine. Dans ce but sont créées fin 1943 les Forces expéditionnaires françaises en Extrême-Orient (FEFEO), placées sous le commandement du général Blaizot, et mis sur pied en Algérie le Corps léger d’intervention (CLI), commandé par le lieutenant-colonel Huard et rebaptisé ultérieurement 5e régiment d’infanterie coloniale. Fin 1944, les services spéciaux de la France combattante (DGSS et, plus tard, DGER) sont également mis à contribution pour constituer des commandos parachutés, chargés de lever et encadrer des groupes de guérilla anti-japonais en Cochinchine, en Annam, au Tonkin, au Laos et au Cambodge. Les maigres ressources disponibles en cadres et hommes de troupe expérimentés sont également rassemblées tant bien que mal sous l’égide de quelques officiers particulièrement aguerris et pugnaces. En faisant appel dès le début 1945 aux volontaires qui acceptent de les rejoindre, le capitaine de corvette Ponchardier et le lieutenant-colonel Conus créent, chacun de leur côté, les plus emblématiques de ces commandos jetés dans le brasier naissant du soulèvement nationaliste vietnamien, alimenté en partie par les combattants japonais refusant de déposer les armes. Dans Les sept vies d’Adrien Conus, Pierre Servent retrace le parcours étonnant de ce chef intrépide et prestigieux.

De la Russie à Bir Hakeim

Une vie brève (1900-1947), mais extraordinairement remplie. Un personnage hors norme, échappé de Bir Hakeim, rescapé du Vercors, chef d’un commando mythique des premiers combats d’Indochine. En dépit de son destin d’aventurier et de corsaire de la République, Adrien Conus fut d’abord un soldat, puis un officier au patriotisme inébranlable, celui que ses instructeurs britanniques qualifièrent de « bon leader, du genre qui n’abandonne jamais ». Né en Russie tsariste, éduqué en France après la révolution bolchevique, chef de village en Afrique, passé par le BCRA et la dure sélection du SOE à l’âge où d’autres envisagent déjà l’adieu aux armes, il fut d’abord ingénieur, métallurgiste et géologue, chasseur de grands fauves, braconnier et orpailleur, avant de se vouer corps et âme au service de la France.

Nul autre que P. Servent n’était mieux placé, par sa connaissance de l’histoire militaire contemporaine et de la psychologie des chefs de guerre, pour retracer d’une plume alerte les exploits et les vicissitudes qui émaillèrent la carrière du lieutenant-colonel Conus. Contrairement au livre, dans cette brève notice tout n’est pas dit ni même suggéré de ce que fut l’existence impatiente et tourmentée de cet agent secret et moderne condottière dont le lecteur découvrira avec étonnement les tours et détours.

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À l’instar de Kessel, de Bourgoin et de quelques autres Compagnons de la Libération, l’auteur ne ménage pas sa sympathie pour le combattant à la volonté et à la résilience invraisemblables, mais il sait aussi prendre ses distances pour faire la part du mythe et celle de l’ombre qui entoure un commando créé de toutes pièces par Conus avec des hommes choisis par lui (et dont les vingt ou trente premiers totalisaient avant leur départ pour l’Indochine, entre autres décorations françaises et étrangères, trois croix de Compagnons de la Libération, cinq Légions d’honneur, des médailles militaires, des médailles de la Résistance, des médailles des évadés à foison et une centaine de citations sur les croix de guerre 1939-1945), éperdument audacieux et méprisant tous les dangers, y compris celui d’une réputation quelque peu sulfureuse. Guerrier ingénieux et farouche, indépendant et rebelle, peu enclin à respecter l’autorité simplement hiérarchique et les tutelles non librement consenties, Conus se montra souvent aussi courageux qu’indomptable et irrévérencieux, s’exagérant peut-être la protection que lui valaient auprès de plusieurs généraux son incontestable aura et ses mérites personnels.

Usage de sources multiples

Cet ouvrage n’est pas seulement le fruit d’importantes investigations dans des fonds publics et privés, d’entretiens et de consultations d’archives familiales, notamment dans la parentèle des Conus, Rakhmaninov, Chtchoukine et Delocque-Fourcaud. Ce n’est pas uniquement une biographie haletante, traversant allègrement époques et continents, le récit équilibré et agréable à lire d’une saga des grandeurs et des misères de la France dans l’atmosphère de la guerre et des colonies. C’est surtout le résultat d’un exercice rigoureux de remise en perspective raisonnée, aussi claire que précise, du roman d’une vie aux prémices de la libération du territoire puis de la décolonisation. La création et l’évolution des services spéciaux français à Londres et Alger, les relations souvent difficiles entre Alliés, le soutien parfois controversé à la Résistance y sont évoqués pour ainsi dire in situ. La part faite aux combats n’étouffe pas l’analyse des origines, du climat russe et familial dans lequel a grandi et s’est formé le héros, la narration de ses passions et de ses déboires. Pour Conus, prédateur de grands fauves et grand fauve lui-même, la fin semblait toujours justifier les moyens et on ne peut donc parler d’humanité du personnage, en dépit de la sensibilité du musicien qu’il était également depuis l’enfance. Dans ce portrait en finesse d’un grand chef, la stature du guerrier et du chef de bande n’éclipse pas l’homme, ses talents innombrables, sa soif de vivre et de vaincre, sa fidélité à un idéal.

Concernant en particulier l’histoire des services spéciaux français de toute cette période, les informations sont puisées aux meilleures sources actuelles, tant ouvertes que secrètes. Les notes touchant à la chronologie des événements, aux organismes militaires et politiques, à la personnalité et à la biographie des protagonistes connus ou moins connus sont abondantes et bienvenues, très informatives car impeccablement renseignées. Au total, un excellent livre pour tous les amateurs d’histoire militaire, férus ou non d’actions d’éclat et d’opérations en coulisse, et aussi un instrument de référence.

Pour ceux qui voudraient en savoir davantage sur une opération menée derrière les lignes allemandes en avril 1945 par le premier commando Conus et dont il est bien évidemment question dans le livre de Pierre Servent, signalons également la parution récente de l’ouvrage de Franck Lambert sur La mission Croc et le commando A 220 (Service Action. Allemagne 1945) aux Éditions Sophia Histoire et Collections.

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Gaston Erlom

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