Longtemps situées à la marge sur la plupart des cartes de géographie, les régions polaires sont devenues, depuis la fin des années 1980 des espaces convoités, au centre de confrontations géopolitiques entre différents acteurs.
Camille Escudé – Les pôles – Documentation photographique – CNRS éditions. Septembre 2024.
Pendant la guerre froide l’Arctique était devenu un espace de confrontation entre les flottes sous-marines des États-Unis et de l’Union soviétique. C’est également sur les rives de l’océan Glacial Arctique que les États-Unis avaient pu déployer leurs lignes de détection radar permettant d’anticiper une éventuelle frappe nucléaire soviétique.
Définir les pôles
La délimitation de l’Arctique pose déjà question, puisque les critères purement géographiques avec la latitude 66° 33’ Nord est isotherme 10 °C, ne suffisent pas puisque plusieurs pays proches de l’Arctique cherchent à se revendiquer comme territoires appartenant à cet espace. C’est le cas du Canada mais également de sa province du Québec pourtant largement située plus au sud. La Russie est évidemment dans une situation privilégiée en raison de la longueur de sa façade Arctique de la péninsule de Kola jusqu’au détroit de Béring. Autre difficulté de délimitation, directement liée au réchauffement climatique, la diminution de la surface de banquise permanente qui réduit d’autant son étendue. De même la fonte du pergélisol et la disparition attendue de la banquise d’été participent à rendre mouvantes les frontières de l’Arctique.
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La diminution de la surface de la banquise au pôle Nord, la fonte des glaces continentales au pôle sud, font partie des sujets récurrents souvent évoqués comme témoignages directs du réchauffement climatique. La fonte des glaces au Groenland comme au pôle sud se traduirait par une montée des océans de plus de 7 m. Ces changements environnementaux entraînent des conséquences sur la faune et sur la flore polaire, mais également sur les populations qui y sont installées, tout particulièrement au Groenland. Pour autant ces populations peuvent avoir avec beaucoup d’intérêt certaines conséquences « positives » du réchauffement climatique, notamment la possibilité d’extraire les ressources du sous-sol plus facilement.
Ces territoires périphériques, que l’auteur situe en « périphérie de l’œkoumène » sont en cours d’intégration dans la mondialisation, même si dans les années 60 la Russie en Sibérie et les États-Unis en Alaska ont saisi l’intérêt de ces territoires en termes d’hydrocarbures. Pour autant, et malgré le réchauffement climatique, certaines grandes entreprises comme Shell ou Total ont été amenées à revoir leurs investissements dans la région à la baisse.
Enjeux juridiques
Dès la fin de la première guerre mondiale, en 1920 précisément, le traité du Spitzberg à valider un régime international de conservation environnementale qui demeure encore en vigueur sur cet archipel. Dès les débuts de l’existence de l’Union soviétique la route maritime du Nord, navigable en été dès les années 30 a été considérée comme essentielle. C’est également à Arkhangelsk et à Mourmansk que l’aide militaire américaine à l’Union soviétique a pu transiter pendant la seconde guerre mondiale.
L’érosion des logiques de guerre froide, notamment pendant la présidence de Mikhaïl Gorbatchev a pu permettre la mise en place d’initiatives de coopération régionale avec différents conseils comme celui de l’Arctique fondé en 1996. Toutefois la coopération passe évidemment après les enjeux de souveraineté.
Les pôles sont devenus aujourd’hui un enjeu mondial de puissance et les populations autochtones qui ont pu être déplacées pendant la période de la guerre froide au gré des implantation militaires en Alaska comme à Thulé cherchent aujourd’hui à peser sur ces évolutions. La sédentarisation de la plupart des populations autochtones ne semble pas avoir eu seulement des effets positifs, et il semblerait que la rudesse de la vie soit à l’origine d’un taux de suicide particulièrement élevé, notamment au Groenland, comme dans les régions arctiques du Canada et de la Russie. Pour autant certains groupes de populations bénéficient de cette entrée dans la mondialisation, même si cela signifie l’entrée dans une économie de rente autour des matières premières.
Intérêts des grandes puissances
L’Arctique comme l’Antarctique suscitent un intérêt majeur des grandes puissances, parfois de façon un peu folklorique comme l’intérêt de Donald Trump pour acheter le Groenland, ancienne colonie danoise semi autonome, peuplé de 57 000 habitants. La Chine n’hésite pas à investir sur ce territoire, d’autant que le sous-sol de Groenland serait particulièrement prometteur en termes de terres rares, d’uranium, mais également d’or et de diamants sans parler du pétrole.
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La géopolitique de l’Arctique a été directement impactée par les conséquences de la guerre en Ukraine, ce qui a eu comme traduction l’entrée de la Suède de la Finlande dans l’OTAN. Les pays occidentaux du conseil de l’Arctique tout comme le conseil nordique ont suspendu leurs relations avec la Russie.
Cette région est aujourd’hui largement militarisée, avec des réinvestissements militaires importants du Canada et des États-Unis, des exercices militaires de l’OTAN conduits régulièrement tandis que la Russie installe et renforce des bases militaires avec des dispositifs autonomes de production énergétique.
La « doc – photo » associe traditionnellement une mise au point scientifique un corpus documentaire organisé de façon thématique. La plupart des questions sont traitées, mais curieusement le pôle sud ne semble pas suffisamment évoqué, notamment pour ce qui concerne les évolutions prévisibles à propos de sa sanctuarisation qui a été actée par le traité sur l’Antarctique et le protocole de Madrid. Pour autant la trame juridique de ses traités et remises en cause par des puissances révisionnistes comme la Chine.
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Parmi les questions dont le traitement spécifique aurait pu être pertinent et surtout utile, la militarisation de l’Arctique aurait sans doute mérité un développement plus étendu. On trouvera sur le site du ministère des armées un très utile bulletin de « l’observatoire de l’Arctique » qui propose une mise au point particulièrement complète sur les déploiements des forces des pays voisins du cercle polaire, notamment de la Russie.