Le souvenir de la Seconde guerre mondiale, ne s’est pas éteint, il alimente même une polémique historique, portant sur son déclenchement, qui oppose, entre autres, Russie et Pologne. Ce n’est pas cet aspect, que traite la pléiade d’auteurs qui ont contribué à ce riche ouvrage, mais les mythes tenaces qui se sont perpétués durant son déroulement, et qu’ils remettent à leur juste place.
Fut-ce l’effet de la propagande des divers belligérants qui a ainsi déformé les faits en les réduisant souvent à des idées réductrices ? Un des articles est consacré au rôle de la propagande, souvent grossière, qui a accompagné le déroulement des combats. Ainsi en fût-il de la défaite de Stalingrad – un des tournants de la guerre – que Goebbels a dépeint en victoire allemande ! Bien d’autres mythes beaucoup plus fins sont passés en revue, comme celui des « 75 000 fusillés » que le Parti communiste a revendiqué, alors que le chiffre réel n’est que de 5000 ! De même ce ne sont pas 100 000 victimes qui sont tombées, durant les cinq semaines de la bataille de France (mai-juin 1940), mais plutôt 52 000 ou 60 000. Certes le chiffre « rond » de 100 000 avait le mérite de montrer la bravoure et l’ardeur au combat du soldat français, mais il s’est avéré en définitive contre -productif, au vu des pertes annoncées par la Wehrmacht de 23 000. En réalité en comptant les disparus il s’est agi de 40 000 morts, ce qui établit un rapport de 1 à 1,5 et non de 1 à 4 comme le présentaient les chiffres des états-majors. De même la Luftwaffe n’a nullement gagné la bataille de l’Angleterre : le Fighter Command disposait de plus de pilotes de chasse que son adversaire : 300 en juillet, 500 en août, 700 en septembre, et Hitler y mit fin en octobre.
Bien des idées reçues portent sur le conflit germano-soviétique, qui mit aux prises, le 22 juin 1941, 3,3 millions soldats de l’axe contre 2,9 millions de Soviétiques. Non, Hitler n’a pas devancé une attaque de Staline, qui au contraire a intimé à l’Armée rouge de ne rien faire qui pût provoquer l’Allemagne, alors que Joukov voulait lancer une offensive le 15 juin afin de perturber les corps d’armée massés aux frontières de l’URSS. Non, ce n’est pas le général Hiver – une légende qui date de Voltaire décrivant la guerre de Charles XII contre Pierre le Grand –, qui a empêché Hitler de prendre Moscou en octobre, mais bien les erreurs de la Wehrmacht qui avait gravement sous-estimé son adversaire sur des bases raciales. Un seul exemple, en juin 1940, Goering avait aligné 4000 appareils opérationnels, le 22 juin il n’en alignait que 2815, près d’un tiers de moins !
Autre mythe encore plus grand, celui de la victoire japonaise de Pearl Harbor. Ce raid, l’un des plus audacieux de tous les temps (Tokyo se trouve à 6200 km d’Honolulu), mené par 28 navires (dont 6 porte-avions portant 414 avions) et 23 sous-marins, n’a abouti à la mise hors de combat définitive que de deux cuirassés en préretraite, d’un navire-cible et temporaire de trois autres cuirassés, également obsolètes. Aussi la marine japonaise ne s’est pas révélée aussi redoutable que cela, alors que le Pacifique n’a nullement été un théâtre secondaire.
Que d’autres articles tout aussi suggestifs, sur le rôle des bombardements alliés qui auraient vaincu l’Allemagne. En vérité, c’est l’arrivée de bataillons terrestres qui l’a abattue, alors que les armes miracles qu’elles préparait n’ont pas été utilisées ou relevaient du mythe.
Autre article intéressant qui démonte un mythe persistant : ce ne sont pas les bombes de Hiroshima et de Nagasaki qui ont conduit à la capitulation japonaise, mais bien l’offensive éclair de l’Armée rouge, déclenchée le 8 août 1945 conformément à l’engagement pris par Staline à Potsdam, contre l’armée du Kwantung basée en Mandchourie qui ont conduit Hiro Hito à demander l’armistice le 15 août. Au surplus, en mettant en pièce cette armée d’élite, les Soviétiques ont libéré les Américains de leur hantise de voir l’armée du Kwantung transférée de Mandchourie et se retrancher au Japon. Staline a été peu récompensé de cet effort car il n’a guère été associé à l’occupation du Japon que les Etats-Unis se sont entièrement réservés. C’est bien l’une des causes de l’effritement de la Grande Alliance à trois qui alimentera la suspicion croissante entre Truman et Staline à l’origine de la guerre froide.
Enfin, un dernier article montre bien que ce n’est pas à la conférence de Yalta du 4 au 11 février 1945 -que ne l’a-t-on proclamé pendant des décennies -, que fut opéré le partage de l’Europe. La réalité fut beaucoup plus complexe, mais il était tellement commode d’imputer cette division de l’Europe et du monde aux trois Grands : Roosevelt, Staline et Churchill.
Si le Seconde Guerre mondiale est de jour en jour mieux connue, bien des mythes forgés ou répandus par les grands chefs civils et militaires du Reich comme les dirigeants du Japon ont eu la vie dure. Ce livre collectif fait œuvre utile en débusquant beaucoup d’entre eux. Or ce conflit a été la matrice de notre époque. L’ordre mondial, a été établi dès la fin des hostilités et cet ordre, bien qu’ébranlé, notamment par Donald Trump, s’avère l’un des plus durables des Temps modernes. Plus long que ceux établis par les Traités de Westphalie (1648), le Traité d’Utrecht (1713), la paix de Vienne (1815), ou le Traité de Versailles (1919). Pour Charles Péguy : « L’histoire a les bras longs, mais elle n’a pas de bras ». L’avenir, lui, en a, à condition qu’ils savent se joindre.