Les États-Unis sont-ils de retour en Afrique ?

29 novembre 2022

Temps de lecture : 12 minutes

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Les États-Unis sont-ils de retour en Afrique ?

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Les États-Unis s’intéressent de nouveau à l’Afrique. Le sommet américano-africain de décembre doit fixer les enjeux stratégiques de Washington pour le continent. Il s’agit à la fois de contrer les Russes et les Chinois mais aussi de prendre pied dans un continent longtemps délaissé.  

 Par Bertrand Slaski, Directeur, Forum international de Dakar pour la Paix et la Sécurité en Afrique et Initiative Globale pour la Paix et la Sécurité en Afrique (IGPSA).

Alors que s’opère un mouvement profond de renouvellement des grands équilibres géopolitiques, le continent africain fait désormais l’objet d’une attention renouvelée, tant des puissances traditionnelles qu’émergentes. Il ne s’agit plus seulement d’y sécuriser un accès à des ressources naturelles et à des marchés portés par la démographie galopante, mais aussi d’attirer dans son camp le plus grand nombre possible d’États africains, dans l’objectif de peser davantage sur la scène internationale et possiblement d’imposer son « modèle » de gouvernance. Or, face aux avancées russes et surtout chinoises, la diplomatie américaine sonne la mobilisation générale. Il lui faut reprendre pied dans un espace géographique qu’elle a eu tendance à reléguer au second plan ces dernières années. À cet effet, l’administration Biden a présenté cet été, le 8 août 2022, la « Stratégie américaine envers l’Afrique subsaharienne ». Après les réussites très relatives des politiques africaines des deux précédents Présidents, Barak Obama et Donald Trump, ce document redéfinit donc l’approche des États-Unis pour la région. Il entend aussi préparer le sommet américano-africain du 13 au 15 décembre prochain (U.S.-Africa Leaders Summit) qui doit marquer une nouvelle étape dans la relation entre l’Afrique et les États-Unis. Toutefois, des doutes émergent quant aux résultats à attendre de cette rencontre, notamment au regard du décalage entre les objectifs affichés dans le document de stratégie et les moyens qui seront consacrés par les États-Unis pour les atteindre. Pour l’Europe, la réalité et les conséquences possibles de cet intérêt renouvelé de Washington pour le continent africain sont à analyser finement. Elles pourraient bien accentuer la compétition en Afrique entre grandes puissances et aggraver davantage les tensions locales, avec les effets induits pour la stabilité et le développement de l’Union européenne (UE).

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S’agissant de l’importance du continent africain, les États-Unis notent dans leur document de stratégie qu’il « … est impossible de relever les défis déterminants d’aujourd’hui sans les contributions et le leadership de l’Afrique. La région tiendra une place prépondérante dans les efforts visant à : mettre fin à la pandémie de COVID-19 ; lutter contre la crise climatique ; inverser la vague mondiale de recul démocratique ; lutter contre l’insécurité alimentaire mondiale ; promouvoir l’équité et l’égalité entre les sexes ; renforcer un système international ouvert et stable ; façonner les règles du monde sur des questions vitales comme le commerce, la cybernétique et les technologies émergentes ; et faire face à la menace du terrorisme, des conflits et de la criminalité transnationale ». Ce faisant, et c’est une nouveauté en comparaison avec les stratégies passées, Washington considère l’Afrique comme une priorité essentielle de la politique étrangère américaine. En outre, dorénavant, le continent africain a un rôle à jouer dans le règlement des grands dossiers internationaux. Manifestement, il s’agit-là d’un changement de ton et de style dans la manière d’adresser cette partie du monde, jusqu’alors davantage perçu par les États-Unis comme un acteur passif, objet de luttes menées entre grandes puissances rivales.

Sur le fond, ces quelques lignes résument assez bien la plupart des grands défis auxquels les États doivent faire face aujourd’hui, où qu’ils soient dans le monde. Avec quelques mois de retard, elles font également écho aux initiatives et projets issus du Sommet Union européenne (UE) – Union africaine (UA) de février 2022, incluant le programme Global Gateway, un paquet d’investissements d’au moins 150 milliards d’euros au profit du continent africain. En cela, force est de constater que la « nouvelle » stratégie américaine pour l’Afrique ne fait ni dans l’originalité ni dans la rupture. Dans une certaine mesure, elle pourrait même se poser en concurrente de l’action de l’UE, en visant des domaines d’action proches tels que le numérique et la transition énergétique. Or, comme il sera démontré plus loin, une compétition avec les États-Unis arriverait au plus mauvais moment pour l’UE. Elle  ne peut plus se tourner vers l’Ukraine et la Russie ni pour ses approvisionnements (dont certains sont critiques) ni comme débouchés commerciaux pour ses produits et services. Enfin, la stratégie énumère aussi des griefs de Washington envers Pékin et Moscou, dessinant certainement en creux les vrais enjeux et cibles du document. Ainsi, il est dit que la Chine se comporte sur le continent comme dans une « arène pour défier l’ordre international fondé sur des règles, faire avancer ses stricts intérêts commerciaux et géopolitiques (…) et affaiblir les relations des États-Unis avec les peuples et les gouvernements africains ». Pour ce qui est de la Russie, le document pointe le fait qu’elle « considère la région comme un environnement permissif pour les sociétés para-étatiques et militaires privées, créant souvent de l’instabilité pour en retirer un avantage stratégique et financier ». Ces comportements chinois et russes motivent en grande partie une réponse américaine.

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Dans le détail, au regard de leurs intérêts de sécurité nationale, et de la compétition globale qu’ils livrent tant à la Chine qu’à la Russie – et peut-être même à l’Union européenne, les États-Unis ont défini quatre objectifs principaux en Afrique subsaharienne.

Le premier vise à favoriser l’ouverture et des sociétés ouvertes. Pour ce faire, la diplomatie américaine souhaite promouvoir la transparence des gouvernements et développer la responsabilité des dirigeants locaux. De même, elle aspire à soutenir la justice, l’état de droit et la dignité sur le continent. Enfin, une aide sera apportée pour favoriser l’exploitation transparente des ressources naturelles en vue d’un développement durable. Dans les faits, l’atteinte de cet objectif doit permettre aux États-Unis de « … contrer les activités préjudiciables de la République populaire de Chine, de la Russie et d’autres acteurs ». Les sociétés ouvertes sont en effet plus enclines à travailler avec l’Amérique que les régimes autoritaires qui tendent d’ailleurs à se développer en Afrique ces dernières années sous couvert de « réinterprétations constitutionnelles ».

Le second grand objectif de la stratégie ambitionne d’aider l’Afrique à produire des dividendes démocratiques et sécuritaires. Cela passe par une coopération accrue avec les alliés et partenaires des États-Unis pour contenir la montée de l’autoritarisme et la prise de pouvoir par des militaires. Il faut ajouter un soutien à la société civile, une meilleure prise en compte des voix des femmes et des jeunes ainsi que la défense d’élections libres et équitables. De même, Washington aspire à améliorer la capacité des partenaires africains à promouvoir la stabilité et la sécurité régionales, et souhaite réduire la menace des groupes terroristes pour les États-Unis. Le document avance qu’ils utiliseront leur « capacité unilatérale », autrement dit militaire, contre des cibles terroristes « uniquement là où c’est légal et là où la menace est la plus aiguë ». Un point que d’aucuns trouveront en contradiction avec la volonté affichée par le Président Joe Biden de travailler à un partenariat équilibré avec l’Afrique. Du reste, il semblerait qu’il reste sur la même ligne que ces prédécesseurs en matière d’usage des drones. Sur ce point, il faut rappeler que Washington a renforcé sa présence militaire au Niger, qui lui a permis de construire une base importante à Agadez (proche de la Libye). Ce site, hébergeant des systèmes de drones aériens, permet aux États-Unis de disposer d’une plateforme de surveillance de premier plan au Sahel. Il vient soutenir le dispositif au Camp Lemonnier, la plus importante garnison militaire américaine sur le continent. Proche de l’aéroport international de Djibouti, c’est de cette zone que d’autres drones partent, ceux qui visent al-Qaïda dans la péninsule arabique au Yémen et les insurgés islamistes shebab en Somalie.

Le troisième objectif de la stratégie doit aider à faciliter le rétablissement post-pandémie et favoriser les opportunités économiques. Des défis qui ont été « … aggravés par les perturbations des chaînes d’approvisionnement et l’insécurité alimentaire résultant de la guerre d’agression de la Russie en Ukraine ». Pour les États-Unis, il faut soutenir les politiques et programmes permettant de mettre fin à la phase aiguë de la pandémie de COVID-19, tout en favorisant les mesures pour se préparer à la prochaine menace sanitaire. Dans ce contexte, il s’agit de soutenir les initiatives de fabrications pour les vaccins et autres mesures de riposte médicale. Sur le plan économique, différentes initiatives peuvent aider à une croissance plus forte et à réduire la dette dont le Partenariat pour l’infrastructure et l’investissement mondiaux (PGII), Prosper Africa, Power Africa et Feed the Future. Il faut y ajouter dorénavant une nouvelle initiative en faveur de la transformation numérique. Pour Washington, dans ce domaine précis, il s’agit autant d’accompagner l’Afrique que de contenir Pékin. La Chine contribue en effet à la transformation digitale du continent via la mise en œuvre de sa Digital Silk Road (DSR), partie intégrante de la Belt and Road Initiative (BRI). Les enjeux économiques et financiers sont ici tout aussi importants que les considérations géostratégiques. Comme pour le Moyen-Orient, l’objectif est de limiter le développement d’une architecture numérique en Afrique dont la Chine serait le centre. La présence croissante de groupes, de solutions et de services chinois dans les pays du Golfe avait déjà entrainé des pressions américaines pour qu’ils choisissent leur « camp numérique ». S’agissant maintenant du continent africain, il est fort possible que les États ciblés par la politique américaine puissent subir une pression identique à l’avenir, si ce n’est pas déjà le cas. Cependant, comme au Moyen-Orient, il est possible que les résultats ne soient pas au rendez-vous pour Washington.

Le quatrième et dernier objectif se concentre sur la réponse aux défis posés par le changement climatique en favorisant la « protection de l’environnement, l’adaptation au climat et une transition énergétique juste ». Sur ce point, le document de stratégie note que « Bien que la région soit responsable d’émissions extrêmement faibles par habitant, elle risque de subir certains des effets les plus graves du changement climatique ». Pour les États-Unis, il est donc nécessaire de nouer des partenariats avec les gouvernements, la société civile et les communautés locales, pour préserver, gérer et reconstituer les écosystèmes naturels du continent. En outre, il s’agit de soutenir les pays dans leurs efforts pour minimiser les impacts du changement climatique et s’y adapter, en particulier en favorisant la résilience des communautés, de l’économie et des chaînes d’approvisionnement. Les États-Unis affichent leur volonté de s’engager avec les États africains pour accélérer leur transition vers l’énergie propre et assurer leur sécurité énergétique. Enfin, il est mentionné la formalisation de partenariats public-privé pour disposer des minéraux critiques indispensables aux technologies d’énergie propre. Ce point est certainement l’un des plus cruciaux pour les États-Unis, à la recherche d’un approvisionnement diversifié et sûr en matériaux critiques pour leur industrie. Dominant le marché des terres rares et des métaux stratégiques, la Chine est déjà parvenue à se rendre indispensable ou presque au bon fonctionnement des chaînes d’approvisionnement, notamment pour les panneaux solaires, les turbines d’éoliennes et les batteries de véhicules électriques. Demain, Pékin compte bien pesertout autant dans l’hydrogène et plus particulièrement dans les piles à combustible ainsi que les réacteurs nucléaires de nouvelle génération. Si elle y parvient, la Chine se posera en poids lourd incontournable du règlement des défis énergétiques et non plus seulement en un consommateur effréné.

Seuls des efforts redoublés permettront d’atteindre des résultats   

À défaut de surprendre sur le fond, la nouvelle stratégie américaine soulève donc plusieurs questions dont l’une tient à son calendrier de publication. Il en est de même s’agissant du sommet de décembre 2022 et de la justesse de son « timing ». Objectivement, au regard de la situation sur le continent, et en particulier de la percée chinoise, n’est-il pas trop tard pour un retour en Afrique des États-Unis, au-delà des points d’appui dont ils disposent déjà comme le Nigeria, le Kenya, l’Afrique du Sud et le Maroc ? En outre, ce continent est-il en demande d’un rapprochement avec les États-Unis ? S’il attire toujours, l’American dream a perdu de sa superbe pour une partie de la population africaine, notamment de sa jeunesse. Très connectée, celle-ci a pu suivre les événements au Capitole et le retrait des boys d’Afghanistan, témoignant des limites de la toute-puissance militaire et du « modèle » démocratique américains. Dans le même temps, les opinions africaines ont vu s’affirmer d’autres acteurs. Certains d’entre eux sont parvenus à imposer leur narratif d’un Occident nécessairement prédateur et irrémédiablement sur le déclin. Dans ce contexte peu favorable, les États-Unis devront redoubler d’efforts pour se repositionner comme un partenaire de choix.

Il est vrai qu’en l’absence d’un engagement fort de la diplomatie américaine sur le continent ces dernières années, la Chine a pu y trouver un terrain riche d’opportunités à saisir et où elle occupe désormais des positions très fortes. En 20 ans, elle est devenue le premier partenaire économique de l’Afrique. En 2021, les autorités chinoises ont déclaré avoir investi 43 milliards de dollars sur le continent et prêté 153 milliards de dollars à des États et à des entreprises africains entre 2000 et 2019. Et pour ne citer que cet exemple assez significatif, depuis 2000, Pékin organise son Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC) tous les trois ans avec ses partenaires africains. Pour sa part, le premier et dernier Sommet Afrique-USA s’est tenu il y a 8 ans…  De même, Moscou, Ankara, mais aussi New Delhi et Jakarta sont présents sur le continent et ces capitales cherchent toutes à disposer de leur propre « FOCAC ». Si les uns construisent les infrastructures ou captent des ressources, les autres nouent des alliances militaires et s’ouvrent de nouveaux marchés. Présents dans la Corne de l’Afrique (Somalie, Érythrée, Djibouti, Soudan, Éthiopie) et Afrique du Nord (Lybie, Égypte), sur fond de rivalité avec l’Iran, la Turquie ou encore le Qatar, demain, ce sont les pays du Golfe, Arabie saoudite et Émirats arabes unis en tête, qui pourraient y jouer un rôle accru notamment en matière d’investissements. Certains dirigeants africains l’auraient bien compris et se rendraient de plus en plus souvent à Dubaï, Doha et Ryad pour s’attirer les bonnes grâces de ces nouveaux partenaires. Comme le rappelait Sidi Ould Tah, directeur général de la Banque arabe de développement économique en Afrique (BADEA), « Un Africain sur quatre est Arabe et trois Arabes sur quatre sont Africains », ce qui peut faciliter les rapprochements et favoriser les discussions.

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Dans une certaine mesure, la dynamique poussant en faveur d’une évolution du continent a été puissamment perçue par les grandes capitales occidentales lors des premiers votes des pays africains à l’ONU s’agissant de l’agression russe de l’Ukraine. L’Afrique avait alors opté pour un non-alignement, marquant le pas avec la position de ses partenaires traditionnels, dont les États-Unis. À l’avenir, ce fossé pourrait bien se creuser davantage compte tenu des effets du changement climatique qui touchent fortement les pays du sud incluant ceux du continent africain – le Sahel étant d’ailleurs considéré comme l’une des régions du monde les plus menacées par les effets du réchauffement. Beaucoup de responsables africains considèrent en effet que « L’Afrique est lésée en matière de finance climatique », pour reprendre les propos de Akinwumi Adesina, président de la Banque africaine de développement. Si cette position, soutenant l’idée d’une dette climatique du Nord envers le Sud, peut s’entendre, elle voit aussi monter une défiance dangereuse entre ces deux blocs. Le premier, le Nord, est accusé de vouloir réaliser sa transition énergétique sur le « dos » des ressources naturelles du second, le Sud. Une situation qui pourrait être avantageusement utilisée par la Chine ou la Russie contre les États-Unis (et les pays européens) pour pousser leurs propres projets en la matière.

Dans le domaine sécuritaire cette fois, une autre question se pose sur l’aide que les États-Unis pourraient apporter à l’Afrique. Le terrorisme djihadiste progresse depuis plus de 10 ans dans le Sahel. Il menace dorénavant d’atteindre les États côtiers de l’Afrique de l’Ouest. Ce faisant, Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI), Boko Haram, Al-Shebab, Al-Mourabitoune, Ansar al-Charia, mais aussi d’autres groupuscules menacent de s’étendre sur une diagonale Ouest-Est jusqu’au Mozambique sans omettre l’Afrique centrale (RDC), la Corne, le Nigeria et le Cameroun. Massive, l’aide extérieure, qu’elle provienne des organisations régionales, internationales, des ONG et des agences d’aide au développement, n’est pas parvenue à endiguer ce phénomène. Et l’échec de la politique anti-terrorisme des États-Unis dans d’autres régions (Irak, Syrie, Afghanistan) renforce les doutes sur leurs capacités à rétablir la paix et la stabilité en Afrique. D’ailleurs, l’offre sécuritaire américaine est-elle adaptée aux particularités des crises et différents conflits sur le continent ? Quelle forme pourrait-elle prendre à l’avenir dans un environnement déjà complexe, entre la présence des Russes de Wagner (Mali, Centrafrique), le développement de la coopération militaire entre la Turquie et les pays du continent, les avancées chinoises, ou encore l’engagement des partenaires historiques dont plusieurs pays européens et l’Union européenne ? Les réflexions actuelles en France autour du juste dispositif militaire à maintenir en Afrique montrent que l’équation n’est pas simple, entre présence légère, renforcée, permanente, tournante, capacités offensives, formation, affichage, discrétion…

En définitive, au regard des obstacles à surmonter, il est probable que l’administration Biden ne puisse parvenir à faire évoluer les relations entre l’Afrique et les États-Unis à court terme. Tout d’abord, jusqu’à la prochaine élection présidentielle de 2024, elle ne dispose pas du temps nécessaire à ce travail de longue haleine. Ensuite, elle a aujourd’hui d’autres priorités. Les dossiers sont nombreux tant sur le plan intérieur qu’en matière de politique internationale. Si la Chine est au cœur de la stratégie de politique étrangère américaine, les États-Unis se concentrent toujours sur le règlement du dossier épineux du nucléaire iranien, tout en organisant la réponse face à l’agression russe en Ukraine depuis début 2022. Sur le plan intérieur, les défis sont également sérieux : contenir l’inflation, faire face aux événements climatiques extrêmes récurrents et surtout, endiguer la crise démocratique. La polarisation politique fracture le pays et aggrave les oppositions violentes entre ses communautés.

Dans ce contexte, l’engagement effectif des États-Unis en Afrique restera très certainement limité et ciblé. Outre l’aide au développement et les coopérations sécuritaires existantes, il devrait surtout se concentrer sur l’intérêt géologique du continent, ses ressources étant nécessaires à la bonne réussite de la transition énergétique américaine. L’accès à quelques pays clefs dont la Tanzanie, l’Ouganda, la Zambie ou encore la République Démocratique du Congo (RDC) sera certainement recherché pour que l’industrie dispose d’une chaine d’approvisionnement fiable en cobalt, cuivre, etc. De la même manière, pour trouver des débouchés commerciaux, les États-Unis souhaiteront certainement signer des accords de libre-échange avec des partenaires africains. Après le Maroc, le Kenya pourrait bien devenir le 2d pays africain et le premier d’Afrique subsaharienne à signer un tel accord avec les États-Unis. Ce faisant, les sociétés américaines se mettront en ordre de marche pour profiter des avancées de la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA) et des opportunités qu’elle ait susceptibles de créer. L’ambition à terme est de former un marché commun africain de 1,3 milliard de consommateurs où les produits circulent et s’échangent sans barrières douanières afin de booster le développement des pays membres. Toutefois, pour ce faire, il faudra mobiliser la puissance financière américaine et pour l’heure, le secteur privé ne semble pas avoir répondu à l’appel de la vice-présidente Kamala Harris souhaitant « … promouvoir une croissance et un développement économiques inclusifs et durables sur tout le continent, d’accroître les flux de capitaux et d’encourager l’esprit dynamique d’entrepreneuriat et d’innovation qui prévaut dans toute l’Afrique ».

Et l’Union européenne dans tout ça ?

Vu de l’Europe, l’intérêt renouvelé des États-Unis pour l’Afrique n’est pas nécessairement une bonne nouvelle. Il pourrait entraîner davantage de concurrence et donc de tensions sur un continent qui connaît déjà des difficultés endémiques, sous l’effet conjugué de facteurs endogènes et exogènes. Qui plus est, l’Europe doit-elle aussi réussir sa propre transition énergétique, organiser ses réponses face au changement climatique et aux crises qui la traversent (sociale, sanitaire, financière…). Or, elle ne peut le faire sans prendre en compte la situation de ses voisins et de ses partenaires, en particulier en Afrique. L’avenir de l’Europe et du continent africain est étroitement imbriqué. Dès lors, toute déstabilisation ou succès de l’un aura nécessairement un impact sur l’autre. La guerre en Ukraine l’illustre bien, tout comme les conséquences de l’instabilité en Libye et l’arrivée de Wagner en Centrafrique, pour ne citer que ces exemples. Considérant leur communauté de destin, Europe et Afrique ont tout un intérêt à développer davantage leurs relations et à tendre vers une forme d’intégration, lorsque cela est possible et nécessaire. Un projet naturel et raisonnable qui risque fort de rencontrer une forme de résistance de la part de la Chine. Pour leur part, soutenant le multilatéralisme et les sociétés ouvertes, les États-Unis devraient considérer avec bienveillance un tel rapprochement entre l’UE et l’Afrique. Dans le cas contraire, ils montreraient clairement à leurs partenaires européens que leur volonté d’engager l’Afrique s’inscrit davantage dans une logique de compétition que de coopération.

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