Les images du journalisme de guerre depuis 1848

3 juin 2022

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Les images du journalisme de guerre depuis 1848

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Le titre de l’ouvrage est fort juste : raconter la guerre plus que la montrer. Il s’agit pourtant du catalogue d’une exposition photographique qui s’est tenue à Bayeux, en octobre 2018. L’aventure des correspondants de guerre commence en 1848, au Mexique, et s’achève sur deux clichés récents, l’un d’un journaliste en Syrie, l’autre du président Zélinsky, voici deux ou trois ans, casqué, ceint d’un gilet pare-balles, accompagnant la presse sur le front du Donbass.

 Adrien Jaulmes, Raconter la guerre. Une histoire des correspondants de guerre, Paris Les Équateurs, 2021, 288 p.

Cette agréable synthèse livre des illustrations souvent inédites ou, si elles ont déjà fait le tour de la planète, c’est qu’elles ont marqué une inflexion de cette histoire de presse et de batailles. Le plan est chronologique et l’esprit critique jamais négligé.

Rendre compte

Les premiers reportages sont américains et couvrent la guerre du Mexique qui entraîne l’occupation de Mexico, la perte de la moitié du territoire mexicain au profit des États-Unis et le renversement des rapports de puissance à l’échelle du continent. En 1776, les treize colonies représentaient peu de chose face à l’opulente vice-royauté du Mexique. En 1821, le Mexique indépendant se prenait encore pour un empire et New York faisait pauvre figure. La guerre de 1848 inversait définitivement ce rapport de force. Mais ce n’est pas de géopolitique que veut alors rendre compte la presse américaine, dont les principaux acteurs s’entendent pour créer l’Associated Press, c’est d’émotion, de suspense et d’action.

Les correspondants britanniques apparaissent en second, à l’occasion de la guerre de Crimée. La presse illustrée se risque à montrer de premiers cadavres. Les dépêches prennent vingt jours pour arriver à Londres.

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Avec la guerre de Sécession, les moyens changent. On dispose du train, du télégraphe. Mais la photo reste incapable de rendre compte du mouvement et l’on demande à des dessinateurs d’y remédier. Un croquis du champ de bataille, une esquisse des unités, les premiers moments de la charge. Au calme, les ébauches mises au propre seront envoyées à la gravure.

La guerre de 1870, le siège de Paris et la Commune ont été bien couverts. Ont suivi la guerre de Cuba, en 1895, et la guerre greco-turque, en 1897. Au même moment, dans le Nordeste, la république de Canudos — une révolte messianique —, et son écrasement par l’armée brésilienne vont donner au reportage ses lettres de noblesse. L’ingénieur militaire Euclides Da Cunha, envoyé spécial de O Estado de S. Paulo, qui assiste à l’agonie de l’utopie égalitaire en tire Os Sertões (1902), l’un des chefs-d’œuvre de la littérature en langue portugaise.

Le journaliste devient un personnage

Au tournant du siècle, le sensationnalisme de la presse s’affirme. Quels que soient l’enjeu du conflit et la nature des belligérants, les journalistes deviennent des célébrités. Le commandement militaire et les hommes politiques doivent maintenant compter avec ces chroniqueurs qui affichent leur emprise sur l’opinion. La gestation est en train de produire des Rouletabille et des Tintin.

Winston Churchill, correspondant de guerre en Afrique du Sud en 1899, est l’exemple de cette dérive. Aristocrate introduit, officier intrépide, il donne à ses récits l’accent de l’aventure vécue. « En route pour le front […], son train tombe dans une embuscade. Churchill participe à la défense du convoi. Il se débarrasse de son pistolet avant d’être capturé par les Boers. […] Emprisonné à Pretoria, il parvient à s’échapper et gagner le Mozambique… » Le récit de sa capture et de son évasion publié dans le Morning Post lui ouvre les portes d’une carrière politique.

Construire une vision de la guerre

Le premier conflit mondial entraîne une réflexion sur les relations entre la presse et les armées qui créent leur propre service photographique et de cinéma. Les reporters cherchent comment montrer la guerre quand l’objectif ne saisit jamais qu’une parcelle du visible. C’est le moment de premières expériences de photomontage, de photos allusives et de métonymie : plutôt que de saisir un paysage parsemé de cadavres, on montrera l’amas de leurs paquetages abandonnés. La censure s’impose, l’expression « bourrage de crâne » devient commune, comme le discrédit de la presse.

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En même temps qu’apparaît le cinéma de guerre, les reconstitutions de l’événement et les mises en scène commencent. La révolution du Mexique revue par Hollywood a offert à Pancho Villa le moyen de financer ses troupes à condition de livrer des attaques à la bonne lumière, procéder aux exécutions après l’aurore, porter un uniforme dessiné par les studios et rejouer les scènes mal cadrées. Le cinéaste de ses cavalcades était Raoul Walsh à ses débuts.

Il apparaît ensuite que la guerre d’Espagne aurait fait plus que la révolution bolchevique pour idéologiser le reportage. Pourtant Robert Capa, justifiant son cliché le plus connu, ce milicien saisi à l’instant du coup mortel, réduisait son succès aux hasards de l’audience. « L’image exceptionnelle naît dans l’imagination des éditeurs et du public qui la regarde. » Des femmes reporters s’imposent, Gerda Taro, Martha Gellhorn, Virginia Cowles. Des écrivains se croisent dans les hôtels favoris de la presse — Dos Passos, Saint-Exupéry, Hemingway, Kessel.

La Seconde Guerre mondiale montre tout ce que pouvaient réaliser des soldats reporters et l’exemple est repris par le général de Lattre, dont Jacques Chancel disait qu’« il avait compris qu’il devait rendre compte de la guerre comme d’un cinéma permanent dont il nous débitait des tranches à volonté[1]. » Du creuset de la guerre d’Indochine sont sortis Daniel Camus, Raoul Coutard, Pierre Schoendoerffer.

Influer sur l’évolution de la guerre

La guerre du Vietnam a cher coûté aux reporters, mais quelques-unes de leurs images et certains de leurs reportages ont fait plus que les campagnes militantes pour que les États-Unis se désengagent.

Devenus redoutablement efficaces, ils sont à leur tour utilisés. Leur présence donne du poids et du sens à tout événement et leur absence permet un effacement parfois total. Des conflits jouent de l’image plus que des armes, les lanceurs de pierre de l’Intifada s’élancent sous le regard des journalistes en charge de conter une nouvelle histoire de David contre Goliath. Et le terrorisme ne peut se concevoir sans la presse qu’il charge d’une communication qui forme l’essentiel de cette arme de guerre.

Un nouveau type de matériel, plus simple, plus léger, moins coûteux, a permis l’apparition du free-lance, « terme emprunté à la chevalerie médiévale », et ce nouveau journaliste a pu, sans grands moyens, créer des héros comme on lance une vedette. C’est ainsi que la renommée de Massoud a débordé la vallée du Panchir.

À la fin de ce parcours, on serait tenté de séparer les reporters de guerre en deux groupes, celui qui travaille dans le cadre d’une armée, et le civil au service de la presse, correspondant régulier ou free-lance[2]. Le premier dépend d’une communication contrôlée par l’armée, certaines de ses images ne paraîtront pas ou seront livrées bien plus tard[3]. L’autre bâtit sa réputation sur le dévoilement d’images chocs et de reportages. Pourtant, les reporters militaires, qui furent souvent de simples appelés, montrent une connaissance du monde militaire qui fait parfois défaut à leurs confrères[4].

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[1] On complètera ce chapitre par la lecture de Béatrice Rodier-Cormier, Aux origines de la communication de Défense ? Indochine 1945-1954, éditions des Riaux, 2002, 187 p.

[2] Philippe Ratte, Armée et communication. Une histoire du SIRPA, Paris, ADDIM, 1989, 287 p.

[3] Ce qu’a fait l’exposition Images interdites de la Grande Guerre, organisée par le Service historique de la Défense à partir des fonds de l’ECPAD, au château de Vincennes, en 2017.

[4] Pour exemple, le reportage involontairement cocasse du Monde du 7 mars 2022.

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À propos de l’auteur
Marie-Danielle Demélas

Marie-Danielle Demélas

Docteur d’État en histoire et professeur honoraire de l'université de Paris III.
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