L’entreprenariat suscite un grand enthousiasme de nos jours. Il existe des entrepreneurs sociaux, intellectuels, éducatifs, et même des « intrapreneurs » (des entrepreneurs au sein de leurs propres entreprises).
Par Michael Matheson Miller. Chercheur et directeur des médias à l’Acton Institute. Ses films comprennent Poverty Cure, The Good Society, et Poverty, Inc., qui a reçu de nombreux prix cinématographiques.
Article original paru dans Acton Institute. Traduction d’Acton.
Des entrepreneurs tels que Steve Jobs et Bill Gates ont été érigés en citoyens modèles. Des magazines tels qu’Entrepreneur et Fast Company valorisent constamment la culture de l’entreprenariat. Les présidents américains successifs Barack Obama et Donald Trump (figure entrepreneuriale s’il en est) ont multiplié les initiatives et politiques visant à promouvoir et à rendre hommage aux entrepreneurs. En résumé, ces derniers ont la cote.
Qu’est-ce que l’entreprise ?
Cette évolution est de manière générale positive, mais je crains qu’elle ne soit superficielle. Tandis que certaines images actuelles de l’entrepreneur individualiste radical affranchi des notions de bien et de mal – telles que celles véhiculées dans les films The Social Network ou Le loup de Wall Street – peuvent être dangereuses, les entrepreneurs jouent dans la société un rôle essentiel qu’il convient de saluer. Ce qui fait souvent défaut, néanmoins, est l’appréciation des fondements moraux et institutionnels qui permettent le développement d’une culture d’entreprise.
A lire aussi : Les start-up innovantes en Italie : les chiffres de 2021 et les perspectives de croissance
Les entrepreneurs ne surgissent pas spontanément de nulle part. Ils ne sont pas non plus des sortes de surhommes transcendant la culture qui les entoure. Ils ont plutôt besoin de fondements institutionnels et culturels, sans lesquels ils ne peuvent émerger. Prenons par exemple le cas des pays pauvres dans le monde en développement. Comme l’économiste péruvien Hernando de Soto l’a noté, le monde en développement « regorge d’entrepreneurs ». Pourquoi dès lors ces pays demeurent-ils si pauvres ? Ce n’est pas comme si les gens manquaient d’esprit entrepreneurial. Ce qui leur manque est le fondement qui leur permet de développer leurs capacités entrepreneuriales et de les convertir en entreprises prospères, créatrices de richesse.
Les entrepreneurs prennent des risques, ils voient des opportunités que les autres ne voient pas, et les transforment en entreprise. Cela ne va peut-être pas de soi, mais cette prise de risque requiert des fondements sociaux stables. Les entrepreneurs ont besoin de savoir que le sol est solide avant de se risquer à sauter. Ces fondements comprennent l’État de droit, des droits de propriété clairs, la liberté d’association, d’échange, ainsi que des familles et communautés fortes qui favorisent une culture de la confiance. En Occident, nous considérons ces fondements comme allant de soi, tels des poissons dans l’eau. Mais sans eux, l’esprit d’entreprise se tarirait. Revenons sur quelques-uns d’entre eux.
A lire aussi : La fin du dieu dollar ?
La propriété privée. Les droits de propriété clairs sont essentiels à l’entreprenariat. Dans certains pays en développement, plus de 50% des terres n’ont pas de titre de propriété clair. Sans propriété, les gens sont rétifs à apporter des améliorations car leur travail pourrait leur être retiré. Sans ce titre de propriété, ils ne peuvent utiliser leur terre comme nantissement pour un prêt leur permettant de lancer leur entreprise. Imaginez combien d’entreprises aurions-nous aux États-Unis si nous ne pouvions savoir avec certitude qui possédait le terrain sur lequel l’entreprise était basée. Pensez-vous que l’on investirait beaucoup d’argent dans son développement ? L’Église catholique a toujours insisté sur l’importance des droits de propriété privée, et pas uniquement pour des raisons économiques. Dans sa défense de la propriété privée dans Rerum Novarum, le pape Léon XIII souligne l’importance de la propriété afin de permettre aux familles de disposer de l’espace nécessaire pour vivre leur liberté et leurs responsabilités.
L’État de droit. L’État de droit est l’opposé du droit des hommes. Cela veut dire qu’il existe des règles claires et transparentes que tout le monde observe. Combien d’entrepreneurs prendraient le risque de lancer une nouvelle affaire s’ils ne pouvaient être certains que les contrats seraient respectés ? Encore une fois, la prévisibilité et la justice sont des prérequis pour la prise de risques.
La Libre association. Dans sa défense des nouveaux ordres mendiants, saint Thomas d’Aquin soutenait en 1256 que la liberté d’association était un droit naturel. Léon XIII s’est appuyé sur ce principe pour défendre les syndicats dans Rerum Novarum, et il s’applique aussi aux entreprises, universités et autres associations volontaires qui forment la société civile. Lorsque les lois et régulations rendent difficile la création et le maintien d’une entreprise, cela nuit à la fois à la liberté et à l’entreprenariat. Il existe une importante corrélation entre liberté économique et prospérité.
Le libre-échange. Lorsque les personnes ont la liberté d’acheter et de vendre sur un marché (en partant du principe qu’il ne s’agit pas de quelque chose de moralement mauvais, bien entendu), cela incite les entrepreneurs à bâtir des entreprises. Lorsque les marchés sont restreints, ce sont généralement les entreprises les plus grandes et les plus influentes qui convainquent les gouvernements de protéger leurs industries et d’exclure la concurrence. Non seulement cela étouffe les petites et moyennes entreprises, mais cela nuit également aux pauvres qui sont sans influence politique ni économique.
Culture de la confiance. Les économies de marché qui permettent aux entrepreneurs de prendre des risques et de se développer ne résistent pas longtemps si elles reposent sur le type d’entrepreneur individualiste radical dépeint dans les réseaux sociaux. Les économies de marché durables requièrent de solides niveaux de confiance et d’honnêteté, faute de quoi les coûts de transaction augmentent et l’entreprenariat se tarit. Cette culture de la confiance et les vertus humaines qui la sous-tendent ne sont pas créées par l’économie de marché elle-même. Elles sont développées au sein de familles fortes, des cultures religieuse et morale riches, ainsi que de vibrantes sociétés civiles.
Tels sont les fondements de l’esprit d’entreprise. Les hommes et femmes d’affaires doivent diriger en les comprenant, en les expliquant et en les défendant. L’esprit d’entreprise fait partie de l’esprit occidental – il est inscrit dans nos gènes, mais cela ne durera pas sans le capital institutionnel et spirituel qui lui donne vie.