Daisy Boscolo Marchi
Au cours des douze derniers mois, l’Europe a atteint les 100 milliards de dollars investis dans son industrie technologique. Avec des niveaux d’investissement « early stage » pour la première fois égaux à ceux des États-Unis, l’industrie technologique européenne se développe plus rapidement qu’avant la pandémie. Et l’Italie participe à cette croissance en dépassant pour la première fois le seuil du milliard d’euros investis dans les start-up. Même si ce chiffre – en comparaison avec d’autres pays européens comme la France ou l’Allemagne – reste faible, cette croissance est un signe important de la valeur que les start-up ont acquis en Italie, dix ans après la promulgation de la première loi italienne destinée à réglementer ce secteur.
Au cours des dix dernières années, le nombre de start-up innovantes présentes dans le pays n’a cessé de croître. Désormais, leur poids spécifique au sein de la famille plus large des nouvelles sociétés par actions a également augmenté régulièrement, signe que la création d’une start-up innovante en Italie est de plus en plus convoitée. À y regarder de plus près, c’est tout l’écosystème de l’innovation qui a pu prospérer avec une certaine continuité, même durant la pandémie. Si on analyse la chronologie en correspondance avec la phase la plus critique de la pandémie et si on compare les données de juin 2021 avec celles de décembre 2019, il n’y a pas seulement eu une augmentation du nombre de start-up et de la valeur de la production globale, mais aussi une augmentation d’autres acteurs de l’innovation, tels que les PME innovantes et les incubateurs.
Comment l’écosystème italien des start-up innovantes a changé au cours des dix dernières années
En 2021, l’Italie a célébré la dixième année du lancement de la première loi italienne dédiée aux start-up, le décret de croissance 2.0, promulgué en 2012 par le ministre du Développement économique de l’époque, Corrado Passera. Depuis, le monde des start-up a bien évolué. En effet, au cours de ces dix années les start-up ont été préservées et plusieurs interventions ont tenté d’affiner la politique initiale et d’étendre certaines des mesures initialement réservées aux start-up à d’autres types d’entreprises. Au cours de cette décennie, nous avons vu les investissements augmenter progressivement, mais régulièrement, notamment grâce à l’utilisation de l’equity crowdfunding (qui vaut aujourd’hui 100 millions), ainsi qu’une croissance de la communication relative au monde des start-up sur les réseaux sociaux et les médias. L’Italie a également vécu la naissance de l’important fonds « Cassa Depositi e Prestiti Venture Capital » qui met aujourd’hui à la disposition des start-up neuf fonds d’investissement.
Malgré deux ans de pandémie, le résultat de ce long travail est positif : en 2021, en Italie ont été investis plus de 1,3 milliard d’euros dans les start-up innovantes. Même si ces chiffres restent faibles en comparaison avec nos voisins européens, force est de constater que le secteur des start-up innovantes en Italie enregistre depuis des années une très bonne dynamique en termes de croissance. Les données au 1er octobre 2021 nous indiquent que les start-up innovantes en Italie sont 14 032, soit 540 de plus que dans l’avant-dernier rapport de juillet 2021. Elles représentent 3,6 % de toutes les sociétés par actions récemment créées. L’Italie a réussi à réduire significativement l’écart existant entre lui et ses voisins européens, malgré le fait que la taille de son écosystème corresponde encore à environ un huitième de celui de la France, un sixième de celui de l’Allemagne et à trois cinquièmes des Espagnols.
Plus de 1 milliard pour les start-up italiennes en 2021
Les investissements de 1.3 Mds€ prennent en compte les rounds d’investissements, le financement participatif et les investissements des business angels. Il s’agit d’un chiffre record, si on le compare aux chiffres des cinq dernières années : sur l’ensemble de 2020, les investissements totaux dans les start-up n’avaient pas dépassé les 700 millions, en 2019 ils étaient de 723 millions, 522 millions en 2018 et seulement 136 millions en 2017. Sur les 193 rounds d’investissements en 2021, 115 (soit 60 %) s’avèrent être des premiers tours, c’est-à-dire le tout premier investissement d’une start-up. Cette valeur est en parfaite adéquation avec celle enregistrée l’année dernière, lorsque les premiers rounds étaient 94 (soit 55 % des rounds de 2020). La moyenne des investissements au premier round est passée de 4,7 millions en 2020 à 4 millions en 2021, enregistrant ainsi une légère baisse. La forte croissance de cette année s’explique donc davantage par l’évolution des investissements collectés lors des rounds d’investissements suivants : en effet, en 2021, ces derniers ont enregistré une moyenne de 12 M€ par round, contre 9 M€ en 2020.
Les investissements des acteurs institutionnels (fonds de gestion d’actifs diversifiés, fonds de capital-investissement, entreprises publiques ou privées prenant des participations financières, fonds souverains) confirment leur rôle traditionnel de leader pour l’ensemble de l’écosystème grâce à une croissance significative de l’ordre de 96 %, passant de 294 millions d’euros en 2020 à 576 millions en 2021. C’est le secteur des investisseurs formels qui a joué le rôle d’acteur fondamental pour l’écosystème italien. C’est donc grâce aux investisseurs institutionnels que l’Italie, après une année particulièrement difficile en 2020, a réussi à réaliser une augmentation de +118 % sur l’ensemble des investissements.
Mais les investissements des acteurs informels (qui incluent les incubateurs de capital-risque, les family offices, les business angels indépendants) ont également eu une belle performance et ont enregistré une croissance de plus de 92 %, passant de 245 millions d’euros en 2020 à 449 millions d’euros en 2021. Cette augmentation reflète la tendance à la croissance de l’écosystème et confirme la forte importance du secteur informel pour le tissu commercial italien aux côtés du secteur formel.
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Le secteur du financement participatif est lui aussi concerné par la forte croissance. Les chiffres parlent d’une collecte totale de plus de 126 millions d’euros, contre environ 76 millions en 2020. Les protagonistes du financement participatif italien ont été les 54 plateformes autorisées par la Commission nationale des entreprises et de la Bourse (Consob). Environ 186 campagnes de financement participatif ont été lancées et clôturées avec succès depuis ces plateformes, un nombre supérieur à celui de 2020, avec une différence substantielle : l’augmentation des campagnes ayant atteint leur objectif, 89,6 % cette année, contre 78,1 % en 2020, signe d’un marché qui gagne en maturité grâce à des plateformes qui travaillent bien sur la sélection de projets plus en phase avec les caractéristiques de leurs investisseurs.
Un signal de ce fort dynamisme est aussi le fait que de plus en plus de fonds étrangers décident d’investir dans des start-up italiennes : les capitaux attirés vers l’écosystème des start-up high-tech par les acteurs étrangers en 2021 proviennent principalement des États-Unis (74 %), suivis de l’Europe (25 %) et dans une moindre mesure de l’Asie (0,43 %).
En ce qui concerne les secteurs des investissements, la plupart s’adressent aux start-up du secteur des TIC. Mais des flux importants soutiennent d’autres secteurs à l’âme de plus en plus technologique : celui des services financiers et de la santé. Le marché italien est particulièrement séduisant dans les Fintech : dans le classement des rounds 2020 d’au moins 10 millions, le podium est entièrement occupé par les start-up engagées dans le développement de ces services, comme les entreprises Satispay, SupplyME et AideXa.
L’écosystème des start-up et ses ombres
Mais les experts voient les ombres aussi bien que la lumière. Le résultat de cette année permet à l’Italie de rattraper son retard sur les principaux pays européens en ce qui concerne le volume des investissements annuels, mais il est nécessaire de rendre structurelle l’injection de liquidités de l’ordre de plusieurs milliards d’euros dans l’écosystème, afin d’amorcer un cercle vertueux qui génère un marché capable de croître de manière autonome. Les start-up opérant au sein des pays européens les plus développés de ce point de vue sont soutenues par un marché de capital-risque public/privé qui collecte des dizaines de milliards par an ; il est donc essentiel de réduire cet écart de plus en plus. En ce sens, 2021 a représenté une année d’espoir, de confirmation et d’évolution, comme en témoigne l’excellent résultat obtenu par l’écosystème italien. Le tissu des start-up, les entreprises, les fonds, les business angels, et bien d’autres acteurs du jeu ont montré que l’environnement économique italien sait s’adapter au contexte d’urgence et aux évolutions technologiques.
Le deuxième point d’attention concerne l’évolution socio-démographique de la population de startupers qui nous donne une photographie qui est tout sauf dynamique. Si, comme on pouvait s’y attendre, la population des startuppers est en moyenne plus jeune que celle des autres sociétés par actions, il n’en est pas moins vrai que, parmi les postes décisionnels du monde des start-up innovantes, la composante féminine (18 %) est encore plus marginale qu’elle ne l’est déjà dans d’autres types d’entreprises (21 %). La répartition territoriale des start-up innovantes reflète également une autre lacune importante présente dans notre pays. À quelques exceptions près, la localisation des lieux de l’innovation italienne – ainsi que des investissements – propose à nouveau le thème d’un pays à deux vitesses, d’un Nord et d’un Sud encore trop éloignés. Un regard sur les dix provinces italiennes avec la plus forte densité de start-up résume la question : Trente, Milan, Pordenone, Ascoli Piceno, Cuneo, Bologne, Udine, Padoue, Pise, Trieste.
La dynamique positive avec les start-up françaises
En 2021, nous constatons également une très bonne dynamique entre les start-up françaises et italiennes.
Par exemple, Doctolib, scale-up français leader européen de la e-santé, a racheté Dottori.it, plateforme italienne dédiée à la réservation des examens et rendez-vous médicaux. Doctolib propose aujourd’hui une expérience partagée par 60 millions de personnes et 300 000 professionnels de santé. Déjà présente en France et en Allemagne, la scale-up est désormais arrivée en Italie où elle prévoit d’investir 250 millions d’euros, de construire un nouveau Tech Center à Milan et d’embaucher 500 personnes. Dottori.it, également née en 2013 de l’idée d’un groupe d’entrepreneurs expérimentés dans le monde du web, dont Silvio Pagliani, l’un des fondateurs d’immobiliare.it, avait déjà levé 3,5 millions d’euros. Dirigé par la PDG Angela Maria Avino, Dottori.it a acheté en juillet dernier 50,1 % d’Appocrate, qui crée des solutions numériques pour les moyens et grands établissements de santé. Avec l’acquisition de Dottori.it, acteur majeur de la prise de rendez-vous médicaux en ligne en Italie, Doctolib s’adosse à une équipe de 120 personnes. Dottori.it comptabilise plus de deux millions de visites de patients par mois auprès d’un réseau de milliers de professionnels de santé, de centaines de centres de santé et de dizaines d’hôpitaux.
Toujours en 2021, la start-up française Phenix a annoncé l’acquisition de l’italienne Myfoody pour renforcer la lutte contre le gaspillage alimentaire en Europe. La start-up Phenix née en 2014 est aujourd’hui présente en Espagne, au Portugal, en Belgique et en Italie. L’acquisition de Myfoody fait partie des objectifs de l’entreprise, qui est de sauver plus de 450 000 repas par jour et d’être présent dans dix pays européens d’ici 2023. Myfoody a été la première start-up italienne active dans la lutte contre le gaspillage alimentaire. L’application permet de se renseigner sur les produits périmés dans les supermarchés, remisés jusqu’à 50 %, et de faire des courses zéro déchet. Cette caractéristique lui a valu le prix Federdistribuzione 2019 de la meilleure solution en Italie contre le gaspillage alimentaire.
En ce qui concerne les acquisitions des start-up italiennes en France, il y a l’exemple de Tannico qui poursuit sa trajectoire de croissance avec une opération de premier plan sur le marché français, où un accord a été trouvé pour l’acquisition d’une participation majoritaire dans Vente à la propriété, une société de commerce électronique fondée en 2008 et active sur le marché intérieur de la vente de vins haut de gamme, qui a clôturé 2020 avec un chiffre d’affaires de plus de 34 millions d’euros. Le rachat de Vente à la propriété s’est fait par des fonds propres, grâce à une augmentation de capital de 32 millions d’euros réservée aux actionnaires actuels de Tannico, dont Campari Group, qui détient 49 % et qui a pris l’engagement de souscrire jusqu’à 100 % de cette augmentation de capital. L’acquisition de la société française s’inscrit dans le projet de croissance déjà entamé par Tannico, et qui a vu le lancement de Tannico Express, une application de livraison de vins et spiritueux à bonne température en trente minutes ; Tannico Flying School – Online, une plateforme de parcours vidéo pour se rapprocher du monde du vin et satisfaire la curiosité des amateurs de vin, et l’ouverture du Tannico Wine Bar à Milan.
Toujours en 2021, l’italienne Namirial (leader des logiciels et services de confiance numérique) start-up de propriété d’Ambienta (l’un des plus importants investisseurs européens entièrement axé sur la durabilité environnementale) a également finalisé l’acquisition de la regtech montpelliéraine Netheos, spécialisée dans les solutions de vérification d’identité à distance et de digitalisation des parcours d’entrée en relation. Outre la mutualisation de leurs technologies, Netheos vise l’accélération de son déploiement en Europe et Namirial de son implantation en France et dans les pays francophones.
Ce ne sont que quelques-unes des opérations qui démontrent le dynamisme et le potentiel des start-up franco-italiennes, et des futures synergies qui pourraient en découler, en particulier à la lumière du nouveau traité du Quirinal entre Rome et Paris.
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