<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> L’espace : terrain d’affrontements militaires

10 août 2024

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L’espace : terrain d’affrontements militaires

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L’actualité récente présente l’espace comme un nouveau champ de confrontations. Bien sûr, il l’est, mais la qualification de « nouveau » est à nuancer. 

Article paru dans la Revue Conflits n°52, dont le dossier est consacré à l’espace.

Capitaine Béatrice Hainaut (Dr.), Institut de recherche stratégique de l’École militaire (Irsem)

La nouveauté est valable pour certains États comme la France dont les capacités en orbite n’ont pas eu à souffrir d’actes inamicaux jusqu’à récemment. Cela n’a néanmoins pas empêché la France de prendre position au sein des institutions internationales contre la course aux armements dans l’espace dès les années 1980. Sa position a été renouvelée lors du tir de missile antisatellite (ASAT) chinois en 2007, qui a d’ailleurs été suivi par un tir ASAT des États-Unis un an après. Ces démonstrations de puissance (qui se sont réalisées à l’encontre de leurs propres satellites inactifs) ont réaffirmé, s’il en était besoin, que l’espace n’était pas un sanctuaire. Aujourd’hui comme hier, les utilisations civiles, militaires et offensives coexistent dans, depuis et vers l’espace. Depuis la guerre froide, les utilisations de l’espace ont évolué. Aujourd’hui, un changement de paradigme est à l’œuvre dans ses utilisations sous les effets conjugués de la multiplication des acteurs étatiques et non étatiques, de la hausse sans précédent du nombre de satellites en orbite, et d’un retour de la conflictualité.

Il faut tout d’abord distinguer la militarisation de l’espace de son arsenalisation. Ces deux phénomènes sont différents en nature, mais leurs développements sont chronologiquement concomitants, à savoir durant la guerre froide. 

La militarisation peut être comprise comme l’utilisation de systèmes spatiaux à des fins militaires sur Terre, sans finalité agressive en orbite ou à destination de la Terre. À l’inverse, l’arsenalisation de l’espace ou la course aux armements dans l’espace peut être considérée comme l’implantation d’armes dans l’espace dans un objectif clairement offensif. Cette définition est cependant sujette à caution pour deux raisons. Dans un premier temps, il est difficile de définir ce que constitue une arme dans l’espace. Presque tout système spatial peut être détourné pour provoquer des dommages à un tiers. Dans un second temps, même si des systèmes ouvertement offensifs ont existé par le passé, ce qui est privilégié aujourd’hui sont des moyens plus discrets de nuisances réelles ou potentielles (d’ordre électromagnétique et cyber). Les modes d’action dans l’espace se situent sous le seuil de l’agression armée. Il n’est bien sûr pas exclu qu’en cas d’engagement majeur, ce seuil soit dépassé. D’ailleurs, les démonstrations de capacités en orbite montrent que certains États s’y préparent.

Les utilisations militaires de l’espace sont le « péché originel » du développement du secteur spatial, en partie pour leurs liens très forts avec les technologies nucléaires. Cela concerne donc au premier chef les États-Unis et l’URSS devenue Russie. Cela n’a pas empêché le développement d’applications civiles de l’espace. Celui-ci est donc par nature dual. Ce phénomène semble s’être accentué depuis une vingtaine d’années par le recours massif, notamment aux États-Unis, de nouveaux et pléthoriques acteurs privés, complétant ou concurrençant les acteurs privés traditionnels. Cela a d’ailleurs amené le département de la défense américain à publier récemment une stratégie d’intégration des acteurs commerciaux. La publication de ce document semble avoir été accélérée par les décisions de SpaceX et de l’utilisation de ses Starlink en Ukraine.

À l’inverse des deux Grands, la France et certaines autres puissances spatiales ont pu mettre davantage l’accent, dans un premier temps, sur le développement d’activités civiles. Néanmoins, l’histoire de la conquête de l’espace par ces États montre bien que l’intérêt militaire n’est jamais très loin.

1/ Bref historique de l’évolution des utilisations de l’espace

Les États-Unis, initiateurs du changement de paradigme pour l’espace

L’espace militaire aux États-Unis suit une évolution en couches historiques. La guerre froide est celle de la couche stratégique. Cette période est marquée par des besoins de surveillance et de reconnaissance. En effet, la préoccupation majeure des deux Grands est d’évaluer le plus précisément possible la quantité de missiles à tête nucléaire détenue par l’adversaire. Les satellites de reconnaissance deviennent alors des outils plus intéressants que les avions de reconnaissance, trop vulnérables aux réactions ennemies. Suit la couche opérative et tactique mise en avant dans les années 1990. La guerre du Golfe de 1991 est alors symptomatique de ces nouvelles utilisations au profit du théâtre d’opérations. Cette guerre a été qualifiée de « première guerre spatiale » au sens où l’utilisation militaire des satellites a été massive dans la planification et la conduite des opérations. Cet intérêt n’a alors fait que s’amplifier lors des théâtres d’opérations ultérieurs. Aujourd’hui, les satellites sont devenus un préalable indispensable à toute action militaire d’envergure, du moins pour les États-Unis et la France. Au début des années 2000, la couche sécuritaire place le renseignement d’origine spatiale au service de la sécurité nationale des États-Unis. Fortement dépendants aux utilisations civiles et militaires de l’espace, il devient indispensable de contrôler l’espace afin de protéger ces moyens spatiaux, devenus des intérêts nationaux vitaux. Enfin, X. Pasco élabore l’hypothèse d’une quatrième couche historique, en germe depuis les années 1990, qui viserait à contrôler l’espace. La dépendance des États-Unis aux systèmes spatiaux est telle qu’ils ne peuvent pas se permettre de ne pas avoir un contrôle sur le milieu et ses multiples objets en orbite. Aujourd’hui, ces couches se superposent. À cela s’ajoute à présent une convergence des technologies spatiales avec celles du numérique et de l’information. Les nouveaux acteurs du secteur spatial sont d’ailleurs souvent issus de ce secteur (SpaceX, Amazon) ou collaborent avec eux. Cette évolution transforme les usages de l’espace qui se banalise et devient « récréatif ». Le secteur aval du spatial devient un écosystème centré sur les données. Dans cette logique, la volonté des États-Unis est d’assurer sa domination spatiale et informationnelle.

La France et sa prise en compte plus tardive des utilisations militaires de l’espace

La France a pris plus tardivement en compte les utilisations militaires de l’espace bien qu’elle soit devenue puissance spatiale en 1965 grâce à une équipe d’ingénieurs du CNES et de militaires. Ce n’est qu’au sein de la loi de programmation militaire de 1977 que des crédits sont prévus afin d’étudier la réalisation d’un satellite militaire de reconnaissance optique (Samro) et d’un système de télécommunications par satellites, le futur Syracuse. De plus, en 1978, le CNES lance la réalisation du programme SPOT (satellite pour l’observation de la Terre), un programme européen civil, mais aussi militaire en ce sens que le ministère de la Défense participe pour moitié à son financement. En 2008, la société Spot Image a été rachetée par Airbus Defense & Space. L’utilisation commerciale de la famille des SPOT n’empêche pas la défense française d’en être un client régulier et privilégié. Les capteurs optiques au profit des militaires auraient pu voir le jour de façon concomitante. Or, le programme Samro est abandonné en 1982 au profit de Syracuse. Syracuse 1 est ainsi lancé en 1984. Il s’agit d’un satellite de télécommunication permettant d’assurer les communications cryptées entre la France et ses troupes déployées sur les théâtres d’opérations. L’idée de la réalisation d’un satellite de reconnaissance refait surface. Sur les ruines de Samro, se développe Hélios, satellite de reconnaissance optique dont le premier exemplaire est mis en orbite le 7 juillet 1995. Le programme Hélios est amorcé et capitalise sur le savoir-faire acquis grâce au satellite civil d’observation SPOT, lancé lui en 1986.

Très récemment, le spatial militaire français prend une autre dimension avec, en 2019, l’annonce faite par le président de la République Emmanuel Macron de la création d’un Commandement de l’espace et de la publication d’une stratégie spatiale de défense.

La France tente également de prendre les mesures nécessaires pour s’adapter au « nouveau » paradigme spatial, qui associe phénomène du New Space et hausse de la conflictualité dans l’espace. Cela est d’autant plus vital pour la France qu’outre la dépendance de son économie et de ses armées à l’espace, son industrie spatiale est la plus développée en Europe. Elle doit donc s’adapter pour rester attractive et compétitive. 

À présent, le système spatial militaire français se décline selon trois cercles : celui du cœur souverain (composé de l’ensemble des capacités détenues et opérées par le ministère des Armées [Minarm]). Ces capacités mobilisent du temps et de l’argent pour être élaborées et sécurisées. Puis il y a le cercle du cœur étendu, des capacités offertes par des services émanant d’opérateurs de confiance, ou via des coopérations, mais qui n’appartiennent pas au Minarm. Enfin se trouve le cercle complément capacitaire qui enrichit le cœur souverain en temps de paix et en temps de crise, mais sans garantie d’accès. Il s’agit de l’accès à certains services civils, commerciaux ou à certaines coopérations. Les satellites purement militaires sont en France actuellement au nombre de sept (de télécommunications avec les deux Syracuse 4, d’observation avec les deux CSO, d’écoute avec les trois Ceres). Les projets actuels relevant du New Space et financés par le gouvernement français (volet spatial de France 2030) font appel au secteur privé dans les domaines des micro et mini-lanceurs, des constellations et des services en orbite. 

Cette augmentation du recours aux satellites civils commerciaux n’est pas sans conséquence lorsque ces derniers sont utilisés dans le cadre d’un conflit armé.

2/ Les utilisations des satellites civils commerciaux dans la guerre et ses conséquences

Une heure avant l’invasion de l’Ukraine, la Russie a mené une cyberattaque à l’encontre du réseau satellitaire KA-SAT Viasat. Ce réseau était utilisé par les forces armées ukrainiennes et la population civile. Tous les terminaux de ce réseau ont été rendus inutilisables par cette attaque, en Ukraine, mais aussi partout où il était utilisé, notamment en Europe. La destruction des infrastructures critiques est un préalable à une invasion terrestre. Les moyens de communication au sol et dans l’espace étant détruits, la progression au sein du pays attaqué aurait dû être facilitée. C’était sans compter le recours par l’Ukraine à la constellation de satellites de connectivité Starlink de SpaceX. Dès lors, l’Ukraine fait appel à de nombreux opérateurs spatiaux privés au point de mettre au défi la puissance spatiale russe historique. Elle y aurait également recours, dont le groupe Wagner, en achetant des services aux opérateurs chinois d’imagerie.

Mais recourir à des acteurs privés pour conduire une guerre entraîne plusieurs conséquences. Dans un premier temps, l’État doit être capable de maîtriser sa dépendance envers les acteurs commerciaux. L’Ukraine ne possédant pas de capacités spatiales autonomes, elle se retrouve entièrement dépendante et donc vulnérable aux services fournis. Ainsi, lorsque SpaceX limite le service Starlink en Ukraine, cela entraîne des conséquences tactiques, opératives, voire stratégiques, immédiates. Cet épisode a également servi les intérêts de SpaceX qui a pu démontrer aux autorités américaines que Starlink ne saurait être utilisé pour des applications militaires. Ainsi, SpaceX a proposé à ses clients militaires, une version militaire de Starlink, agrémenté d’autres capteurs, le système Starshield. Dans tous les cas, en permettant ou en limitant une capacité opérationnelle sur un théâtre, une société privée influence, d’une manière ou d’une autre, le cours de la guerre.

La deuxième conséquence directe de l’utilisation des satellites commerciaux dans une guerre est que ces derniers deviennent des cibles militaires. En effet, en vertu des conventions de Genève et de leurs protocoles additionnels, un bien civil peut devenir une cible militaire s’il apporte « une contribution efficace à l’action militaire et dont la destruction totale ou partielle, la capture ou la neutralisation, offre en l’occurrence un avantage militaire précis ». La Russie a d’ailleurs affirmé que ces systèmes spatiaux constituaient des cibles militaires légitimes en invoquant son droit à la légitime défense, inscrite dans la Charte des Nations unies au chapitre VII, article 51. Les opérateurs commerciaux ne sont aujourd’hui pas nécessairement prêts à affronter cette éventualité. De plus, ces systèmes ne sont nativement pas élaborés pour résister à des attaques cyber ou électromagnétiques pouvant les rendre inopérants de manière temporaire ou définitive.

Enfin, la troisième et dernière conséquence est celle de la question de l’influence des acteurs privés sur la scène internationale, au détriment parfois de la diplomatie officielle. La collusion des intérêts privés avec la politique étrangère d’un État peut donner lieu à des dissonances sur la scène internationale. À ce titre, les déclarations d’Elon Musk proposant un plan de paix pour l’Ukraine et la Russie, ou considérant Taïwan comme une « zone administrative spéciale de la Chine » interrogent. Même si l’exemple d’Elon Musk peut paraître constituer une exception, il s’avère indispensable de mener une réflexion approfondie sur la place de l’acteur privé, civil, dans les affaires militaires à l’heure où le recours à ces acteurs est grandissant.

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