<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Les Illusionnistes : mensonges autour de l’écologie. Entretien avec Erwan Seznec

28 septembre 2024

Temps de lecture : 7 minutes

Photo : Tour de refroidissement d'une centrale nucléaire. unslpash

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Les Illusionnistes : mensonges autour de l’écologie. Entretien avec Erwan Seznec

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Dans Les Illusionnistes, Géraldine Woessner et Erwan Seznec bouclent dix ans d’enquêtes sur les manipulations autour de l’agriculture et du climat. Leur objectif : remettre la science au centre et lutter contre les manipulations.

En collaboration avec Géraldine Woessner, Erwan Seznec signe Les Illusionnistes : Climat, agriculture, nucléaire, OGM, un livre-enquête publié en septembre 2024 qui plonge au cœur des contradictions de l’écologie politique. Les auteurs y analysent les discours de diverses figures écologistes et les choix controversés qui façonnent le débat public sur des sujets sensibles tels que le climat, l’agriculture, le nucléaire et les OGM. L’ouvrage dénonce les dérives idéologiques de l’écologie politique, proposant une vision critique et rationnelle face à des enjeux souvent dominés par l’émotion et l’idéologie.

Entretien réalisé par Paulin de Rosny

Comment est né le projet ?

C’est une idée de Sophie Charnavel, directrice de notre éditeur Robert Laffont, à laquelle je tiens tout particulièrement à rendre hommage, car elle est décédée le jour même de la sortie du livre, à notre grande tristesse.

Pour ce projet, sorte de livre noir de l’écologie politique, elle avait pensé à ma collègue du Point Géraldine Woessner, qui a beaucoup travaillé sur les questions d’énergie et d’agriculture ces dernières années. Géraldine m’a proposé de travailler avec elle sur ce projet. Sur le fond, il constitue l’aboutissement d’une décennie d’enquêtes que nous avons mené séparément, avant d’être au Point, sur des sujets très divers : politique, nucléaire, téléphonie, aménagement du territoire, agriculture, logement, etc. Séparément toujours, Géraldine et moi avons vu émerger progressivement un problème plus vaste, sous-jacent. L’écologie politique.

Comment définir l’écologie politique ?

La décroissance est son concept clé. Elle considère l’humain comme un parasite qui dévore la terre-mère et qui doit s’autolimiter à tous les niveaux. Idée d’extrême-droite au départ, l’écologie décroissante a basculé dans l’anticapitalisme dans les années 1970. Ajoutez une couche de wokisme datant d’une quinzaine d’années et vous obtenez l’écologie politique actuelle, adversaire résolu du capitalisme patriarcal occidental prédateur, à la fois archaïque dans ses références (Malthus, l’animisme…) et très contemporaine, « produit de la culture populaire qui a donné le blockbuster Avatar : une compagnie minière veut détruire la forêt primitive, des rebelles connectés aux forces spirituelles telluriques se dressent pour leur tenir tête… », écrivons-nous dans le livre.

Son influence va bien au-delà de ses résultats électoraux (5,5% aux dernières Européennes, un record à 13% aux Européennes de 2019). Sa force tient dans sa capacité à mobiliser un réseau associatif extrêmement influent (Greenpeace, WWF, la FNE, Sea Shepherd, etc.) et dans la séduction qu’elle exerce sur une large partie de la fonction publique. Au nom de la protection de l’environnement, le pouvoir réglementaire est extensible presque à l’infini. Je rappelle qu’on parle sérieusement à notre époque de confier à l’Etat le pouvoir de dire combien de vols en avion nous devrions faire dans notre vie… Jean-Marc Jancovici, écouté de nombreux ministres et élus, est favorable à une telle limitation.

L’écologie est-elle dévoyée à des fins idéologiques ?

L’écologie, en tant que discipline scientifique visant à la compréhension et la protection de la nature, n’a plus qu’un lointain rapport avec l’écologie politique, qui n’est pas seulement une idéologie : c’est la dernière idéologie de l’offre politique contemporaine en France (avec l’antispécisme, éventuellement, mais ce dernier reste une niche politique), avec une conception de l’humain, inscrite dans le temps long, et une vision de transformation radicale de la société.

Quels sont ses leviers d’actions ?

En termes de leviers d’action et de stratégie, dans une perspective décroissante, je citerais la diabolisation de l’agriculture et du nucléaire. Les deux sont attaqués au nom de leurs défauts présumés, mais ce sont pour leur qualité que les idéologues les détestent. Aussi longtemps qu’il y aura des centrales nucléaires disponibles jour et nuit et une agriculture à haute productivité, il sera impossible de faire accepter aux citoyens « la sobriété », c’est-à-dire des rationnements d’énergie et d’alimentation. Car tel est le but. Et c’est saisissant à constater. Vous creusez pendant des jours les arguments des défenseurs du tout bio, par exemple (destruction de la biodiveristé, pollution, risque pour la santé, etc.). Au fil de vos recherches, vous voyez s’effondrer un par un tous ces arguments, par rapport à du conventionnel raisonné. À la fin, ne reste plus qu’un constat : la production va s’effondrer si on bascule au tout bio. Et ce sera une bonne chose…

Un exemple ou l’écologie politique s’écarte des recommandations scientifiques ?

La biodynamie. Elle enthousiasme les écologistes. Quiconque a étudié ne serait-ce qu’une heure les principes de l’agriculture en biodynamie sait qu’il s’agit purement et simplement de magie. La biodynamie, c’est Harry Potter agronome. Je cite notre enquête : « Du maraîchage en biodynamie qui offre les mêmes rendements que l’agriculture conventionnelle, c’est possible. C’est aussi davantage d’emplois et davantage de goût. Changeons de modèle et utilisons les milliards de la PAC pour accompagner cette transition », twittait Yannick Jadot le 16 février 2019. Il ne mentait pas. Sur quelques productions, certaines saisons, avec de la chance, si les conditions s’y prêtent, la biodynamie peut avoir le même rendement que l’agriculture conventionnelle. Mais à grande échelle et sur la durée, elle n’a jamais fait ses preuves. Les études parfois citées tendant à démontrer le contraire proviennent invariablement de sources militantes. La biodynamie a été élaborée par un philosophe autrichien passionné par le paranormal, qui n’avait aucune compétence en agronomie. Rudolf Steiner (1861-1925) a d’abord créé sa doctrine ésotérique, l’anthroposophie. Il en a ensuite tiré une méthode d’agriculture extravagante. À la base, zéro expérimentation, aucune mesure d’efficacité, même pas de fondement théorique scientifique ».

Quelle doit être la place de la science dans le débat démocratique ?

La science dit ce qui est, pas ce qui doit être. Je peux démontrer avec des arguments scientifiques et rationnels que l’écologie politique nous ramènerait à ce qu’était notre vie il y a un siècle. Je pense que ce serait un désastre, mais si la majorité est d’un avis contraire, la science n’y pourra rien, et tant mieux. Un gouvernement des savants ne serait pas une démocratie. Certains chercheurs, du reste, me semblent très peu éclairés en dehors de leurs disciplines. Aurélien Barrau, astrophysicien, est décroissant, tout comme Jean-Marc Jancovici, polytechnicien.

Néanmoins, pour que la majorité politique ne prenne pas des vessies pour des lanternes, il faut que les citoyens accèdent à une information scientifique vulgarisée fiable. Sur ce point, la situation n’est pas idéale, mais je crois qu’elle s’améliore. Les dernières années ont été celles d’un retour en force de la rationalité dans les débats publics. L’opinion est désormais massivement pro-nucléaire, les peurs infondées des ondes des portables (largement entretenus par les écologistes !) ont pratiquement disparu. Je pense que la prochaine étape sera la réhabilitation des OGM. 30 ans de recul, zéro mort, zéro maladie, zéro dissémination incontrôlée. Les bannir devient ridicule.

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Quel est l’impact économique et social des politiques écologistes ?

L’abandon du nucléaire au profit des renouvelables, à lui seul, a suffi à placer l’Allemagne dans une dépendance terrible vis-à-vis de la Russie. Sans gaz, énergie hydraulique ou nucléaire, permettant de pallier leur intermittence, les renouvelables ruineraient n’importe quel pays en un temps record. Le Danemark, qui revendique des pointes à 55% de renouvelables par moment, tient seulement grâce aux exportations d’électricité de ses voisins.

Autre conséquence plus diffuse de politiques écologiques inconsidérées, le renchérissement du coût du logement. La loi sur le « zéro artificialisation net » adoptée en 2022 est particulièrement inflationniste, car elle fait exploser les coûts du foncier. Elle rend inconstructible des millions d’hectares, alors que la place ne manque pas, dans notre pays. Dans des départements entiers, le drame n’est pas l’urbanisation, mais le dépeuplement. Peu importe, la loi ZAN bride la construction, en Lozère, dans le centre-Bretagne ou dans les Vosges… « Quand les gens vont comprendre cette histoire de décroissance légale, quand ils vont comprendre que c’est la fin des pavillons et que le terrain prévu pour la maison du petit-fils est devenu inconstructible, ce sera les Gilets jaunes, puissance deux », nous disait le sénateur du Vaucluse Jean-Baptiste Blanc, cité dans l’ouvrage.

Quel est le rôle des médias ?

Nous leur consacrons un chapitre entier. On ne peut pas généraliser, mais il est clair que la tonalité générale de l’audiovisuel public a manqué de distance critique vis-à-vis de l’écologie politique. Et on pourrait en dire autant du Monde… La conséquence est le développement d’une sorte de complotisme larvé : les opérateurs de téléphonie, les industriels du nucléaire, les agriculteurs, tout le monde ment, tout le monde veut nous empoisonner. Ces gens s’y prennent d’ailleurs fort mal : nous battons des records de longévité et de bonne santé, à l’échelle de l’histoire humaine. Mais peu importe, le message se diffuse. Comme nous l’écrivons, « le pilonnage incessant contre la chimie de synthèse employée en agriculture a réussi à faire oublier qu’elle na causé aucune des intoxications collectives survenues ces trente dernières années dans notre pays. L’épidémie mortelle qui a tué 22 personnes en 2011 en Europe a été provoqué par des graines de soja issues de l’agriculture biologique, contaminées par la bactérie Escherichia coli entérohémorragique ».

Élus et associations, les écologistes ont souvent été des lanceurs d’alerte, ils sont faciles d’accès et généralement sympathiques ! Je crois néanmoins que les journalistes doivent choisir. Soit ils s’assument comme militants, à l’image de ceux de Reporterre, soit ils font correctement leur travail d’information, impartial et exhaustif. Je terminerai en citant un autre extrait de notre livre :

« Le drame du journalisme d’investigation est qu’il a gagné la bataille, et qu’il ne le sait pas. Il tourne en rond, la lance en main, comme un Saint-Georges sans dragon à transpercer. Ou plus exactement, les dragons deviennent de plus en plus petits, jusqu’à atteindre une taille dérisoire.

Le phénomène est quantifiable. Dans les années 1970, la quantité de plomb rejetée par les pots d’échappement sur les bas-côtés des routes atteignait des concentrations démentielles. Elles se mesurait en gramme par kilo. Les experts ont crié au danger. Ils ont été entendus. Très toxique, le plomb utilisé comme additif dans le carburant pour améliorer le rendement des moteurs a été définitivement interdit dans l’UE en 2000.

Dès les années 1990, on traque les substances nocives en milligrammes, puis en picogrammes, c’est à dire en milliardièmes de gramme. Désormais, les outils d’analyse sont si performants que la notion même de « substance toxique » devient problématique. On sait par exemple dater des grands crus en fonction de leur teneur en Césium 137, un isotope absent à l’état naturel, issu de la fission de l’uranium. Les méthodes employées (la spectrographie de masse, en particulier) sont si performantes que le Césium 137 peut être détecté sans même ouvrir la bouteille. Si un bordeaux de 1938 en contient, y a forcément fraude, puisque la première bombe atomique a explosé en 1945. Mais bien entendu, ce vin ne sera pas radioactif ».

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