Avant de fléchir sur l’île de Sainte-Hélène, le 5 mai 1821, Napoléon était l’empereur intouchable. Il a frôlé la mort à de multiples reprises, mais a toujours su lui faire faux bond. Dans son ouvrage, Les Douze morts de Napoléon, David Chanteranne nous livre le récit de onze épisodes marquants de la vie de l’empereur, où, chaque fois, sa vie aurait pu s’arrêter brusquement.
Propos recueillis par Pétronille de Lestrade.
David Chanteranne, Les Douze morts de Napoléon, Passés Composés, 2023
Comment ces « douze » morts de Napoléon furent-elles considérées par le peuple français du début du XIXe siècle ?
Quand Napoléon manque d’être tué à plusieurs reprises, que ce soit sur le champ de bataille, lors de tentatives d’attentat, ou à d’autres occasions, il s’en sert. Son administration explique le fait qu’il échappe à la mort comme étant une marque de la Providence. Il a une bonne étoile, qui le suit jusqu’à Sainte-Hélène. En effet, même avec sa tentative de suicide, il est béni des dieux. Il cherche par tous les moyens à affronter le feu ou à être en première ligne, et le fait qu’il échappe à la mort démontre l’entrée en scène d’un caractère surnaturel.
L’opinion publique telle qu’on la connaît aujourd’hui n’est pas tout à fait quantifiable. On peut déjà être sûr qu’il jouit d’une excellente réputation auprès de ses soldats. Cela compte beaucoup, car cela permet d’emporter la décision. La bascule est la bataille de Ratisbonne en 1809, où un doute commence à s’immiscer dans les esprits. C’est le moment le plus méconnu. À ce moment-là, Napoléon se trouve lancé dans la campagne d’Autriche, il a battu les Autrichiens à plusieurs reprises déjà. Mais à Ratisbonne, alors qu’il se trouve à l’écart du groupe, il est atteint au pied par une balle, sans doute tirée par un Tyrolien. Il est rapidement soigné par son chirurgien. Mais cette blessure confère l’idée qu’il n’est pas totalement intouchable, et qu’il pourrait même être mortel. Napoléon cherche par tous les moyens à rassurer son entourage, ses soldats, en les passant en revue, en remontant rapidement à cheval. Mais il y a quelque chose de brisé.
Cela se confirme trois ans après, à la campagne de Russie, où l’on se souvient qu’il a été atteint, et que, peut-être, un jour, son destin basculera.
À combien de reprises l’empereur a-t-il réellement échappé à la mort ?
J’en cite onze, mais on pourrait multiplier le nombre. À bien des moments, Napoléon provoque la mort. On pourrait en compter une trentaine. J’ai choisi celles-ci, car elles sont un moment de bascule dans l’état d’esprit et dans les évènements eux-mêmes. Ce sont des moments rythmés de la vie de Napoléon, qui permettent de comprendre plus largement son parcours.
Cela a donc contribué à la construction de sa légende.
Sa légende se construit déjà par lui-même : il en est l’acteur et l’utilisateur. Déjà sur le champ de bataille en Italie, en 1796, il utilise les différentes actions qu’il entreprend à des fins de communication politique, à travers des journaux qu’il envoie à Paris. Cela permet de préparer les esprits lorsqu’il reviendra l’année suivante en 1797. Tout est donc matière à être utilisé. En cela, il est assez novateur par rapport à son époque.
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A-t-il subi beaucoup de tentatives d’assassinat ?
Je parle de celles qui sont les plus évidentes et les plus sourcées. Mais il y en a d’autres. Par exemple, en 1805, Napoléon rentre de son couronnement de Milan. Une tentative d’assassinat est alors déjouée, mais une tentative assez sérieuse : des adversaires politiques cherchent à le tuer, aux Tuileries ou à Saint-Cloud, on ne sait pas vraiment. De même, en 1812, alors qu’il se trouve encore en Russie, le général Malet tente de prendre le pouvoir, en diffusant l’information de la mort de Napoléon. C’est un républicain. Avec des comparses, il a pour projet d’exécuter l’empereur dès son retour.
Il est difficile de comptabiliser les tentatives d’attentat sur Napoléon, car plusieurs projets sont morts dans l’œuf. La plus connue est sans aucun doute la conjuration Moreau-Pichegru-Cadoudal, en 1804, à la fin du Consulat, alors que le pouvoir de Napoléon ne tient qu’à un fil. Celui-ci cherche donc à reprendre la main, et fait arrêter l’une des grandes figures du mouvement royaliste, Louis-Antoine de Bourbon-Condé, duc d’Enghien, en Allemagne en 1804. Ce dernier est traduit à la prison du château de Vincennes, et exécuté sans procès. Une affaire qui fait dire à Fouché : « Napoléon s’est fait complice de la Révolution », en exécutant un prince de sang. L’empereur a une peur manifeste des complots contre lui.
Parmi ces onze morts que vous citez, quelle est selon vous la plus symbolique ?
La plus symbolique est sans aucun doute l’attentat de la rue Saint-Nicaise, à deux titres. Tout d’abord, la tentative a failli réussir. Le cocher a pris une vitesse différente de celle qui était prévue, l’explosion s’est donc effectuée de manière décalée. Et d’autre part, le fait d’utiliser le système de la « voiture piégée » montre que l’attentat au couteau ou au fusil contre les souverains n’est pas le seul envisageable. C’est une technique utilisée régulièrement.
Napoléon croyait-il au miracle ? Où se faisait-il l’adversaire de la fatalité ?
Napoléon croit en sa bonne étoile. Lorsqu’il doit nommer un général, il demande d’abord s’il a de la chance au combat. Il refuse d’être entouré de malchanceux. Cela montre que réside chez lui un côté surnaturel, une sorte de paganisme sans doute hérité de la Corse. Selon lui, si les planètes s’alignent, c’est qu’il l’a provoqué ou qu’il bénéficie d’une protection.
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La chronologie de votre ouvrage est originale : pourquoi avoir choisi de bâtir le fil rouge sur la disparition « réussie » de Napoléon sur l’île de Sainte-Hélène, le 5 mai 1821 ?
La mort de Napoléon est un évènement connu de tous, une référence évidente. On sait qu’il est mort sur l’île de Sainte-Hélène, le 5 mai 1821, au bout d’environ 2 000 jours. Ce séjour à Sainte-Hélène va beaucoup modifier la figure de l’empereur dans les esprits. Lorsque Napoléon est parti en 1815, délaissé par une partie des Français et des Européens, il est un peu oublié par ses contemporains durant un certain temps, comme on a coutume de le dire. Ce mystère de Sainte-Hélène, ce caractère de martyr, joue beaucoup sur le regard porté sur lui.
Sur l’île, Napoléon dicte ses souvenirs. C’est pour lui un moment de repos. J’ai donc tenté de saisir ce principe : la fin d’un temps, qui faisait étonnamment penser à des épisodes précédents. Je prends alors cet épisode au temps présent, en revenant sur les onze précédents, et en établissant une sorte de parallèle. Tout cela aurait pu s’arrêter assez tôt. Napoléon avait lui-même ce principe. Aujourd’hui encore, Le Mémorial de Sainte-Hélène, issu de ses dictées à Las Cases, est une œuvre de communication importante. Le regard que l’on porte sur Napoléon de nos jours est issu de Sainte-Hélène. S’il n’y avait pas eu Sainte-Hélène, il aurait été un souverain parmi d’autres. Là, par l’écriture et la façon dont il a pensé les choses, il a voulu mettre en perspective tout son destin, toute sa vie. C’est donc pour cela que j’ai pensé à Sainte-Hélène comme base sur laquelle s’appuyer pour rappeler les épisodes précédents. C’est un point d’appui sur lequel emporter le lecteur.
Pourquoi a-t-il abandonné ou été abandonné sur l’île de Sainte-Hélène ?
Le hasard des dates est étonnant : Napoléon meurt le 5 mai 1821, soit le 5 [5] 1821. En associant les chiffres entre eux, on obtient 51 ans, 8 mois et 21 jours, l’âge précis de sa mort. C’est une coïncidence. Il était malade. Il faut cesser avec toutes ces suppositions qui prétendent qu’il aurait été assassiné ou empoisonné. Comme de coutume, la Providence est intervenue. C’était son destin. Déjà malade à son arrivée, les conditions climatiques accentuent sa mauvaise santé. Une sorte de mélancolie s’installe également. Il se renferme sur lui-même. Il joue sur l’image de martyr. Tout cela participe au même esprit. Une sorte de fatalité s’abat sur lui. Il serait sans doute mort au même âge s’il était resté en Europe. Mais le fait qu’il soit loin, sous un climat défavorable, apprenant de tristes nouvelles, et malgré un peu d’exercice physique comme du jardinage, ne joue pas en la faveur du temps. Tout cela constitue autour de lui une sorte d’aura qui contribue beaucoup à la façon dont on va le percevoir. C’est également une façon de lire la vie de Napoléon : c’est la fin du chapitre de sa vie, et, si l’on revient un peu en arrière, on peut saisir les clefs pour expliquer son caractère, les évènements marquants de sa vie.
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