Alors que l’offensive russe en Ukraine marque le retour de la guerre aux frontières de l’Europe, un nouvel essai de la collection Rubicon des Éditions Équateurs analyse les enjeux des conflits modernes. Le volume regroupe des contributions stimulantes d’experts et de militaires, toutes issues de la plateforme d’analyse de questions internationales Le Rubicon, pour comprendre les formes contemporaines de la conflictualité.
Les nouvelles formes de guerre, Coll. « Le Rubicon », Ed. Les Équateur, 144 pages, juin 2022.
De fait, la guerre est un phénomène « protéiforme ». Certes, « sa nature reste la même, un acte de violence destiné à contraindre autrui et à le soumettre à une volonté » expliquent Julian Fernandez, Jean-Baptiste Jeangène Vilmer et Justin Massie dans l’introduction, paraphrasant le stratège prussien Clausewitz[1]. Le conflit en Ukraine, que d’aucuns qualifient de guerre de « haute intensité » – une caractérisation qui mériterait d’ailleurs d’être plus amplement discutée – en est la plus récente l’illustration. Le sujet, abordé ici sous l’angle du droit humanitaire par la juriste Julia Grignon, avait d’ailleurs fait l’objet d’un recueil de textes du Rubicon paru en avril 2022 (Ukraine, le choc de la guerre, éd. Équateur).
Même si, comme le rappelle Raymond Aron, « la guerre est bien de tous les temps historique et de toutes les civilisations »[2], la permanence du phénomène ne saurait masquer ses métamorphoses et la multiplicité de ses modalités. On ne fait plus tout à fait la guerre comme autrefois : cette activité humaine, peut-être la plus vieille et la plus éternelle, se transforme progressivement, que ce soit au niveau des techniques employées, des acteurs impliqués ou des buts poursuivis. Des nouvelles technologies et du cyber à la lutte informationnelle et « l’arsenalisation des récits » en passant par la guerre cognitive et les actions clandestines, le spectre des domaines de conflictualité devient de plus en plus large tandis que la notion gagne en complexité.
De nos jours, le triptyque « compétition, contestation et affrontement » invoqué par le chef d’état-major des armées, le général Thierry Buckhard, dans sa « Vision stratégique » publié en octobre 2021 subvertit les frontières traditionnelles entre guerre et paix. À l’heure où la contestation cède de plus en plus à l’affrontement, il importe de mieux cerner les mille visages de la guerre. Les « opérations hybrides » ou « sous le seuil » contribuent à brouiller les repères, comme l’explique Olivier Schmitt, directeur des études et de la recherche à l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN). L’objectif est désormais de « gagner la guerre avant la guerre », leitmotiv repris au sein des plus hautes sphères de l’armée française[3] et titre éponyme de la contribution du général de corps d’armée Benoît Durieux. L’expression envahit désormais les domaines juridique, économique, industriel et culturel, et reflète ces nouvelles réalités stratégiques.
Les enjeux analysés dans le recueil sont variés et touchent aussi bien la mobilisation des militaires dans la « guerre » sanitaire livrée au virus que l’utilisation des réfugiés comme armes contre l’Occident, le défi de la formation des officiers ou le déploiement de mercenaires tels que ceux du groupe Wagner sur le théâtre sahélien, autant de facettes qui dessinent les contours de ce phénomène en mutation qu’est la guerre. Les contributions de ce livre offrent des éclairages pertinents, illustrés d’exemples concrets et assortis d’une riche infographie pour en cerner les évolutions les plus récentes.
[1] Voir Carl von Clausewitz, De la guerre, Paris, Perrin, 1999, p. 31.
[2] Raymond Aron, Paix et guerre entre les nations [1962], Paris, Calmann-Lévy, 2004, p. 157.
[3] État-major des armées, « La vision stratégique du chef d’état-major des armées », ministère des Armées, octobre 2021 [https://www.defense.gouv.fr/sites/default/files/ema/211022_EMACOM_VisionStrategiqueCEMA_FR_Vdef_HQ%20%282%29.pdf].