Les Forces Rwandaises de Défenses : de l’arrêt d’un génocide aux opérations de maintien de la paix

3 mai 2023

Temps de lecture : 9 minutes

Photo : Compétences MEDEVAC de la Force de défense rwandaise, janvier 2011 - Flickr - US Army Africa

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Les Forces Rwandaises de Défenses : de l’arrêt d’un génocide aux opérations de maintien de la paix

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Autrefois considérées comme une armée rebelle, les soldats des Forces Rwandaises de Défense (FRD) sont aujourd’hui des acteurs incontournables des opérations de maintien de la paix. Présent au sein de la MINUSS, l’opération de maintien de la paix des Nations unies au Soudan du Sud, les FRD sont aussi déployés dans le cadre de la MINUSCA en Centrafrique tout comme ils furent membres de la MINUAD au Darfour. Une omniprésence sur les terrains de guerre africains qui témoigne des évolutions du rôle du Rwanda.  

Par Kilian Guyon. Etudiant en master de sciences politiques.

Vendredi 7 avril 2023 à Djouba, dans la capitale du Soudan du Sud, une mystérieuse cérémonie se déroule. En ce jour symbolique, la communauté rwandaise vient commémorer le génocide perpétré contre les Tutsis en 1994. À plus de 1 000 kilomètres de Kigali, parmi les membres de la diaspora rwandaise, un nombre important de soldats des Forces Rwandaises de Défense (FRD) sont présents commémorant le 29e anniversaire du génocide qui a tant marqué l’histoire du Rwanda, coiffés du fameux béret bleu des forces onusiennes. Autrefois, il s’agissait d’une armée rebelle qui se cachait dans les forêts ougandaises. Aujourd’hui, les soldats rwandais sont devenus des acteurs incontournables des opérations de maintien de la paix (OMP). Présent au sein de la MINUSS, l’opération de maintien de la paix des Nations unies au Soudan du Sud, les FRD sont aussi déployés dans le cadre de la MINUSCA en Centrafrique tout comme ils furent membres de la MINUAD au Darfour. 

De plus, face aux succès de leurs interventions militaires, les Forces Rwandaises de Défense ont, à de multiples reprises, été déployées dans le cadre d’accords bilatéraux, en Centrafrique en 2020 et au Mozambique en 2021 afin de stopper l’avancer du groupe djihadiste Al-Shabab. Ainsi, les FRD sont devenues le fer de lance de la diplomatie de Kigali, exportant leur savoir-faire et la « réussite à la Rwandaise » à travers toute l’Afrique. D’un pays qualifié de failli en 1994, le Rwanda a su se relever et désormais, il est devenu un acteur géopolitique incontournable sur le continent africain. 

Le Rwanda, un futur acteur de la lutte anti-terroriste au Bénin 

Les 14 et 15 avril derniers, la visite à Cotonou, du président de la République du Rwanda, Paul Kagame, auprès de son homologue béninois, Patrice Talon, s’est conclue par la mise en place d’une coopération militaire entre ces deux pays afin de lutter contre la menace djihadiste toujours plus grandissante. Les incursions des djihadistes sont une conséquence de l’insécurité croissante au Sahel, où de nombreux groupes armés terroristes sont présents. Ainsi, les pays du golfe de Guinée voient leurs frontières menacées par ces agressions et semblent impuissants pour les arrêter. Le président Patrice Talon mise donc sur une intervention de l’armée rwandaise qui a « de l’expérience et est aguerrie »1 , comme il l’avait déclaré lors de sa rencontre avec Paul Kagamé. En 2021, le Bénin a enregistré une vingtaine d’incursions armées sur son territoire et, alors que le Togo, qui connaît les mêmes enjeux sécuritaires sur sa frontière nord, a déclaré l’état d’urgence et a renforcé son armée, le Bénin mise sur les FRD qui sont, depuis quelques années, réputées pour leur efficacité et leur discipline sur les théâtres d’opérations. Lors de cette rencontre entre chefs d’État, le Président Paul Kagamé a déclaré être « prêt à travailler avec le Bénin pour prévenir tout ce qui se peut produire dans la zone autour de ses frontières »2. Dans un premier temps, l’intervention militaire rwandaise se traduira certainement par la formation des forces de sécurité béninoises puis le renforcement de cette coopération s’incarnera par la mise en place de patrouilles conjointes. 

Ce partenariat militaire est le symbole même de la place que souhaite jouer le Rwanda sur la scène internationale. Cette force militaire, efficace et extrêmement disciplinée, est l’image même de ce qu’est le Rwanda, un pays qui en 30 ans s’est relevé, et qui désormais a des ambitions qui s’étendent au-delà de la région des Grands Lacs. 

Les FRD, une armée défensive

Fortes de 30 000 hommes, les Forces Rwandaises de Défense sont le fruit de l’Histoire du Rwanda. En effet, constituées des anciennes forces rebelles et des soldats de l’ancienne armée du Rwanda (FAR), les FRD sont et se veulent l’exemple de la réunification, de la reconstruction et de la modernisation du pays post-génocide. Désignée sous le nom de Forces Rwandaise de Défense en 2002, l’armée du Rwanda a toujours eu comme doctrine le maintien d’une force crédible et polyvalente capable d’assurer la défense du pays face à un éventuel retour des génocidaires. En effet, la guerre de libération menée par l’APR (Armée Patriotique Rwandaise) a mis un terme au génocide, et a poussé des millions de Rwandais à l’exil, en particulier vers la RDC. Dans le sillage des réfugiés, le gouvernement et l’armée génocidaire en ont profité pour fuir le FPR en se cachant au Congo. Sous la protection de Mobutu, les forces génocidaires vont rapidement se reconstituer en une armée forte de 50 000 hommes3 , prêtes à retourner au Rwanda pour récupérer le pouvoir. Cette menace justifiera toutes les interventions militaires rwandaises qui auront lieu en RDC. 

La défense du pays constitue donc la raison d’être des FRD et, de nos jours, la peur des FDLR (Forces Démocratiques de Libération du Rwanda), groupe héritier des génocidaires de 1994, est toujours forte. Ainsi, les FDR sont perçues comme le rempart qui se dresse contre un éventuel retour des génocidaires. De plus, le Rwanda a été traumatisé par l’abandon de la communauté internationale lors du génocide de 1994 et plus particulièrement par l’inefficacité de l’ONU à mettre un terme aux massacres et à protéger les populations. Ce traumatisme explique la volonté qu’a le Rwanda, d’engager son armée, qui fut la seule capable d’arrêter les massacres, dans la défense des populations civiles au sein des OMP. Ce tournant idéologique de l’engagement militaire du Rwanda se traduit parfaitement par la création de leur propre centre de formation militaire aux OMP. En effet, financée par le PNUD et inaugurée en 2012, la Rwandan Peace Academy (RPA) forme au maintien de la paix les officiers rwandais ainsi que des militaires étrangers. Véritable vecteur d’influence, les formations à la RPA étaient autrefois octroyées par des formateurs occidentaux, mais il semble qu’à présent le Rwanda délivre lui-même ses propres formations. 

Ainsi, la protection des populations civiles se veut comme le moteur de l’engagement du Rwanda à l’international. En 2015, le Rwanda a accueilli les plus grands pays contributeurs des OMP. De ce sommet, la déclaration des Principes de Kigali verra le jour. Signés par une trentaine de pays. Ces 17 principes, de nature non-contraignante, visent à une meilleure protection des populations civiles par les OMP, notamment en simplifiant les règles d’engagement des forces armées et en réduisant la chaîne de commandement onusienne en cas de menaces avérées contre des civils. 

Les FRD, une armée au service de la paix ou outil de puissance

En 2007, face à la crise sécuritaire et humanitaire au Darfour, l’ONU déploie une force d’interposition, et le Rwanda en profite pour y envoyer des soldats sous couleurs onusiennes. Cette opération marque un tournant dans la politique rwandaise : désormais ce n’est plus la communauté internationale qui vient en aide au Rwanda, mais c’est ce dernier qui se hisse en pays contributeur de l’aide internationale dans un contexte de massacres au Darfour qualifiés par le Congrès américain de génocide. 

Par la suite, le Rwanda s’impliqua dans deux autres missions onusiennes. En 2011 au sein de la MINUSS au Soudan du Sud et en 2014 en République centrafricaine au sein de la MINUSCA4. Cette dernière illustre parfaitement la place que tient désormais le Rwanda au sein des opérations onusiennes. En effet, outre les différents officiers rwandais nommés à de hauts postes d’état-major onusien, Valentine Rugwabiza, de nationalité rwandaise est nommée représente spéciale du secrétaire général pour la MINUSCA en février 20225. De plus, les contingents rwandais constituent les forces les plus conséquentes au sein des OMP où ils interviennent, et le pays des mille collines déploie en permanence 4 585 soldats, dont 249 femmes6 . Depuis 10 ans, c’est plus de 40 000 soldats qui sont déployés sur ces théâtres d’opérations, plaçant le Rwanda comme le 4e pays contributeurs en effectif derrière le Bangladesh, le Népal et l’Inde. De nos jours, « le maintien de la paix est entré dans l’ADN des Forces Rwandaises de défense »7. 

Grâce à ces interventions, les FRD bénéficient de formations militaires conséquentes comme le programme de l’armée américaine ACOTA (Africa Contingency Operations Traigning and assistance program) ou bien le programme RECAM (Reinforcement of Peacekeeping Capacities) délivré par la France. Or, le Rwanda, en engageant son armée sur des théâtres d’opérations, loin du territoire national, poursuit d’autres objectifs. Outre le maintien en condition opérationnelle des troupes et du matériel, en prévision d’un éventuel conflit, les FRD pourvoient à la promotion d’une nouvelle image de leur pays. En effet, en 1994, le pays est en ruine et les observateurs internationaux considèrent le Rwanda comme un pays failli qui ne se relèvera pas. Mais ces interventions militaires ont prouvé le contraire. La modernité et l’efficacité des FRD, leur ont permis de devenir un véritable outil de puissance et de diplomatie pour le Rwanda. En effet, les FRD sont devenues un outil de soft-power, à travers l’image qu’ils reflètent du Rwanda. Armée moderne et disciplinée, ne commettant pas d’exaction, les FRD mettent en place sur chaque théâtre d’opérations, le principe de l’Umuganda. Cette tradition rwandaise consiste à la réalisation de travaux communautaires visant à améliorer la vie des populations. Ainsi, les FDR, tout en participant à l’amélioration des conditions d’hygiène et d’accès à l’eau, au Soudan du Sud et en Centrafrique, perfectionnent l’image du Rwanda comme un pays promoteur de paix et de modernité à l’Africaine. De plus, les contingents rwandais représentent la majorité des effectifs de la MINUSCA et de la MINUSS, procurant au Rwanda un levier de pression face aux différentes critiques et à d’éventuelles sanctions de la communauté internationale qui pourrait émaner notamment de son intervention à l’est de la RDC.

Cette image que le Rwanda souhaite exporter lui permet de renforcer son influence non seulement dans la région des Grands Lacs, mais également dans toute l’Afrique. Cette alternative à l’Africaine séduit également les Occidentaux qui souhaitent de moins en moins s’engager militairement en Afrique. Le Rwanda peut à l’avenir être un allié de circonstance pour un pays comme la France qui voit son image extrêmement critiquée en Afrique de l’Ouest à la suite d’interventions militaires qualifiées de néocoloniales. Ainsi, l’entremise des FDR serait une belle opportunité, pouvant même devenir un outil de lutte contre l’influence grandissante de la Russie et du groupe Wagner. Or, cette option se présente également au pays de la région qui peuvent profiter de la puissance militaire du Rwanda comme une alternative aux interventions souvent conditionnées des Occidentaux. 

Les FDR, une armée au service de la diplomatie rwandaise

La diplomatie militaire du Rwanda semble avoir pris un nouvel élan à la suite de la projection de ses forces armées dans le cadre d’accords bilatéraux. Ainsi, fin 2020, le président centrafricain Faustin Archange Touadéra requiert l’intervention du Rwanda qui envoie ses forces spéciales afin de réduire la menace que représentaient les groupes rebelles présents aux portes de Bangui. Alors que des FDR, présents dans la MINUSCA, s’assuraient du bon déroulement des scrutins, les forces spéciales rwandaises luttaient ouvertement contre les forces rebelles, aux côtés des mercenaires de Wagner. De même, en 2021, le Mozambique lance un appel à l’aide au Rwanda face à l’avancée inexorable du groupe djihadiste Al-Shabab. Le déploiement d’un millier de soldats rwandais8 a permis de contenir l’avancée des djihadistes et de libérer, un mois après le début de l’intervention, la ville de Mocimba da Praia, siège du projet gazier de TotalEnergie. Il est fort à parier que la France a envisagé d’intervenir elle-même, si une demande officielle de l’État mozambicain avait été formulée, mais une présence rwandaise est stratégiquement plus souhaitable pour la France déjà fortement critiquée en Afrique de l’Ouest. Il est probable que la France soutienne cette intervention des FRD maintenant que les relations diplomatiques entre les deux pays sont meilleures. 

À la suite des succès des différentes opérations extérieures du Rwanda, l’efficacité et la réputation des FRD ne sont plus à prouver pour les partenaires du pays, qui se place donc comme une nouvelle alternative pour les pays d’Afrique souvent contraints de demander de l’aide aux puissances occidentales, à des groupes de mercenaires comme Wagner ou aux forces armées des Communautés Economique régionale, souvent peu efficaces et enclins à commettre des exactions. En janvier 2023, une vidéo publiée sur les réseaux sociaux expose des soldats sudafricains brûlant des cadavres de djihadistes. Ces militaires sont membres de la SAMIM, qui est la force d’intervention de la communauté de développement d’Afrique australe déployée au Mozambique depuis l’été 2021, après le succès de l’intervention rwandaise. Cette dernière, en plus de son irréprochabilité, s’est montrée plus efficace que le groupe Wagner et les mercenaires sud-africains de Dick Advisory Group, pour lutter contre la menace djihadiste. 

La diplomatie militaire du Rwanda semble être le fondement de la stratégie internationale du pays. Ce petit Etat, grand comme la Bretagne, mais fort de 13 millions d’habitants a cruellement besoin de ressources. De plus, le pays est en tension avec pratiquement tous ses voisins immédiats, l’incitant à travers les FRD, à nouer des relations économiques solides avec des partenaires situés au-delà de sa zone d’influence historique. Ainsi, l’intervention en Centrafrique est suivie par l’instauration de la liaison aérienne de RwandAir entre Bangui et Kigali. Le secteur minier est également courtisé par les hommes d’affaires rwandais et notamment par le fonds d’investissement du FPR, Crystal Venture. Le sauvetage des infrastructures de Total s’est suivi d’accords énergétiques entre l’entreprise et le Rwanda et, la stabilisation du Mozambique est vitale pour le Rwanda, car, étant enclavé, il s’agit d’une de ses voies principales d’approvisionnement. 

L’expansion de la puissance rwandaise attise le mécontentement notamment parmi la population centrafricaine et l’opposition au pouvoir estimant que l’ingérence du Rwanda consiste à maintenir au pouvoir le président Faustin Archange Touadéra. Ces critiques d’ingérence et de colonialisme sont également relayées par des groupes d’opposants au régime de Paul Kagamé. 

L’interventionnisme rwandais n’est pas uniquement critiqué en Centrafrique. Le rapport de l’ONU de décembre 2022 expose ouvertement le soutien du Rwanda au groupe du M23 présent au nord Kivu. Les interventions militaires du Rwanda en RDC ne sont pas une nouveauté, le Rwanda étant un belligérant des deux guerres du Congo. L’armée, qui portait encore le nom d’ADR, prétextait de lutter contre les groupes armés génocidaires. Aujourd’hui, critiqué de piller les ressources de son voisin, le Rwanda semble soutenir un groupe qui dénonce le massacre des Tutsis au nord Kivu. Alors, soutien à un groupe tutsi qui se fait massacrer ou bien tentative de piller les ressources de son grand voisin, ce qui est certain, c’est que les tensions sont fortes entre les deux pays et les discours de haine semblent avoir atteint un point jamais égalé entre les deux pays et les différents groupes ethniques. 

1 Le Rwanda promet son aide au Bénin face à « la menace terroriste » – Jeune Afrique, https://www.jeuneafrique.com/1436578/politique/le-rwanda-promet-son-aide-au-benin-face-a-la-menace-terroriste/,  consulté le 26 avril 2023.

2 Ibid.

3 Robert Beeland Rehder Jr., From Guerillas to Peacekeepers: The Evolution of the Rwandan Defense Forces, Marine Corps University, Quantico (Virginie, États-Unis), 2008, p. 22.

4 MINUSS | Nations Unies Maintien de la paix, https://peacekeeping.un.org/fr/mission/minuss, consulté le 26 avril 2023.

5 Special Representative of the Secretary-General for the Central African Republic and Head of the United Nations Multidimensional Integrated Stabilization Mission in the Central African Republic | United Nations Secretary-General, https://www.un.org/sg/en/content/profiles/valentine-rugwabiza,  consulté le 26 avril 2023.

6 Nations unies, « Pays contributeurs en soldats et policiers », Nations Unies – Maintien de la paix.

7 Les bonnes affaires de la diplomatie militaire du Rwanda, https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/04/01/les-bonnes-affaires-de-la-diplomatie-militaire-du-rwanda_6120178_3212.html,  consulté le 26 avril 2023.

8 Ministry of Defence, Rwanda deploys joint force to Mozambique, 10/07/2021

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Photo : Compétences MEDEVAC de la Force de défense rwandaise, janvier 2011 - Flickr - US Army Africa

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Kilian Guyon

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