Les destinées tragiques de la monarchie burundaise

11 mai 2023

Temps de lecture : 7 minutes

Photo : Timbre du Royaume du Burundi ; 1963 ; timbre semi-postal de l'émission "Souvenir du Prince Louis" ; motif du timbre avec un portrait du Prince Louis et l'entrée principale du "Mémorial du Prince Louis". Wiki Commons

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Les destinées tragiques de la monarchie burundaise

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Assassiné en 1972 dans des circonstances troubles, les restes du roi Ntare V n’ont jamais été retrouvés en dépit de diverses tentatives du gouvernement burundais pour identifier le charnier dans lequel il reposerait. Dans un pays encore meurtri par les nombreux massacres entre Hutus et Tutsis, la Commission Vérité et Réconciliation (CVR) a récemment regretté l’opacité sur ce régicide dont les Burundais commémorent le 51e anniversaire.

Pays de l’Afrique de l’Est situé dans la région des Grands Lacs, le Burundi a été marqué par de tragiques événements au cours de son histoire. Indépendant depuis le XVIe siècle, sa société est hiérarchisée derrière son mwami (roi), qui s’appuie sur l’aristocratie issue de l’ethnie Ganwa. Cette monarchie tire sa puissance de ses conquêtes militaires et du servage qu’elle impose aux populations pastorales et agricoles, essentiellement composées de Hutus, Tutsis (à laquelle elle est ethniquement associée) et de Twas (pygmées). Colonisé par l’Allemagne en 1890, le Burundi passe dans les mains des Belges au cours de la Première Guerre mondiale (1916). Tout en maintenant l’autorité royale en place, Bruxelles s’emploie méthodiquement à créer un fossé politique, social et administratif entre Ganwa/Tutsis (que la Belgique estime plus proches génétiquement des Européens par leur imposante taille) et Hutus, exacerbant la rivalité entre certaines branches de la maison royale et semant les graines d’un conflit toujours latent.

Multipartisme 

Contraint de s’ouvrir politiquement après la Seconde Guerre mondiale, la Belgique a instauré le multipartisme (1959) tout en essayant de contrôler étroitement le chemin qui doit mener le pays vers son indépendance. Si vingt-cinq partis sont très rapidement recensés, seuls deux partis vont réellement s’imposer. L’Union pour le Progrès National (UPRONA), multi-ethnique, a été fondé par le prince Louis Rwagasore. Charismatique fils du mwami Mwambutsa IV, les Belges ont vainement tenté de le marginaliser en lui opposant le Parti chrétien-démocrate (PCD) présidé par Jean-Baptiste Ntidendereza, un autre prince considéré proche du système colonial. 

En déstructurant la société monarchique burundaise (ils réduisent les chefs tribaux au rang de simples fonctionnaires), la Belgique obtient finalement le contraire de ce qu’elle souhaitait. Convaincues par l’aura du prince Rwagasore, les masses paysannes se rangent derrière le fils du roi aux premières élections législatives organisées en septembre 1961. C’est un succès pour l’UPRONA qui obtient la majorité des sièges. « Prince des pauvres, il avait touché les petites gens, leur avait donné de l’espoir. […] Tout le monde voulait l’indépendance et se débarrasser des Blancs qui nous obligeait à planter du café plutôt que des patates douces et des légumes dont nous nous nourrissions. […] Rwagasore, lui, défendait une cause, celle du Burundi et de la nation, ce que la population a bien perçu » écrit la princesse Esther Kamatari dans ses mémoires intitulées Princesse des Rugo, mon histoire, parues aux Éditions Bayard en 2001. La nièce du prince, futur premier mannequin africain de France, est tout juste âgée de 10 ans. Elle va être le témoin d’une succession d’événements tragiques qui plongent le pays dans de violents affrontements ethniques.

Affrontements ethniques

À peine nommé Premier ministre (octobre 1961), Louis Rwagasore est assassiné par un colon blanc d’origine grecque, qui lui a tiré une balle dans le dos alors qu’il était attablé dans un restaurant bordant le lac Tanganyika. L’enquête va rapidement démontrer l’implication du PCD dans cet attentat, minimisant la responsabilité des Belges (notamment du résident-général Jean-Paul Harroy) pourtant largement pointés du doigt par les Burundais. 

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En 1964, c’est au tour du prince Ignace Kamatari, père d’Esther et frère du roi, de décéder mystérieusement. Le « crâne fracassé par un marteau », son corps est retrouvé allongé sur le bas-côté d’une route. A-t-il été victime malheureuse des colons ou d’extrémistes Hutus ? Personne n’a jamais su trouver la réponse à ces questions. En octobre 1965, une tentative de coup d’État fragilise à nouveau le socle de la monarchie. Le roi Mwambutsa IV doit sa survie à sa passion pour la danse. Il se trouvait au Coconut Club de Bujumbura lorsque le palais royal est attaqué par les Hutus. Depuis l’assassinat du Premier ministre hutu Pierre Ngendandumwe en janvier de la même année (un meurtre perpétré par un Tutsi exilé du Rwanda où la monarchie avait été renversée par l’ethnie rivale), les tensions s’étaient accentuées. Le pays va rapidement se draper d’un manteau de sang, les uns exterminant les autres. Face au chaos politique et à la radicalisation des partis, un putsch est mené par le capitaine Michel Micombero en juillet 1966 et renverse le Mwami Mwambutsa IV parti skier en Suisse. Remplacé par son fils Charles Ndizeye Ntare V, qui a cautionné le putsch, le monarque déchu ne reverra jamais son pays.

Chute de la monarchie 

Véritable mentor derrière le trône, alcoolique, proche de la maison royale, le capitaine Micombero ne tarde pas à se débarrasser de son protégé. Quatre mois après l’avoir couronné souverain du Burundi, il le destitue alors que ce dernier assiste à la soirée d’anniversaire du président zaïrois Mobutu Sese Seko, à Kinshasa. La République proclamée, le roi Ntare V est contraint à l’exil. L’UPRONA lui a tourné le dos et bien qu’elle se réclame toujours de son frère, elle n’entend plus soutenir une monarchie mais une dictature qui s’installe progressivement, réprimant impitoyablement Hutus et Tutsis libéraux. 

Ntare V entend revenir dans son pays, le libérer et, tel un Napoléon, retrouver ses regalia. C’est depuis l’Ouganda voisin (qui s’est aussi débarrassé de sa monarchie) que le Mwami veut faire son grand retour. Reçu avec tous les honneurs en mars 1972, le président Idi Amin Dada le trahit et fait enlever le roi sous les yeux de ses partisans pour le remettre à Micombero qui s’empresse de l’emprisonner au palais royal de Gitega sous étroite surveillance. Le soir du 29 avril 1972, une insurrection éclate dans la capitale burundaise, soudainement envahie par une rébellion hutue. Le sort du souverain est scellé. Sorti brutalement de son lit, ignorant tout de ce qui se passe, le monarque est saisi de terreur, son visage se glace d’effroi lorsqu’il s’aperçoit qu’un peloton d’exécution a été désigné pour le faire passer de vie à trépas. Il se débat, hurle. Le roi est transpercé par des baïonnettes et s’effondre à terre, agonisant dans une mare de sang. Vingt minutes vont s’écouler avant le coup final. Un officier sort alors son pistolet et lui tire trois fois dans le front. Il est 23 heures 15 (ou minuit et demi selon une autre source), la monarchie burundaise vient de rendre son dernier soupir. À partir de cet instant, nul ne sait ce qu’il advient du corps de ce mwami de 24 ans.

Disparition du corps

Pour tous les Burundais, le roi a été enterré dans une de ces nombreuses fosses communes, gisant avec les 200 000 victimes de la répression qui a suivi la tentative de putsch d’avril 1972. Assoiffé de vengeance, Micombero a purgé le pays de ses rebelles hutus, des militaires qui lui étaient hostiles et même des Tutsis modérés. Après deux coups d’État militaires (1976 et 1987), les Tutsis-Himas contrôlent tout l’appareil d’État. Obligés de céder et de réinstaurer le multipartisme en 1992, c’est un Hutu, Melchior Ndadaye, qui est élu démocratiquement à la présidence. Les extrémistes Tutsis, qui contrôlent l’armée, ne le supportent pas. Après trois mois de présidence, Ndadaye est à son tour assassiné lors d’un putsch en octobre 1993. Son successeur, Cyprien Ntaryamira, également Hutu, subira le même sort avec le président rwandais, Juvénal Habyarimana, tous deux assassinés par un missile tiré contre l’avion qui les ramenaient d’Arusha (Tanzanie) où un accord avait été signé entre tous les partis politiques. 

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Le 6 avril 1994, cet attentat est le signal pour le début d’un vaste génocide qui fit des centaines de milliers de morts, peut-être même des millions de victimes, de part et d’autre des Grands Lacs. Le Burundi sombre dans la guerre civile durant toute une décennie. De nouvelles élections multipartites permettent au leader de la rébellion, Pierre Nkurunziza (1964-2020), d’accéder au pouvoir en 2005. Issu des deux ethnies, le nouveau chef d’État est proche de la maison royale. Son père a été un député du roi Mwambutsa IV et il a rallié au sein de son mouvement, le Conseil national pour la défense de la démocratie–Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD), une partie de la mouvance royaliste. Il compte parmi ses parlementaires, la princesse Rosa Paula Iribagiza, fille du roi et prétendante au trône.

Concorde nationale 

À l’approche du cinquantième anniversaire de l’indépendance en 2012, le président Pierre Nkurunziza annonce vouloir retrouver les restes du monarque disparu, l’inhumer avec les honneurs qui lui sont dus. Le gouvernement burundais sollicite dans un premier temps l’aide de Bruxelles qui dépêche une équipe scientifique dirigée par le professeur belge expert en génétique, Jean-Jacques Cassiman de l’Université de Louvain, auteur d’une expertise médicale prouvant l’authenticité du cœur de Louis XVII, des experts de la police fédérale belge et de la police nationale et des journalistes qui suivent les recherches. Durant des mois, ils vont creuser près de Gitega, là où ils pensent que le Mwami a été enterré. On a prélevé de l’ADN sur le corps de la défunte, la reine Baramparaye, mère du Mwami assassiné, décédée en 2007 et les témoins encore vivants de cette époque sont minutieusement interrogés. Les débuts de l’enquête vont démontrer que le roi a été enterré et déterré trois fois de suite, laissant peu de chances de le retrouver. Là où le gouvernement se montre très optimiste, l’équipe du professeur Cassiman ne cache pas ses doutes. Finalement, l’équipe de scientifiques doit se résigner et abandonner ses recherches, laissant un gouvernement seul avec sa seconde option.

Parallèlement aux recherches, Bujumbura a fait une demande de rapatriement des cendres de Mwambutsa IV, père de Ntare V, qui reposent depuis 1977 à Genève avec l’appui de la princesse-députée Rosa Paula Mwambutsa. Mais la princesse Esther Kamatari (candidate malheureuse à l’élection présidentielle de 2005) oppose une fin de non-recevoir à l’exhumation de son oncle, arguant que le souverain a toujours souhaité demeurer dans le pays des Helvètes, testament à l’appui. « Je désapprouve la manière dont les autorités burundaises ont voulu procéder. Il n’y avait aucune urgence de procéder au rapatriement du roi puisque sa concession, à Meyrin, courait jusqu’en 2017. Si l’objectif était d’en faire un geste symbolique pour la réconciliation nationale, cette opération aurait dû respecter l’unité familiale et le désir des Burundais d’accéder à la vérité » déclare la princesse Esther Kamatari lors d’une interview à Iwacu. Le tribunal du canton de Genève finira par statuer en faveur de la princesse Kamatari.

Avec de maigres moyens, les fouilles pour retrouver les restes du roi Ntare V continuent toujours. Bujumbura a dû céder son titre de capitale à Gitega. Une nouvelle constitution a été adoptée en 2018 prévoyant la possibilité de restaurer la monarchie (article 5) et l’ancienne devise royale a été réinscrite sur le mausolée du prince Louis Rwagasore fleuri chaque année par les membres du gouvernement. Les tensions ethniques n’ont pas disparu (les Ganwa réclament un statut à part entière) Pour le 51e anniversaire de la mort du roi, Pierre Claver Ndayicariye a émis plusieurs hypothèses sur la disparition du monarque « que nous aimions beaucoup », pointant du doigt la responsabilité du régime qui a succédé à l’institution royale. « Malheureusement, certaines personnes qui savent où est le roi sont en train de mourir, de disparaître » a regretté le président de la Commission Vérité et réconciliation, fustigeant ceux qui continuent à se murer dans le silence. Sur les réseaux sociaux burundais, certains ont appelé à des poursuites judiciaires contre les derniers complices encore en vie de ce meurtre (la majorité étant d’origine tutsi) afin de résoudre un mystère dont seule « Mama Africa » connaît la réponse.

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Frédéric de Natal

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